Œuvres complètes de La Fontaine (Marty-Laveaux)/Tome 2/Poëmes

Œuvres complètes, tome 2, Texte établi par Ch. Marty-LaveauxP. Jannet (p. 359-460).






A D O N I S



POËME.



 







A MONSEIGNEUR
F O U C Q U E T
Ministre d’Estat, Sur-Intendant des Finances, et Procureur
general au Parlement de Paris[1]

MONSEIGNEUR,

Je n’ay pas assez de vanité pour esperer que ces fruits de ma solitude vous puissent plaire : les plus beaux vergers du Parnasse en produisent peu qui meritent de vous estre offerts. Vostre esprit est doué de tant de lumieres, et fait voir un goust si exquis et si délicat pour tous nos ouvrages, particulierement pour le bel art de celebrer les hommes qui vous ressemblent, avec le langage des dieux, que peu de personnes seroient capables de vous satisfaire. Je ne suis pas de ce petit nombre, et je me serois contenté, Monseigneur, de vous reverer au fond de mon ame, si le zele que j’ay pour vous eût pû souffrir des bornes si étroites, et garder un silence respectueux. Certes, vostre merite nous reduit tous à la necessité d’un choix bien difficile ; il est malaisé de s’en taire, et l’on ne sçauroit en parler assez dignement. Car, quand je diray que l’estat ne se peut passer de vos soins, et que les ministres de plus d’un regne n’ont point acquis une experience si consommée que la vostre ; quand je diray que vous estimez nos veilles, et que c’est une marque à laquelle on a toûjours reconnu les grands hommes ; quand je parleray de vostre generosité sans exemple, de la grandeur de tous vos sentimens, de cette modestie qui nous charme ; enfin, quand j’avouëray que vostre esprit est infiniment élevé, et qu’avec cela j’avouëray encore que vostre ame l’est davantage que vostre esprit, ce seront quelques traits de vous à la verité, mais ce ne sera point ce grand nombre de rares qualitez qui vous fait admirer de tout ce qu’il y a d’honnestes gens dans la France. Et non seulement, Monseigneur, vous attirez leur admiration, vous les contraignez mesme par une douce violence de vous aymer. On ne l’a que trop remarqué pendant cet extrême peril, dont vous ne faites que de sortir. Vous sçavez bien qu’ils vous regardent comme le heros destiné pour vaincre la dureté de nostre siecle, et le mépris de tous les beaux arts. Les Muses qui commençoient à se consoler de la mort d’Armand, par l’estime que vous faites d’elles, en vous voyant malade, se voyoient sur le point de perdre encore une fois leurs amours ; elles se condamnoient dés-jà à une solitude perpetuelle, et la gloire, avec tous ses charmes, alloit devenir une chose indifferente à ceux d’entre nous qui ont toûjours esté les plus amoureux. Le Ciel nous a guarentis du malheur qui nous menaçoit : agréez, Monseigneur, que je vous en témoigne ma joye, en vous offrant mon dernier ouvrage. Ce sont les amours de Venus et d’Adonis, c’est la fin malheureuse de ce beau chasseur, sur le tombeau duquel on a veu toutes les dames grecques pleurer, et que la divine mere d’amour a regretté pendant tout le temps du paganisme, elle qui n’avoit pas accoustumé de jetter des larmes pour la perte de ses amans. Si la matiere vous en semble assez belle, et que je sois assez heureux pour obtenir quelques momens de vostre loisir, ne jugez pas de moy par le merire de mon ouvrage, mais par le respect avec lequel je suis,

MONSEIGNEUR,

Vostre trés humble et trés obeissant serviteur,
DE LA FONTAINE.
AVERTISSEMENT[2].


Il y a long-temps que cet Ouvrage est composé ; et peut-estre n’en est-il pas moins digne de voir la lumiere. Quand j’en conceus le dessein, j’avois plus d’imagination que je n’en ay aujourd’huy. Je m’estois toute ma vie exercé en ce genre de Poësie que nous nommons Heroïque : c’est assurément le plus beau de tous, le plus fleuri, le plus susceptible d’ornemens, et de ces figures nobles et hardies qui font une langue à part, une langue assez charmante pour meriter qu’on l’appelle la langue des Dieux. Le fonds que j’en avois fait, soit par la lecture des Anciens, soit par celle de quelques-uns de nos modernes, s’est presque entierement consumé dans l’embellissement de ce Poëme, bien que l’Ouvrage soit court, et qu’à proprement parler il ne merite que le nom d’Idile[3]. Je l’avois fait marcher à la suite de Psiché, croyant qu’il estoit à propos de joindre aux Amours du Fils celles de la Mere. Beaucoup de personnes m’ont dit que je faisois tort à l’Adonis. Les raisons qu’ils en apportent sont bonnes ; mais je m’imagine que le public se soucie trés-peu d’en estre informé ; ainsi je les laisse à part. On est tellement rebuté des Poëmes à present, que j’ay toûjours craint que celuy-cy ne receust un mauvais accueil et ne fust enveloppé dans la commune disgrace : il est vray que la matiere n’y est pas sujette : si d’un costé le goust du temps m’est contraire, de l’autre il m’est favorable. Combien y a-t-il de gens aujourd’huy qui fermeroit l’entrée de leur cabinet aux divinitez que j’ay coûtume de celebrer ? Il n’est pas besoin que je les nomme, on sçait assez que c’est l’Amour et Venus ; ces puissances ont moins d’ennemis qu’elles n’en ont jamais eu. Nous sommes en un siécle où on écoute assez favorablement tout ce qui regarde cette famille ; pour moy qui luy dois les plus doux momens que j’aye passez jusqu’icy, j’ay cru ne pouvoir moins faire que de raconter ses avantures de la façon la plus agreable qu’il m’est possible.

A D O N I S





Je n’ay pas entrepris de chanter dans ces vers[4],
Rome ny ses enfans vainqueurs de l’Univers,
Ny les fameuses tours qu’Hector ne pût defendre,
Ny les combats des Dieux aux rives du Scamandre[5] :
Ces sujets sont trop hauts, et je manque de voix ;
Je n’ay jamais chanté que l’ombrage des bois,
Flore, Echo, les Zephirs, et leurs molles haleines,
Le verd tapis des prez et l’argent des fontaines.
C’est parmy les forests qu’a vescu mon Heros ;
C’est dans les bois qu’Amour a troublé son repos.
Ma Muse en sa faveur de Myrte s’est parée ;
J’ay voulu celebrer l’amant de Cytherée,
Adonis, dont la vie eut des termes si courts[6],

Qui fut pleuré des Ris, qui fut plaint des Amours.
Amynte ; c’est à vous que j’offre cet ouvrage ;
Mes chansons et mes vœux, tout vous doit rendre hommage
Trop heureux si j’osois conter à l’Univers
Les tourmens infinis que pour vous j’ay souferts !
Quand vous me permettrez de chanter vostre gloire,
Quand vos yeux, renommez par plus d’une victoire,
Me laisseront vanter le pouvoir de leurs traits,
Et l’empire d’Amour accreu par vos attraits,
Je vous peindray si belle et si pleine de charmes,
Que chacun benira le sujet de mes larmes.
Voilà l’unique but où tendent mes souhaits.
Cependant recevez le don que je vous fais,
Ne le dédaignez pas, lisez cette avanture,
Dont, pour vous divertir, j’ay tracé la peinture[7].

