Œuvres complètes de Lamartine (1860)/Tome 1/Le Désespoir/Commentaire

COMMENTAIRE

DE LA SEPTIÈME MÉDITATION



Il y a des heures où la sensation de la douleur est si forte dans l’homme jeune et sensible, qu’elle étouffe la raison. Il faut lui permettre alors le cri et presque l’imprécation contre la destinée ! L’excessive douleur a son délire, comme l’amour. Passion veut dire souffrance, et souffrance veut dire passion. Je souffrais trop ; il fallait crier.

J’étais jeune, et les routes de la vie se fermaient devant moi comme si j’avais été un vieillard. J’étais dévoré d’activité intérieure, et on me condamnait à l’immobilité ; j’étais ivre d’amour, et j’étais séparé de ce que j’adorais : les tortures de mon cœur étaient multipliées par celles d’un autre cœur. Je souffrais comme deux, et je n’avais que la force d’un. J’étais enfermé, par les suites de mes dissipations et par l’indigence, dans une retraite forcée à la campagne, loin de tout ce que j’aimais ; j’étais malade de cœur, de corps, d’imagination ; je n’avais pour toute société que les bois chargés de givre de la montagne en face de ma fenêtre, et les vieux livres d’histoire, cent fois relus, écrits avec les larmes des générations qu’ils racontent, et avec le sang des hommes vertueux que ces générations immolent on récompense de leurs vertus. Une nuit, je me levai, je rallumai ma lampe, et j’écrivis ce gémissement ou plutôt ce rugissement de mon âme. Ce cri me soulagea : je me rendormis. Après, il me sembla que je m’étais vengé du destin par un coup de poignard.

Il y avait bien d’autres strophes plus acerbes, plus insultantes, plus impies. Quand je retrouvai cette Méditation, et que je me résolus à l’imprimer, je retranchai ces strophes. L’invective y montait jusqu’au sacrilége. C’était byronien ; mais c’était Byron sincère, et non joué.