Œuvres complètes de Pierre Louÿs, tome 1/Poésies de Méléagre, suivies de Mimes des Courtisanes/VI. LA COURONNE FLEURIE DES MUSES

Slatkine reprints (p. 121-127).





VI

LA COURONNE FLEURIE DES MUSES



XCV


Muse aimée, à qui portes-tu ce chant fleuri ? * et quel est celui qui a tressé cette couronne faite de poèmes ?


C’est Méléagros qui l’a faite ; pour l’illustre Dioclès, * en souvenir, il a composé cette offrande,


Où sont entrelacés beaucoup de lis d’Anitè, beaucoup de Moïro, * et de Sapphô quelques fleurs seulement, mais des roses,


Et le narcisse de Melanippidos d’où vibrent des hymnes sonores * et un jeune pampre fleuri de la vigne de Simonidès ;


Et pêle-mêle il a tressé la belle fleur odorante d’iris * de Nossis, celle dont les tablettes furent enduites de cire par Erôs ;


Avec la marjolaine de Rhianos, le poète parfumé, * et le doux virginal safran d’Erinnè ;


Et, Alkéios, l’hyacinthe éloquente des poètes ; * et, de Samios, un rameau de laurier aux feuilles noires ;


De Léonidas, des corymbes verts de lierre, * de Mnasalkos, un rameau de pin hérissé.


Il a coupé une branche de platane souple au pays de Pamphilos *, mêlée à de jeunes tiges du noyer de Pankratès,


Et le peuplier blanc aux belles feuilles de Tymnès, et la verte menthe * de Nikios, et d’Euphémos le jonc marin des sables.


Il a pris en Damagetos la violette noire et le doux myrte * de Kallimakhos, gonflé toujours d’un miel visqueux.


Et la lychnide d’Euphorion, et l’amôme chez les Muses * de celui qui a le même nom que les Dioscoures.


À ces (plantes) il a tressé le raisin ivre d’Hêgêsippos, et de Persès le jonc parfumé.


Avec la pomme savoureuse des branches de Diotimos * et les premières fleurs du grenadier de Menekratès ;


Et des rameaux de myrte de Nikainetès, et de Phaënnos * le térébinthe, et la bonne poire de Simmias ;


Et aussi les aches des merveilleuses prairies * avec de petites fleurs, cueillies chez Parthénis ;


Et le reste de la moisson des Muses faiseuses de miel * de jaunes épis de blé pris dans les pailles de Bakkhilidès ;


Et chez Anakréôn, ses douces chansons * de miel, et les petites fleurs fécondes de ses élégies ;


Et la fleur Convulsée du champ d’acanthes * d’Arkhilokhos, petites gouttes prises d’un océan ;


Et chez Alexandros, de jeunes pousses d’olivier * et le bleuet rouge de Polykleïtès ;


Et aussi l’amarakos de Polystratos, la fleur des poètes, * et le jeune troène rouge d’Antipatêr ;


Et encore il y plaça des épis de nard syrien * du poète qu’on nomme le don d’Hermès ;


Et Poseidippos, et Hêdylos, fleurs des champs, * et les fleurs de Sikélidès qui s’ouvrent au souffle des vents ;


Et certes aussi le (rameau) d’or du divin Platôn, * rameau illustre et de toutes parts lumineux.


Il y a jeté aussi Aratos, expert en les astres, et du céleste * palmier la première coupe des bourgeons enroulés ;


Et le beau lôtos chevelu de Khairêmôn, mêlé à la phlox * de Phaidimos et au souple œil de bœuf d’Antagoras ;


Et la plante amie des amphores pour le jeune Théodoridès : * le serpolet, et les bleuets de Phanias ;


Et beaucoup d’autres rameaux frais coupés ; et de ma Muse * aussi, quelques giroflées blanches un peu hâtives ;


Mais à mes amis je la tends en offrande ; qu’elle soit aussi pour les initiés * l’harmonieuse et douce couronne fleurie des Muses.


XCVI

LA DERNIÈRE ÉPIGRAMME


Moi, annonciatrice de l’extrême borne, la Fin, * gardienne très fidèle des pages écrites.


Je dis que, de tout, il a rassemblé en un seul travail, * — le poète — ces choses enveloppées dans un livre,


Et a terminé, Méléagros. Immortelle pour Dioklès * il a tressé la Couronne Fleurie des Muses.


Et moi, repliée comme le dos d’un dragon, * je trône à ma place, à la fin de la bonne poésie.