Aux monts Idaliens un bois delicieux
De ses arbres chenus semble toucher les Cieux,
Sous ses ombrages verts loge la Solitude[8].
Là le jeune Adonis, exempt d’inquietude,
Loin du bruit des citez, s’exerçoit à chasser,

Ne croyant pas qu’Amour pûst jamais l’y blesser[9].
A peine son menton d’un mol duvet s’ombrage,
Qu’aux plus fiers animaux il monstre[10] son courage.
Ce n’est pas le seul don qu’il ait receu des Dieux ;
Il semble estre formé pour le plaisir des yeux.
Qu’on ne nous vante point le ravisseur d’Helene,
Ny celuy qui jadis aymoit une ombre vaine,
Ny tant d’autres Heros fameux par leurs appas ;
Tous ont cedé le prix au fils de Cyniras.
Déja la Renommée, en naissant inconnuë,
Nymphe qui cache enfin sa teste dans la nüe[11],
Par un charmant recit amusant l’Univers,
Va parler d’Adonis à cent peuples divers,
A ceux qui sont sous l’Ourse, aux voisins de l’Aurore,
Aux filles du Sarmate, aux pucelles du More ;
Paphos sur ses autels le void presque eslever,
Et le cœur de Venus ne sçait où se sauver.
L’image du Heros, qu’elle a toûjours presente,
Verse au fond de son ame une ardeur violente :
Elle invoque son fils, elle implore ses traits,
Et tasche d’assembler tout ce qu’elle a d’attraits[12].
Jamais on ne luy vid un tel dessein de plaire ;
Rien ne luy semble bien, les Graces ont beau faire.
Enfin, s’accompagnant des plus discrets Amours,

Aux monts Idaliens elle dresse son cours.
Son char, qui trace en l’air de longs traits de lumiere,
A bien-tost achevé l’amoureuse carriere.
Elle trouve Adonis prés des bords d’un ruisseau.
Couché sur des gazons, il resve au bruit de l’eau[13] ;
Il ne void presque pas l’onde qu’il considere ;
Mais l’éclat des beaux yeux qu’on adore en Cythere
L’a bien-tost retiré d’un penser si profond.
Cet objet le surprend, l’estonne et le confond ;
Il admire les traits de la fille de l’onde.
Un long tissu de fleurs, ornant sa tresse blonde,
Avoit abandonné ses cheveux aux Zephirs ;
Son écharpe, qui vole au gré de leurs soûpirs,
Laisse voir les tresors de sa gorge d’albastre.
Jadis en cet estat Mars en fut idolastre,
Quand aux champs de l’Olympe on celebra des jeux
Pour les Titans défaits par son bras valeureux.
Rien ne manque à Venus ; ny les lys, ny les roses,
Ny le meslange exquis des plus aymables choses,
Ny ce charme secret dont l’œil est enchanté,
Ny la grace plus belle encor que la beauté.
Telle on vous void, Amynte : une grace fidelle
Vous peut de tous ces traits presenter un modelle ;
Et, s’il faloit juger de l’objet, le plus doux,
Le sort seroit douteux entre Venus et vous.
Tandis que le Heros admire Citherée,
Elle rend par ces mots son ame rassurée[14] :
Trop aymable mortel, ne crain point mon aspect ;
Que de la part d’Amour rien ne te soit suspect :
En ces lieux écartez c’est luy seul qui m’ameine.

Le Ciel est ma patrie, et Paphos mon domaine.
Je les quitte pour toy ; voy si tu veux m’aymer.
Le transport d’Adonis ne se peut exprimer.
O Dieux ! s’écria-t-il, n’est ce point quelque songe ?
Puis-je embrasser l’erreur où ce discours me plonge ?
Charmante Deïté, vous dois-je ajoûter foy ?
Quoy ! vous quittez les Cieux, et les quittez pour moy ?
Il me seroit permis d’aymer une Immortelle !
Amour rend ses sujets tous égaux, luy dit-elle ;
La beauté, dont les traits mesme aux Dieux sont si doux,
Est quelque chose encor de plus divin que nous.
Nous aymons, nous aymons, ainsi que toute chose :
Le pouvoir de mon fils de moy-mesme dispose :
Tout est né pour aymer. Ainsi parle Venus ;
Et ses yeux eloquens en disent beaucoup plus ;
Ils persuadent mieux que ce qu’a dit sa bouche.
Ses regards, truchemens de l’ardeur qui la touche,
Sa beauté souveraine, et les traits de son fils,
Ont contraint Mars d’aymer ; que peut faire Adonis ?
Il ayme, il sent couler un brasier dans ses veines ;
Les plaisirs qu’il attend sont accrus par ses peines :
Il desire, il espere, il craint, il sent un mal
A qui les plus grands biens n’ont rien qui soit égal.
Venus s’en apperçoit, et feint qu’elle ignore :
Tous deux de leur amour semblent douter encore,
Et, pour s’en asseurer chacun de ces Amans
Mille fois en un jour fait les mesmes sermens[15].

Quelles sont les douceurs qu’en ces bois ils gousterent !
O vous de qui les voix jusqu’aux astres monterent
Lors que par vos chansons tout l’Univers charmé
Vous ouït celebrer ce couple bien aimé,
Grands et nobles esprits, Chantres incomparables,
Meslez parmy ces sons vos accords admirables[16].
Echo, qui ne taist rien, vous conta ces amours ;
Vous les vistes gravez au fond des antres sourds ;
Faites que j’en retrouve au temple de Memoire
Les monumens sacrez, sources[17] de vostre gloire,
Et que, m’estant formé sur vos sçavantes mains ;
Ces vers puissent passer aux derniers des humains[18] !
Tout ce qui naist de doux en l’amoureux empire,
Quand d’une égale ardeur l’un pour l’autre on soûpire,
Et que, de la contrainte ayant banni les loix,
On se peut asseurer au silence des bois,
Jours devenus momens, momens filez de soye,

