Œuvres complètes de Maximilien de Robespierre/Tome 1/Avertissement


AVERTISSEMENT




Magistrat et homme de lettres Mercier-Dupaty naquit à La Rochelle en 1744, et mourut à Paris le 11 septembre 1788. Sa famille, originaire de l’Aunis, était noble[1]. Son aïeul avait été conseiller au Conseil supérieur du Cap Français. Son père, homme de lettres, membre de l’Académie de La Rochelle avait été trésorier de France. On cite de lui deux travaux, ses réflexions sur l’agriculture en Aunis relatives à l’acclimatement du platane, et un mémoire sur les bouchots à moules[2].

Littérateur — il avait composé son essai sur Quintilien, dont le manuscrit lui fut volé au Palais Royal au sortir d’une société académique où il en avait fait lecture —, poète à ses heures — car il écrivit six élégies traduites de Properce et de Catulle — Dupaty fonda à l’Académie de La Rochelle dont il était membre, ainsi que de celle de Bordeaux[3] un prix pour l’éloge du bon roi Henri iv. Le discours qu’il prononça à cette occasion fut adressé à Voltaire qui félicita l’auteur par lettre du 27 mars 1769. « Un beau siècle se prépare, lui répondit Voltaire. Vous en serez un des plus rares ornements. Vous ferez servir vos grans talents à écraser le fanatisme, qui a toujours voulu qu’on le prît pour la religion ». Voltaire avait dit vrai. Dupaty, fut très célèbre à la fin du vxiiie siècle[4]. Il le fut comme littérateur. Au moment où l’abbé Barthélemy allait publier son Jeune Anacharsis il écrivit des Lettres sur l’Italie qui furent à l’époque très goûtées. « D’autres, écrivait-il, rapporteront de Rome, des tableaux, des marbres, des médailles, des productions d’histoire naturelle ; moi j’en rapporterai des sensations, des sentiments et des idées et surtout les idées, les sentiments et les sensations qui naissent au pied des colonnes antiques, sur le haut des arcs de triomphe, dans le fond des tombeaux en ruines, sur les bords mousseux des fontaines »[5].

En 1769, à vingt-six ans, Dupaty nommé avocat général au Parlement de Bordeaux ne tarda pas à prendre parti dans le conflit qui mettait aux prises la royauté et les Parlements ; il fut emprisonné, puis relâché[6] ; mais il ne cessa de considérer son rappel, non comme une grâce, mais comme un acte de justice, ce qui faisait dire à Voltaire écrivant en 1777 à François de Neufchâteau : « Dupaty daigna autrefois honorer ma retraite de sa présence, lorsqu’il était un peu victime de son éloquence et de son courage. C’est un homme de rare mérite ». Le poète Roucher reflétait les sentiments unanimes quand il qualifiait Dupaty

Un homme incorruptible, intrépide, équitable
Qui, sensible aux malheurs par le peuple soufferts
Sut braver jeune encore et l’exil et les fers.


Dupaty avait, en effet, dévoilé sans pitié les erreurs judiciaires, défendu les veuves accusées, protesté contre les arrestations arbitraires. En 1777, c’était la justification de sept hommes condamnés par le Parlement de Metz en 1769 sur les seules dépositions des Juifs plaignants, les quatre premiers à la question préalable, et à la mort ; et les trois autres à la question préparatoire et aux galères perpétuelles [7]. En 1783 il plaidait éloquemment la cause de trois infortunés, Bradier, Simarre et Lardoise condamnés à la roue ; le mémoire justificatif qu’il écrivit fit grand bruit[8]. Le Parlement de Paris, par arrêt du 11 août 1786 condamna le mémoire à être lacéré et brûlé par la main du bourreau. Le public se passionna pour la cause devenue célèbre et le défenseur en sortit grandi, respecté et admiré. Dupaty mourut en pleine gloire[9], à l’aube de la Révolution.

C’était, écrivait La Harpe : « Un magistrat vertueux que la philosophie avait affranchi des préjugés de son état et dont elle pleure aujourd’hui la perle avec tous les malheureux dont il était le protecteur ; le courageux du Paty qui descendoit dans les cachots pour en tirer des innocens, et qui consacroit a les défendre, son temps ses talents et sa fortune, attaquoit avec foule l’énergie d’une belle âme les vices monstrueux de notre procédure criminelle, les dénonçait à l’indignation de l’Europe et à l’équité bienfaisante du souverain ».

