Œuvres complètes de Lamartine (1860)/Tome 1/Le Soir/Commentaire
J’avais perdu depuis quelques mois, par la mort, l’objet de l’enthousiasme et de l’amour de ma jeunesse. J’étais venu m’ensevelir dans la solitude chez un de mes oncles, l’abbé de Lamartine, au château d’Ursy, dans les montagnes les plus boisées et les plus sauvages de la haute Bourgogne. J’écrivis ces strophes dans les bois qui entourent ce château, semblable à une vaste et magnifique abbaye. Mon oncle, homme excellent, retiré du monde depuis la révolution, vivait en solitaire dans cette demeure. Il avait été, dans sa jeunesse, un abbé de cour, dans l’esprit et dans la dissipation du cardinal de Bernis. La révolution l’avait enchaîné et proscrit. Il l’aimait cependant, parce qu’elle lui avait permis d’abandonner sans scandale le sacerdoce, auquel sa famille l’avait contraint et auquel sa nature répugnait. Il s’était consacré à l’agriculture. Il cultivait ses vastes champs, soignait ses forêts, élevait ses troupeaux. Il m’aimait comme un père. Il me donnait asile toutes les fois que les pénuries ou les lassitudes de la jeunesse me saisissaient. Sa maison était mon port de refuge : j’y passais des saisons entières, tête à tête avec lui. Sa bibliothèque savante et littéraire me nourrissait l’esprit ; ses bois couvraient mes rêveries, mes tristesses, mes contemplations errantes ; sa gaieté tendre, sereine et douce, me consolait de mes peines de cœur. Il planait philosophiquement sur toutes choses, comme s’il n’eût plus appartenu à la vie que par le regard. En mourant, il me légua son château et ses bois. Ils ont passé en d’autres mains. Mes souvenirs les habitent souvent, et cherchent sa tombe pour y couvrir sa mémoire de mes bénédictions.