Agreables soûpirs, pleurs enfans de la joye,
Voeux, sermens et regards, transports, ravissemens
Meslange dont se fait le bon-heur des Amans ;
Tout par ce couple heureux fut lots mis en usage.
Tantost ils choisissoient l’épaisseur d’un ombrage ;
Là, sous des chesnes vieux, où leurs chiffres gravez
Se sont avec les troncs accreus et conservez,
Mollement estendus, ils consumoient les heures,
Sans avoir pour témoins, en ces sombres demeures,
Que les chantres des bois, pour confidens qu’Amour,
Qui seul guidoit leurs pas en cet heureux sejour.
Tantost sur des tapis d’herbe tendre et sacrée[19]
Adonis s’endormoit auprés de Cytherée,
Dont les yeux, enyvrez par des charmes puissans,
Attachoient au Heros leurs regards languissans[20].
Bien souvent ils chantoient les douceurs de leurs peines ;
Et quelquefois, assis sur le bord des fontaines,
Tandis que cent cailloux, luitans à chaque bond,
Suivoient les longs replis du cristal vagabond,
Voiez, disoit Venus, ces ruisseaux et leur course ;
Ainsi jamais le temps ne remonte à sa source :
Vainement pour les Dieux il fuit d’un pas leger[21]  ;
Mais vous autres mortels le devez ménager,

Consacrant à l’Amour la saison la plus belle[22].
Souvent, pour divertir leur ardeur mutuelle,
Ils dansoient aux chansons, de Nymphes entourez.
Combien de fois la Lune a leurs pas éclairez,
Et, couvrant de ses rais l’émail d’une prairie[23],
Les a veus à l’envy fouler l’herbe fleurie !
Combien de fois le jour a veu les antres creux
Complices des larcins de ce couple amoureux[24] !
Mais n’entreprenons pas d’oster le voile sombre
De ces plaisirs amis du silence et de l’ombre.
Il est temps de passer au funeste moment
Où la triste Venus doit quitter son amant.
Du bruit de ses amours Paphos est alarmée ;
On dit qu’au fond d’un bois la Déesse charmée,
Inutile aux mortels, et sans soin de leurs vœux,
Renonce au culte vain de ses temples fameux.
Pour dissiper ce bruit, la Reyne de Cythere
Veut quitter pour un temps ce sejour solitaire.
Que ce cruel dessein luy donne de douleurs[25] !
Un jour que son Amant la voyoit toute en pleurs,
Déesse, luy dit-il, qui causez mes alarmes[26],
Quel ennuy si profond vous oblige à ces larmes ?

Vous aurois-je offensée, ou ne m’aymez-vous plus ?
Ah ! dit-elle, quittez ces soupçons superflus ;
Adonis tascheroit en vain de me déplaire[27] :
Ces pleurs naissent d’amour, et non pas de colere.
D’un déplaisir secret mon cœur se sent atteint :
Il faut que je vous quitte, et le sort m’y contraint ;
Il le faut ; Vous pleurez ! Du moins, en mon absence,
Conservez-moy toûjours un cœur plein de constance[28] ;
Ne pensez qu’à moy seule, et qu’un indigne choix
Ne vous attache point aux Nymphes de ces bois :
Leurs fers aprés les miens ont pour vous de la honte[29] ;
Sur tout de vostre sang il me faut rendre compte ;
Ne chassez point aux Ours, aux Sangliers, aux Lions ;
Gardez-vous d’irriter tous ces Monstres felons !
Laissez[30] les animaux qui, fiers et pleins de rage,
Ne cherchent leur salut qu’en montrant leur courage ;
Les Daims et les Chevreuils, en fuyant devant vous,
Donneront à vos sens des plaisirs bien plus doux[31].
Je vous ayme, et ma crainte a d’assez justes causes ;
Il sied bien en amour de craindre toutes choses.
Que deviendrois-je, helas ! si le sort rigoureux
Me privoit pour jamais de objet de mes vœux[32] ?

Là, se fondant en pleurs, on void croistre ses charmes.
Adonis luy répond seulement par des larmes.
Elle ne peut partir de ces aymables lieux,
Cent humides baisers achevent ses adieux.
O vous, tristes plaisirs où leur ame se noye,
Vains et derniers efforts d’une imparfaite joye,
Momens pour qui le sort rend leurs vœux superflus,
Delicieux momens, vous ne reviendrez plus !
Adonis void un char descendre de la nuë :
Cytherée, y montant, disparoist à sa veuë.
C’est en vain que des yeux il la suit dans les airs ;
Rien ne s’offre à ses sens que l’horreur des deserts[33].
Les vents, sourds à ses cris, renforcent leur haleine :
Tout ce qu’il vient de voir luy semble une ombre vaine.
Il appelle Venus, fait retentir les bois,
Et n’entend qu’un Echo qui répond à sa voix.
C’est lors que, repassant dans[34] sa triste memoire
Ce que n’aguere il eut de plaisirs et de gloire,
Il tasche à rappeller ce bon-heur sans pareil :
Semblable à ces Amans trompez par le sommeil,
Qui rappellent en vain pendant la nuit obscure
Le souvenir confus d’une douce imposture :
Tel Adonis repense à l’heur qu’il a perdu ;
Il le conte aux forests, et n’est point entendu :
Tout ce qui l’environne est privé[35] de tendresse ;
Et, soit que des douleurs la nuit enchanteresse
Plonge les malheureux au suc de ses pavots,
Soit que l’astre du jour rameine leurs travaux,
Adonis sans relasche aux plaintes s’abandonne,
De sanglots redoublés sa demeure resonne ;

Cet Amant toûjours pleure, et toûjours les Zephirs[36]
En volant vers Paphos sont chargez de soûpirs.
La molle oisiveté, la triste solitude,
Poisons dont il nourrit sa noire inquietude,
Le livrent tout entier au vain ressouve[37]
Qui le vient malgré luy sans cesse entretenir.
Enfin, pour divertir l’ennuy qui le possede,
On luy dit que la chasse est un puissant remede[38].
Dans ces lieux pleins de paix, seul avecque l’Amour,
Ce plaisir occupoit les Heros d’alentour.
Adonis les assemble, et se plaint de l’outrage
Que ces champs ont receu d’un Sanglier plein de rage.
Ce Tyran des forests porte par tout l’effroy ;
Il ne peut rien souffrir de seur autour de soy :
L’avare laboureur se plaint à sa famille[39]
Que sa dent a détruit l’espoir de la faucille ;
L’un craint pour ses vergers, l’autre pour ses guerets ;
Il foule aux pieds les dons de Flore et de Ceré :
Monstre enorme et cruel, qui soüille les fontaines,
Qui fait bruire les monts, qui désole[40] les plaines,
Et, sans craindre l’effort des voisins alarmez,
S’appreste à recueillir les grains qu’ils ont semez.