Et Condorcet écrivait dans la vie de Voltaire : « c’est ainsi qu’on a vu un magistrat enlevé trop tôt à ses amis et aux malheureux intéresser l’Europe à la cause de trois paysans de Champagne, et obtenir par son éloquence et par la persécution, une gloire brillante et durable, pour prix d’un zèle que le sentiment de l’humanité, l’amour de la justice avaient seuls inspiré. Les hommes incapables de ces actions ne manquent jamais de les attribuer au désir de la renommée. Ils ignorent quelles angoisses le spectacle d’une injustice fait éprouver à une âme fière et sensible, à quel point il tourmente la mémoire et la pensée, combien il fait sentir le besoin impérieux de prévenir ou de réparer le crime ; ils ne connaissent point ce trouble, cette horreur involontaire qu’excitent dans tous les sens, la vue, l’idée seule d’un oppresseur triomphant ou impuni ».

Pour honorer le héros qui avait été l’un de ses membres, l’un de ses enfants, l’Académie de la Rochelle mit son Éloge au concours.

En 1789, parut sans nom d’éditeur un Éloge de messire Charles-Marguerite-Jean-Baptiste Mercier Dupaty, président à mortier au Parlement de Bordeaux par M. R. avocat en Parlement. La brochure porte pour épigraphe deux vers d’Horace :

Multis ille bonis flebilis ocudit.
Nulli flebilior quain mihi…[10]

Quel est cet R. avocat en Parlement ? Les uns disent que l’auteur est Robespierre ; M. Delayant, ancien bibliothécaire de la ville de la Rochelle a contesté cette paternité et estimé que l’auteur de cet éloge était M. Réaud, avocat en Parlement, mais nous avons vainement cherché des renseignements sur cet avocat. La question eût été vite tranchée si l’Académie de la Rochelle avait conservé les quatre manuscrits originaux qui lui avaient été adressés pour le concours qu’elle avait ouvert. Ces mémoires ont existé : puisque Delayant les a signalés[11], mais en dépit de toutes les investigations, les recherches sont restées vaines[12]. Pour le discours à l’Académie de Metz, pour l’éloge de Gresset, nous possédons le manuscrit qui est de la main de Robespierre. Pour l’éloge de Dupaty, nous ne pouvons que supposer et attribuer, mais sans preuves.

Lorsque M. Stefane-Pol publia dans son livre de Robespierre à Fouché[13] un article « À propos de trois hommes condamnés à la roue en 1783 », on put croire qu’une intéressante découverte bibliographique faite en dépouillant des manuscrits de Robespierre allait dévoiler l’anonymat ténébreux. Stefane-Pol avait en effet retrouvé dans les papiers de Robespierre la copie d’un discours prononcé par l’avocat Legrand de Laleu. « Quelques notes, écrivait-il, tracées par Robespierre, y étaient jointes ; elles prouvent manifestement qu’il est l’auteur de l’éloge anonyme de Du Paty paru en 1789 ». Malheureusement M. Stefane-Pol, interrogé à ce sujet, n’a pu fournir aucun renseignement sur les notes qu’il a eues entre les mains. Je veux croire avec lui et avec Querard[14]que l’éloge de Dupaty est de Robespierre ; mais je ne puis l’affirmer.

Robespierre aimait écrire pour les concours littéraires ; il s’était essayé à Metz et à Amiens ; il n’y a rien d’étonnant à ce qu’il se soit présenté à l’Académie de la Rochelle, bien qu’on lui ait fait écrire dans ses Mémoires qualifiés authentiques : « Quoiqu’il en soit, que ma dévotion ait déplu aux philosophes, ou ma philosophie aux dévots, mon ouvrage [sur Gresset] n’obtint pas le prix et depuis lors je me décidai à quitter l’arène des concours littéraires »[15]. À en croire l’auteur des Mémoires, — en l’espèce Robespierre — le dépit éprouvé lors du concours d’Amiens aurait étouffé à jamais en lui les velléités d’éloges académiques. Si nous prenons sa déclaration au pied de la lettre, l’éloge de Dupaty ne pourrait être attribué à Robespierre.

L’Académie d’Arras était d’ailleurs en relations suivies avec celle de la Rochelle ; des membres honoraires de la Société littéraire d’Arras étaient en même temps membres de l’Académie royale des Belles Lettres de la Rochelle. Tel était le cas de M. d’Açarq[16] avocat au Parlement, maître de langues à Paris et plus tard professeur de langues et de Belles Lettres françaises à l’École royale militaire[17], membre en outre des Académies de Florence et de Dunkerque[18].

