Œuvres complètes de Lamartine (1860)/Tome 3/Secondes Harmonies poétiques et religieuses/Le Génie dans l’obscurité/Commentaire

Œuvres complètes de LamartineChez l’auteur (p. 101-102).
COMMENTAIRE

DE LA ONZIÈME HARMONIE



On connaît le génie poétique et sensible de M. Reboul, poëte et ouvrier, si antique de pensée, si noble de sentiment. Le travail ne déroge pas. On connaît moins sa vie : je l’ignorais moi-même. Un jour, passant à Nîmes, je voulus, avant de visiter les Arènes, visiter ce frère en poésie. Un pauvre homme que je rencontrai dans la rue me conduisit à la porte d’une petite maison noire, sur le seuil de laquelle on respirait cette délicieuse odeur de pain cuit sortant du four. J’entrai : un jeune homme en manches de chemise, les cheveux noirs légèrement cendrés de farine, était au comptoir, vendant du pain à de pauvres femmes. Je me nommai, il ne rougit pas ; il passa sa veste et me conduisit, par un escalier de bois, dans sa chambre de travail, au-dessus de sa boutique. Il y avait le lit de sa femme, une table à écrire, quelques livres, et quelques vers commencés sur des feuilles éparses. Nous causâmes de notre métier commun. Il me lut des vers admirables, et des scènes de tragédie antique qui respirent la mâle sévérité du génie romain. On sentait que cet homme avait fréquenté les souvenirs vivants de Rome, et que son âme était une pierre détachée de ces monuments au pied desquels il avait grandi, un lierre ou un laurier sauvage du pont du Gard ou des Arènes.

Depuis, j’ai revu Reboul à l’assemblée constituante. Âme libre, et née pour une république ; cœur simple et pur, comme il en faudrait tant au peuple pour lui faire conserver et honorer la liberté qu’il a conquise, et qu’il perdra s’il ne sait ni la modérer par la justice, ni la sanctifier par la vertu.