Tascher de le surprendre est-tenter l’impossible ;
Il habite en un fort épais, inaccessible.
Tel on void qu’un brigand fameux et redouté
Se cache aprés ses vols en un antre écarté,
Fait des champs d’alentour de vastes cimetieres,
Ravage impunément des Provinces entiéres,
Laisse gronder les loix, se rit de leur courroux,
Et ne craint point la mort, qu’il porte au sein de tous ;
L’épaisseur des forests le dérobe aux supplices ;
C’est ainsi que le Monstre a ces bois pour complices.
Mais le moment fatal est enfin arrivé
Où, malgré sa fureur, en son sang abreuvé,
Des degasts qu’il a faits il va payer l’usure.
Helas ! qu’il vendra cher sa mortelle blessure[41] !
Un matin que l’Aurore au teint frais et riant
A peine avoit ouvert les portes d’Orient,
La jeunesse voisine autour du bois s’assemble :
Jamais tant de Heros ne s’estoient veus ensemble.
Antenor le premier sort des bras du sommeil,
Et vient au rendez-vous attendre le Soleil ;
La Déesse des bois n’est point si matinale :
Cent fois il a surpris l’amante de Cephale ;
Et sa plaintive épouse a maudit mille fois
Les veneurs et les chiens, le gibier et les bois.
Il est bien tost suivi du Satrape[42] Alcamene,
Dont le long attirail couvre toute la plaine.
C’est en vain que ses gens se sont chargez de rets ;
Leur nombre est assez grand pour ceindre les forests.
On y void arriver Bronte au cœur indomptable,
Et le Vieillard Capis, chasseur infatigable,
Qui, depuis son jeune âge ayant aymé[43], les bois,
Rend et chiens et veneurs attentifs à sa voix.
Si le jeune Adonis l’eust aussi voulu croire,

Il n’auroit pas si-tost traversé l’onde noire.
Comment l’auroit-il creu, puis qu’en vain ses amours
L’avoient sollicité d’avoir soin de ses jours ?
Par le beau Callion la troupe est augmentée.
Gilippe vient aprés, fils du riche Acantée.
Le premier, pour tous biens, n’a que les dons du corps ;
L’autre, pour tous appas, possede des tresors.
Tous deux ayment Cloris, et Cloris n’ayme qu’elle :
Ils sont pourtant parez des faveurs de la Belle.
Phlegre accourt, et Mimas, Palmire aux blonds cheveux,
Le robuste Crantor aux bras durs et nerveux,
Le Licien Telame, Agenor de Carie,
Le vaillant Triptoleme, honneur de la Syrie,
Paphe expert à luiter, Mopse à lancer le dard,
Lycaste, Palemon, Glauque, Hilus, Amilcar ;
Cent autres que je tais, troupe épaisse et confuse ;
Mais peut-on oublier la charmante Aretuse,
Aretuse au teint vif, aux yeux doux et perçans,
Qui pour le blond Palmire a des feux innocens ?
On ne l’instruisit point à manier la laine ;
Courir dans les forests, suivre un cerf dans la plaine,
Ce sont tous ses plaisirs : heureuse si son cœur
Eust pû se garentir d’amour comme de peur[44] !
On la void arriver sur un cheval superbe
Dont à peine les pas sont imprimez sur l’herbe ;
D’une charge si belle il semble glorieux :
Et, comme elle, Adonis attire tous les yeux :
D’une fatale ardeur déja son front s’allume ;
Il marche avec un air plus fier que de coûtume.
Tel Apollon marchoit quand l’enorme Piton
L’obligea de quitter l’ombre de l’Helicon[45].
Par l’ordre de Capis la troupe se partage.

De tant de gens épars le nombreux équipage,
Leurs cris, l’aboy des chiens, les cors meslez de voix,
Annoncent l’épouvante aux hostes de ces bois.
Le Ciel en retentit, les Echos se confondent,
De leurs Palais voutez tous ensemble ils répondent.
Les Cerfs, au moindre bruit à se sauver si prompts,
Les timides troupeaux des Daims aux larges fronts,
Sont contraints de quitter leurs demeures secretes :
Le bois n’a plus pour eux d’assez sombres retraites.
On court dans les sentiers, on traverse les forts ;
Chacun, pour les percer, redouble ses efforts.
Au fond du bois croupit une eau dormante et sale :
Là le monstre se plaist aux vapeurs qu’elle exhale[46] ;
Il s’y veautre sans cesse, et cherit un sejour
Jusqu’alors ignoré des mortels et du jour.
On ne l’en peut chasser ; du souci de sa vie
Bien plus à sa valeur qu’à sa fuite il se fie.
Les cors ont beau sonner, l’air a beau retentir,
Rien ne sçauroit encor l’obliger à partir.
Cependant les destins hastent sa derniere heure.
Driope la premiere évente sa demeure[47] :
Les autres chiens, par elle aussi-tost avertis,
Répondent à sa voix, frapent l’air de leurs cris,
Entraisnent les chasseurs, abandonnent leur queste ;
Toute la meute accourt, et vient lancer la beste,
S’anime en la voyant, redouble son ardeur :
Mais le fier[48] animal n’a point encor de peur.
Le coursier d’Adonis, né sur les bords du Xante,
Ne peut plus retenir son ardeur violente :

Une jument d’Ida l’engendra d’un des vents ;
Les forests l’ont nourri pendant ses premiers ans.
Il ne craint point des monts les puissantes barrieres,
Ny l’aspect étonnant des profondes rivieres,
Ny le panchant affreux des rocs et des vallons ;
D’haleine en le suivant manquent les Aquilons.
Adonis le retient pour mieux suivre la chasse.
Enfin le monstre est joint par deux chiens dont la race
Vient du viste Lelaps, qui fut l’unique prix
Des larmes dont Cephale appaisa sa Procris :
Ces deux chiens sont Melampe et l’ardente Sylvage.
Leur sort fut different, mais non pas leur courage :
Par l’homicide dent Melampe est mis à mort ;
Sylvage au poil de tigre attendoit mesme sort,
Lors que l’un des chasseurs se presente à la beste.
Sur luy tourne aussi-tost l’effort de la tempeste :
Il connoist, mais trop tard, qu’il s’est trop avancé ;
Son visage paslit, son sang devient glacé ;
L’image du trépas en ses yeux est emprainte :
Sur le teint des mourans la mort n’est pas mieux peinte.
Sa peur est pourtant vaine, et, sans estre blessé,
Du Monstre qui le heurte il se sent[49] terrassé.
Nisus, ayant cherché son salut sur un arbre,
Rit de voir ce chasseur plus froid que n’est un marbre[50] ;
Mais luy-mesme a sujet de trembler à son tour :
Le Sanglier coupe l’arbre, et les lieux d’alentour
Résonnent du fracas dont sa cheute est suivie ;
Nisus encor en l’air fait des vœux pour sa vie.
Conteray-je en détail tant de puissans efforts,
Des chiens et des chasseurs les differentes morts,
Leurs exploits avec eux cachez sous l’ombre noire ?
Seules vous les sçavez, ô filles de Memoire :
Venez donc m’inspirer ; et, conduisant ma voix,
Faites-moy dignement celebrer ces exploits.