Il est possible que Robespierre ait connu Daçarq, qu’il ait été mis par lui en relations avec les membres de l’Académie de la Rochelle. Mais jusqu’à preuve du contraire, rien ne nous permet d’inférer que l’éloge de Dupaty soit l’œuvre de Robespierre. D’autres plus heureux résoudront peut-être cette question d’attribution.



  1. Annales de l’Académie de la Rochelle, 1857.
  2. Delayant, Bibliographie Rochelaise, 1882, p. 94 et 105. L’éloge de Dupaty père fut prononcé à l’Académie de La Rochelle le 6 mai 1767 par Bernon de Salins.
  3. En 1770, Dupaty proposa à l’Académie de Bordeaux l’éloge de Montaigne, et fit les fonds pour le prix.
  4. À consulter pour sa biographie : Ivan de Saint-Pierre, Le président Dupaty, sa vie et son temps, Bordeaux, 1862 ; — Henri Chauvot, Le barreau de Bordeaux de 1773 à 1815, Paris, Durand, 1856, 619 p. ; — Éloge de M. le président Dupaty, suivi de notes sur plusieurs points importants de l’ordre. À Naples, 1789, 87 p., 8° ; — Le président Dupaty aux Champs Élysées, 1788, 8°, 31 p.
  5. Lettres sur l’Italie en 1785. À Rome, et se trouve à Paris chez de Senne libraire de Monseigneur comte d’Artois au Palais Royal, 1788, 2 vol., lettre lxiv ; — Lettres sur l’Italie par Dupaty. Paris, Ménard et Desenne, 1819, 2 vol. ; — Idem, Paris, Verdières, quai des Augustins, 1824.
  6. Représentations du Parlement de Bordeaux au roi sur l’enlèvement et l’emprisonnement du sieur Dupaty, l’un des avocats au dit Parlement, s. l. n. d., 28 p.
  7. MDCCLXXVII, 8o, 116 p.
  8. Mémoire justificatif pour trois hommes condamnés à la roue. À Paris, de l’imprimerie de Philippe Denis Pierre, premier imprimeur ordinaire du Roi, 1786, 4o, 251 p.
  9. La mort de M. le président Dupaty, élégie par M. Messent, suivi de vers prononcés devant M. le président Dupaty et devant les trois infortunés dont il avait pris la défense à son retour de Rouen, où il avait enfin obtenu l’arrêt qui les déclaroit innocens. De l’imprimerie de N.-H. Nyon, rue Mignon, 1789, 14 p.
  10. In-8° 46 pages. Nous connaissons quatre exemplaires de cette brochure : à la Bibliothèque Nationale, à la Bibliothèque d’Arras, à celle des Archives départementales du Pas-de-Calais (provenance Barbier), à la Bibliothèque de la Rochelle.
  11. Léopold Délayant. Bibliographie rochelaise, œuvre posthume publiée par ordre du Conseil municipal avec une préface de Georges Musset, La Rochelle, Siret. 1882.
  12. Nous remercions tout particulièrement M. Musset, bibliothécaire de la ville de la Rochelle, et M. Pandin archiviste départemental de la Charente-Inférieure, qui ont bien voulu fouiller dans les archives de l’Académie rocheloise.
  13. Stephane-Pol. De Robespierre à Fouché. Notes de Police. Documents inédits. Papiers secrets, erreurs Judiciaires, Complots pamphlets. Choses d’Église. Paris, Flammarion, p. 1 à 10.
  14. Mém. auth. de Max Robespierre, Paris 1830, t. I. 262. Rappelons que ces soi-disant Mémoires sont l’œuvre de Charles Reybaud et que Charlotte Robespierre les désavoue au moment même.
  15. Discours de M. d’Açarq, de la Société Littéraire d’Arras, pour sa récep- tion à l’Académie royale des Belles Lettres de la Rochelle. À Amsterdam, MDCCLXIII, in-8o, 179 p.
  16. Van Drivai, Histoire de l’Académie d’Arras, p. 245.
  17. Les Robespierre, monographie bibliographique, Paris, mars 1863, p. 9.
  18. J. P. Daçarq, octogénaire, devenu instituteur républicain, s’était désannobli. Il finit à Saint-Omer, comme juge au Tribunal civil et criminel du département du Pas-de-Calais, après avoir composé en l’an VII un « Petit recueil de vers françois et de vers latins frappés depuis et pour notre Révotion philosophique. » À St-Omer, de l’Imprimerie de Fertel, rue de l’Instruction an 7, 28 p. in-8o.