Deux lices d’Antenor, Lycoris et Niphale,
Veulent qu’aux yeux de tous leur ardeur se signale.
Le vieux Capis luy-mesme eut soin de les dresser :
Au sanglier l’une et l’autre est preste à se lancer.
Un mastin les devance, et se jette en leur place ;
C’est Phlegon, qui souvent aux loups donne la chasse.
Armé d’un fort collier qu’on a semé[51] de clous,
A l’oreille du Monstre il s’attache en courroux :
Mais il sent aussi-tost le redoutable yvoire ;
Ses flancs sont décousus, et, pour comble de gloire,
Il combat en mourant, et ne veut point lascher
L’endroit où sur le Monstre il vient de s’attacher.
Cependant le Sanglier[52] passe à d’autres trophées :
Combien void-on sous luy de trames étouffées !
Combien en coupe-t-il ! Que d’hommes terrassez !
Que de chiens abattus, mourans, morts et blessez !
Chevaux, arbres, chasseurs, tout éprouve sa rage.
Tel passe un tourbillon, messager de l’orage ;
Telle descend la foudre, et d’un soudain fracas
Brise, brûle, détruit, met les rochers à bas.
Crantor d’un bras nerveux lance un dard à la beste :
Elle en fremit de rage, écume, et tourne teste,
Et son poil herissé semble de toutes parts
Presenter au chasseur une forest de dards.
Il n’en a point pourtant le cœur touché de crainte.
Par deux fois du Sanglier, il évite l’atteinte ;
Deux fois le Monstre passe, et ne brise en passant
Que l’épieu dont Crantor se couvre en cet instant.
Il revient au chasseur, la fuitte est inutile ;
Crantor aux environs n’apperçoit point d’asile[53] :

En vain du coup fatal il veut se détourner ;
Ne pouvant que mourir, il meurt sans s’estonner.
Pour punir son vainqueur[54], toute la troupe approche ;
L’un luy presente un dard, l’autre un trait luy décoche :
Le fer, ou se rebouche, ou ne fait qu’entamer
Sa peau que d’un poil dur le Ciel voulut armer.
Il se lance aux épieux, il previent leur atteinte ;
Plus le peril est grand, moins il montre de crainte.
C’est ainsi qu’un guerrier pressé de toutes parts
Ne songe qu’à perir au milieu des hazards :
De soldats entassez son bras jonche la terre ;
Il semble qu’en luy seul se termine la guerre :
Certain de succomber, il fait pourtant effort,
Non pour ne point mourir, mais pour vanger sa mort.
Tel, et plus valeureux, le Monstre se presente[55].
Plus le nombre s’accroist, plus sa fureur s’augmente :
L’un a les flancs ouverts, l’autre les reins rompus ;
Il masche et foule aux pieds ceux qui sont abattus.
La troupe des chasseurs en devient moins hardie ;
L’ardeur qu’ils témoignoient est bien-tôt refroidie.
Palmire toutefois s’avance malgré tous ;
Ce n’est pas du Sanglier que son cœur craint les coups :
Aretuse luy fut jadis plus redoutable ;
Jadis sourde à ses vœux, mais alors favorable,
Elle void son Amant poussé d’un beau desir,
Et le void avec crainte autant qu’avec plaisir.
Quoy ! mes bras, luy dit-il, sont conduits par les vostres[56]
Et vous me verriez fuïr aussi bien que les autres !
Non, non ; pour redouter le Monstre et son effort,
Vos yeux m’ont trop appris à mépriser la mort.
Il dit, et ce fut tout : l’effet suit la parole ;

Il ne va pas au Monstre, il y court, il y vole ;
Tourne de tous costez, esquive en l’approchant,
Hausse le bras vengeur, et d’un glaive tranchant
S’efforce de punir le Monstre de ses crimes.
Sa dent alloit d’un coup s’immoler deux victimes :
L’une eust senti le mal que l’autre en eust receu,
Si son cruel espoir n’eust point esté deceu.
Entre Palmire et luy l’Amazone se lance :
Palmire craint pour elle, et court à sa deffense[57].
Le sanglier ne sçait plus sur qui d’eux se vanger ;
Toutefois à Palmire il porte un coup leger,
Leger pour le Heros, profond pour son amante.
On l’emporte ; elle suit, inquiete et tremblante :
Le coup est sans danger ; cependant les esprits[58],
En foule avec le sang de leurs prisons sortis,
Laissent faire à Palmire un effort inutile[59].
Il devient aussi-tost pasle, froid, immobile ;
Sa raison n’agit plus, son œil se sent voiler,
Heureux s’il pouvoit voir les pleurs qu’il fait couler !
La moitié des chasseurs, à le plaindre employée,
Suit la triste Aretuse en ses larmes noyée.
Non loin de cet endroit un ruisseau fait son cours ;
Adonis s’y repose aprés mille détours.
Les Nymphes, de qui l’œil void les choses futures,
L’avoient fait égarer en des routes obscures.
Le son des cors se perd par un charme inconnu ;
C’est en vain que leur bruit à ses sens est venu.
Ne sçachant où porter sa course vagabonde,
Il s’arreste en passant au cristal de cette onde.

Mais les Nymphes ont beau s’opposer aux destins :
Contre un ordre fatal tous leurs charmes sont vains.
Adonis en ce lieu void apporter Palmire ;
Ce spectacle l’emeut, et redouble son ire[60].
A tarder plus long-temps on ne peut l’obliger :
Il regarde la gloire, et non pas le danger.
Il part, se fait guider, rencontre le carnage.
Cependant le Sanglier s’estoit fait un passage ;
Et, courant vers son fort, il se lançoit par fois
Aux chiens, qui dans le Ciel poussoient de vains abois.
On ne l’ose approcher ; tous les traits qu’on luy lance,
Estant poussez de loin, perdent leur violence.
Le Heros seul s’avance, et craint peu son courroux :
Mais Capis l’arrestant s’écrie : Où courez-vous ?
Quelle boüillante ardeur au peril vous engage ?
Il est besoin de ruse, et non pas de courage.
N’avancez pas, fuyez ; il vient à vous, ô Dieux !
Adonis, sans répondre, au Ciel leve les yeux.
Déesse, ce dit-il, qu’adore ma pensée,
Si je cours au peril, n’en sois point offensée ;
Guide plûtost mon bras, redouble son effort ;
Fais que ce trait lancé donne au Monstre la mort.
A ces mots dans les airs le trait se fait entendre :
A l’endroit où le Monstre a la peau la plus tendre
Il en reçoit le coup, se sent ouvrir les flancs,
De rage et de douleur fremit, grince les dents,
Rappelle sa fureur, et court à la vengeance.
Plein d’ardeur et leger, Adonis le devance.
On craint pour le Heros ; mais il sçait éviter
Les coups qu’à cet abord la dent luy veut porter.
Tout ce que peut l’adresse estant jointe au courage,
Ce que pour se venger tente l’aveugle rage,

Se fit lors remarquer par les chasseurs épars[61] ;
Tous ensemble au Sanglier voudroient lancer leurs dards ;
Mais peut-estre Adonis en recevroit l’atteinte.
Du cruel animal ayant chassé la crainte,
En foule ils courent tous droit aux fiers assaillans :
Courez, courez, Chasseurs un peu trop tard vaillans ;
Destournez de vos noms un éternel reproche :
Vos efforts sont trop lents, déja le coup approche.
Que n’en ay-je oublié les funestes momens !
Pourquoy n’ont pas peri ces tristes monumens !
Faut-il qu’à nos neveux j’en raconte l’histoire !
Enfin de ces forests l’ornement et la gloire,
Le plus beau des mortels, l’amour de tous les yeux,
Par le vouloir du sort ensanglante ces lieux.
Le cruel animal s’enferre dans ses armes,
Et d’un coup aussi-tost il détruit mille charmes.
Ses derniers attentats ne sont pas impunis ;
Il sent son cœur percé de l’épieu d’Adonis,
Et, luy poussant au flanc sa defense cruelle,
Meurt, et porte en mourant une atteinte mortelle.
D’un sang impur et noir il purge l’Univers :
Ses yeux d’un somme dur sont pressez et couverts,
Il demeure plongé dans la nuit la plus noire,
Et le vainqueur à peine a connu sa victoire,
Joüi de la vengeance et goûté ses transports,
Qu’il sent un froid demon s’emparer de son corps.
De ses yeux si brillans la lumiere est esteinte,
On ne void plus l’éclat dont sa bouche estoit peinte,
On n’en void que les traits, et l’aveugle trespas
Parcourt tous les endroits où regnoient tant d’appas.
Ainsi l’honneur des prez, les fleurs, present de Flore,
Filles du blond Soleil et des pleurs de l’Aurore,
Si la faux les atteint, perdent en un moment
De leurs vives couleurs le plus rare ornement.

La troupe des Chasseurs, au Heros accouruë,
Par des cris redoublez luy fait ouvrir la veuë :
Il Cherche encore un coup la lumiere des Cieux,
Il pousse un long soûpir, il referme les yeux,
Et le dernier moment qui retient sa belle-ame[62]
S’employe au souvenir de l’objet qui l’enflâme.
On fait pour l’arrester des efforts supeflus ;
Elle s’envole aux airs, le corps ne la sent plus.
Prestez-moy des soûpirs, ô vents, qui sur vos aisles
Portastes à Venus de si tristes nouvelles.
Elle accourt aussi-tost, et, voyant son Amant,
Remplit les environs d’un vain gemissement.
Telle sur un ormeau se plaint la tourterelle
Quand l’adroit giboyeur a, d’une main cruelle,
Fait mourir à ses yeux l’objet de ses amours ;
Elle passe à gemir et les nuits et les jours,
De moment en moment renouvellant sa plainte,
Sans que d’aucun remords la Parque soit atteinte,
Tout ce bruit, quoy que juste, au vent est repandu ;
L’enfer ne luy rend point le bien qu’elle a perdu :
On ne le peut fléchir ; les cris dont il est cause
Ne font point qu’à nos vœux il rende quelque chose.
Venus l’implore en vain par de tristes accens ;
Son desespoir éclate en regrets impuissans ;
Ses cheveux sont épars, ses yeux noyez de larmes ;
Sous d’humides torrens ils resserrent leurs charmes,
Comme on void au Printemps les beautez du Soleil
Cacher sous des vapeurs leur éclat sans pareil.
Aprés mille sanglots enfin elle s’écrie :
Mon amour n’a donc pû te faire aymer la vie !
Tu me quittes, cruel ! au moins ouvre les yeux,
Montre-toy plus sensible à mes tristes adieux ;
Voy de quelles douleurs ton amante est atteinte !
Helas ! j’ay beau crier, il est sourd à ma plainte :

Une éternelle nuit l’oblige à me quitter[63] ;
Mes pleurs ny mes soûpirs ne peuvent l’arrester.
Encor si je pouvois le suivre en ces lieux sombres !
Que ne m’est-il permis d’errer parmi les ombres !
Destins, si vous vouliez le voir si-tost perir[64],
Faloit-il m’obliger à ne jamais mourir ?
Malheureuse Venus ! que te servent ces larmes ?
Vante-toy maintenant du pouvoir de tes charmes :
Ils n’ont pû du trépas exempter tes amours ;
Tu vois qu’ils n’ont pu mesme en prolonger les jours.
Je ne demandois pas que la Parque cruelle
Prist à filer leur trame une peine eternelle ;
Bien loin que mon pouvoir l’empêchast de finir,
Je demande un moment et ne puis l’obtenir.
Noires divinitez du tenebreux Empire,
Dont le pouvoir s’étend sur tout ce qui respire,
Roys[65] des peuples legers, souffrez que mon Amant
De son triste départ me console un moment.
Vous ne le perdrez point ; le tresor que je pleure
Ornera tost ou tard vostre sombre demeure[66].
Quoy ! vous me refusez un present si leger !
Cruels, souvenez-vous qu’Amour m’en peut vanger.

Et vous, Antres cachez, favorables retraites,
Où nos cœurs ont goûté des douceurs si secretes ;
Grottes, qui tant de fois avez vû mon Amant
Me raconter des yeux son fidelle tourment ;
Lieux amis du repos, demeures solitaires,
Qui d’un thresor si rare estiez depositaires,
Deserts, rendez-le-moy[67] : deviez-vous avec luy
Nourrir chez vous le Monstre auteur de mon ennuy ?
Vous ne répondez point. Adieu donc, ô belle ame !
Emporte chez les morts ce baiser tout de flâme :
Je ne te verray plus ; adieu, cher Adonis !
Ainsi Venus cessa. Les rochers, à ses cris
Quittant leur dureté, répandirent des larmes :
Zephyre en soûpira ; le jour voila ses charmes.
D’un pas précipité sous les eaux il s’enfuit,
Et laissa dans ces lieux une profonde nuit.
 








P O Ë M E


DE LA



CAPTIVITÉ DE ST MALC







A Son Altesse Monseigneur


LE CARDINAL DE BOUILLON,


Grand Aumosnier de France.




Monseigneur


Vostre Altesse Eminentissime ne refusera pas sa protection au Poëme que je luy dedie : tout ce qui porte le caractere de pieté est auprés de vous d’une recommandation trop puissante. C’est pour moy un juste sujet d’esperer dans l’occasion qui s’offre aujourd’huy : mais, si j’ose dire la verité, mes souhaits ne se bornent point à cet avantage. Je voudrois que cet Idile, outre la sainteté du sujet, ne vous parût pas entierement dénuë des beautez de la Poësie. Vous ne les dédaignez pas ces beautez divines, et les graces de cette Langue que parloit le peuple Prophete. La lecture des Livres Saints vous en a appris les principaux traits. C’est la que la Sagesse divine rend ses oracles avec plus d’élevation, plus de majesté et plus de force que n’en ont les Virgiles et les Homeres. Je ne veux pas dire que ces derniers vous soient inconnus ; ignorez-vous rien de ce qui merite d’estre sceu par une personne de vostre rang ? Le Parnasse n’a point d’endroits où vous soyez capable de vous égarer. Certes, Monseigneur, il est glorieux pour vous de pouvoir ainsi démesler les diverses routes d’une contrée où vous vous estes arresté si peu. Que si vostre goust peut donner le prix aux beautez de la Poësie, il le peut bien mieux donner à celles de l’éloquence. Je vous ay entendu juger nos Orateurs avec un discernement qu’on ne peut assez admirer ; tout cela sans autre secours que celuy d’une bien-heureuse naissance, et par des talens que vous ne tenez ny des Precepteurs ny des Livres. C’est aux lumieres nées avec vous que vous estes redevable de ces progrez dont tout le monde s’est estonné. Ce qui consume la vie de plusieurs Vieillards enchaisnez aux Livres dés leur enfance, la jeunesse d’un Prince l’a fait ; et nous l’avons vû, la renommée l’a publié. Elle a joint au bruit de vostre sçavoir celuy de ces mœurs si pures, et d’une sagesse qui est la fille du temps chez les autres, et qui le devance chez vous. Un merite si singulier a esté universellement reconnu. Celuy qui dispense les tresors du Ciel, et le Monarque qui, par ses armes victorieuses, s’est rendu l’Arbitre de l’Europe, ont concouru et de faveur et d’estime pour vous élever. Aprés des témoignages d’un si grand poids, mes loüanges seroient inutiles à vostre gloire. Je ne dois ajoûter
icy qu’une protestation respectueuse d’estre toute ma vie,

MONSEIGNEUR,
DE VOSTRE ALTESSE SERENISSIME[68],
Le trés-humble et trés-obëissant serviteur,
DE LA FONTAINE.


P O Ë M E


DE LA


CAPTIVITÉ DE ST MALC [69]




Reyne des esprits purs, Protectrice puissante,
Qui des dons de ton Fils rends l’ame joüissante,
Et de qui la faveur se fait à tous sentir,
Procurant l’innocence, ou bien le repentir ;
Mere des Bien-heureux, Vierge enfin, je t’implore.
Fais que dans mes chansons aujourd’huy je t’honore :
Bannis-en ces vains traits, criminelles douceurs
Que j’allois mendier jadis chez les neuf Sœurs.
Dans ce nouveau travail mon but est de te plaire[70].
Je chante d’un Heros la vertu solitaire,
Ces deserts, ces forests, ces antres écartez,
Des favoris du Ciel autrefois habitez.
Les Lions et les Saints ont eu mesme demeure.
Là Malc prioit, jeusnoit, soûpiroit à toute heure ;
Pleuroit, non ses pechez, mais ceux qu’en nostre cœur

A versez le serpent dont Christ est le vainqueur.
Malc avoit dans ces lieux confiné sa jeunesse,
Vivoit sous les conseils d’un Saint plein de sagesse,
Conservoit avec soin le trésor précieux
Que nous tenons d’une eau dont la source est aux Cieux.
Les auteurs de ses jours descendus sous la tombe,
Aux tresors temporels le jeune Saint succombe ;
Croit qu’on peut en joüir sans estre criminel ;
Que souvent on tient d’eux l’heritage eternel ;
Qu’on n’a qu’à faire entrer, par un pieux usage,
Les membres du Seigneur et leur chef en partage.
Funeste appas de l’or, moteur de nos desseins,
Que ne peux-tu sur nous, si tu plais mesme aux Saints !
Malc annonce au vieillard censeur de sa jeunesse
Qu’il va de ses ayeux recüeillir la richesse ;
Qu’il tasche d’empescher que des biens assez grands
Ne soient mal dispensez par d’avares parens ;
Qu’il veut fonder un cloistre, et destine le reste
A vivre sans éclat, tousjours simple et modeste,
Donnant un saint exemple, et par ses soins pieux
Peut-estre plus utile au siecle qu’en ces lieux.
Mon fils, dit le vieillard, il faut qu’avec franchise
Je vous ouvre mon cœur touchant vostre entreprise.
Où vous exposez-vous ? et qu’allez-vous tenter ?
En de nouveaux perils pourquoy vous rejetter ?
De triompher toûjours seriez-vous bien capable ?
Ah ! si vous le croyez, l’orgueil vous rend coupable ?
Sinon, vostre imprudence a desja merité
Les reproches d’un Dieu justement irrité.
Fuyez, fuyez, mon Fils, le monde et ses amorces :
Il est plein de dangers qui surpassent vos forces.
Fuyez l’or ; mais fuyez encor d’autres appas :
On ne sort, qu’en fuyant, vainqueur de ces combats.
La paix que nous goûtons a-t-elle moins de charmes ?
Quoy ! vous hasarderiez le fruit de tant de forces,
Et celuy de ce sang qu’un Dieu versa pour vous !
A ces mots le vieillard se jette à ses genoux.
Malc le quite en pleurant ; triste et funeste absence !
Il abandonne au sort sa fragile innocence ;

S’engage en des chemins pleins de perils et longs.
D’Édesse à Beroë sont de vastes sablons :
L’Astre dont les clartez sont esclaves du monde
Parcourt avec ennuy cette plaine inféconde :
S’il y void quelque objet, c’est un objet d’horreur.
Maint Arabe voisin y portoit la terreur.
Du Passant égorgé le corps sans sepulture
D’un ventre carnassier devenoit la pâture.
On voyoit succéder, en ces cruels sejours,
Aux brigands les Lions, aux Lions les Vautours.
Marcher seul en ces lieux eust eu de l’imprudence.
La Fortune joint Malc& des gens sans defense :
Peu de ieunesse entre-eux, force vieillards craintifs,
Femmes, famille, enfans aux cœurs desja captifs.
Ils traversoient la plaine aux zephyrs inconnuë :
Un gros de Sarrazins vient s’offrir à leur veuë,
Milice du Démon, gens hideux et hagards,
Engeance qui portoit la mort dans ses regards.
La cohorte du Saint d’abord est dispersée :
Equipage, tresors, jeune épouse est laissée.
Telle fuit la colombe, oubliant ses amours,
A l’aspect du Milan qui menace ses jours.
Telle l’ombre d’un Loup dans les verds pâturages
Écarte les troupeaux attentifs aux herbages.
Les compagnons de Malc, épandus par ces champs,
Tomboient sans resister sous le fer des brigands.
De toutes parts l’horreur regnoit en ce spectacle ;
La proye apportoit seule au meurtre de l’obstacle.
Ceux que l’amour du gain tira de leur foyer
Perdoient d’un an de peine en un jour le loyer.
Les peres chargez d’ans, laissans leurs tendres gages,
Fuyoient leur propre mort en ces funestes plages,
Et pour deux jours de vie abandonnoient un bien
Prés de qui vivre un siecle aux vrais peres n’est rien.
L’amant et la compagne à ses vœux destinée
Quitoient le doux espoir d’un prochain hymenée :
Mal-heureux ! l’un fuyoit ; on eust veu ses amours
Luy tendre en vain les bras implorans son secours.

Une Dame encor jeune, et sage en sa conduite,
Aux yeux de son époux dans les fers fut réduite.
Le mary se sauva regretant sa moitié ;
La femme alla servir un maistre sans pitié ;
Au Chef de ces brigands elle écheut en partage.
Cét homme possedoit un fertile heritage,
Et de plusieurs troupeaux dans l’ardente saison
vendoit à ses voisins le croist et la toison.
Nostre Heros suivit la Dame en servitude.
Ce fut lors, mais trop tard, que pour sa solitude,
Pour son cher Directeur et ses sages avis,
Il reprit des transports de pleurs en vain suivis.
Forests, s’écrioit-il, retraites du silence,
Lieux dont j’ay combatu la douce violence,
Angeliques citez d’où je me suis banni,
Je vous ay méprisez, deserts, j’en suis puni.
Ne vous verray-je plus ? Quoy ! songe, tu t’envoles !
O Malc ! tu vois le fruit de tes desseins frivoles !
Verse des pleurs amers, puisque tu t’es privé
Que ces pleurs bien-heureux où ton cœur s’est lavé.
Ainsi Malc regrettoit sa fortune passée.
Cependant des brigands la proye est entassée.
On l’emporte à grand bruit : ils s’en vont triomphans.
Leur Chef voulut que Malc adorast ses enfans,
Honneur dont on ne doit s’attribuer les marques
Qu’en voyant sous ses pieds les testes des Monarques.
Un Arabe exigea ce superbe tribut.
Si Malc s’en défendit, s’il l’osa, s’il le put,
S’il en subit la Loy sans peine et sans scrupule,
C’est ce qu’en ce récit l’Histoire dissimule[71].
Bien qu’à peine la Dame achevast son printemps,
Que son teint eust des jours aussi frais qu’éclatans,
L’Arabe n’en fit voir qu’une estime legere :

Il luy donna l’employ d’une simple bergere,
Avec Malc l’envoya pour garder ses troupeaux.
Bien-tost entre leurs mains ils devinrent plus beaux.
Le saint couple cherchoit les lieux les plus sauvages,
S’approchoit des rochers, s’éloignoit des rivages ;
Luy-mesme il se fuyoit ; et jamais dans ces bois
Les Echos n’ont formé des concerts de leurs voix.
Aux jours où l’on faisoit des vœux pour abondance
Ils ne paroissoient point aux jeux ny dans la danse :
On ne les voyoit point à l’entour des hameaux
Mollement étendus dormir sous les ormeaux.
Les entretiens oisifs et feconds en malices,
Du mercenaire esclave ordinaires delices,
Estoient fuis avec soin de nos nouveaux Bergers ;
Ils n’envioient point l’heur des troupeaux étrangers.
Jamais l’ombre chez eux ne mit fin aux prieres,
Ny la main du sommeil n’abbaissa leurs paupieres.
La nuit se passoit toute en vœux, en oraison.
Dés que l’aube empourproit les bords de l’orison,
Ils menoient leurs troupeaux loin de toutes approches.
Malc aimoit un ruisseau coulant entre des roches.
Des cedres le couvroient d’ombrages toûjours verts :
Ils défendoient ce lieu du chaud et des hyvers.
De degrez en degrez l’eau tombant sur des marbres,
Mesloit son bruit aux vents engoufrez dans les arbres.
Jamais desert ne fut moins connu des humains ;
A peine le Soleil en sçavoit les chemins.
La bergere cherchoit les plus vastes campagnes ;
Là ses seules brebis luy servoient de compagnes :
Les vents en sa faveur leur offroient un air doux.
Le Ciel les preservoit de la fureur des Loups,
Et gardant leurs toisons exemptes de rapines,
Ne leur laissoit payer nul tribut aux épines.
Dans les Dédales verts que formoient les hailliers,
L’herbe tendre, le thim, les humbles violiers,
Présentoient aux troupeaux une pasture exquise.
En des lieux découverts nostre bergere assise
Aux injures du hasle exposoit ses attraits ;

Et des pensers d’autruy se vangeoit sur ses traits.
Sa beauté luy donnoit d’eternelles alarmes.
Ses mains avec plaisir auroient détruit ses charmes :
Mais, n’osant attenter contre l’œuvre des Cieux,
Le Soleil se chargeoit de ce crime pieux.
O vous, dont la blancheur est souvent empruntée,
Que d’un soin different vostre ame est agitée !
Si vous ne vous voulez priver dun bien si doux,
De ses dons naturels au moins contentez-vous.
Tandis que la bergere en extase ravie
Prioit le Saint des Saints de veiller sur sa vie,
Les Ministres divins veilloient sur son troupeau.
Quelquefois la quenoüille et l’artiste fuseau
Luy délassoient l’esprit, et pour reprendre haleine
De ses propres Moutons elle filoit la laine.
Pendant qu’elle goustoit ce plaisir innocent,
Tournant par fois les yeux sur son troupeau paissant,
Que vous estes heureux, peuple doux ! disoit-elle :
Vous passez sans peché cette course mortelle.
On louë en vous voyant celuy qui vous a faits :
Et nous, de qui les cœurs sont enclins aux forfaits,
Laissons languir sa gloire, et d’un foible suffrage
Ne daignons relever son nom et son ouvrage.
Cheres brebis, paissez ; cueillez l’herbe et les fleurs :
Pour vous l’aube nourrit la terre de ses pleurs.
Vivez de leurs présens : inspirez-nous l’envie
D’éviter les repas qui vous coustent la vie.
Miserables humains, semence de tyrans,
En quoy differez-vous des monstres dévorans ?
Tels estoient les pensers de la sainte Heroïne.
Pour Malc, il meditoit sur la triple origine
De l’homme florissant, décheu, puis rétabli.
Du premier des Mortels la faute est en oubli :
Le Ciel pour Lucifer garde toûjours sa haine.
Dieu tout bon, disoit Malc, si ton Fils par sa peine
M’a sauvé de l’enfer, m’a remis dans mes droits,
Garde-moy de les perdre une seconde fois.
Fais qu’un jour mes travaux par leur fin se couronnent.

Je suis dans les perils, mille maux m’environnent,
L esclavage, la crainte, un maistre menaçant ;
Et ce n’est pas encor le mal le plus pressant.
Tu m’as donné aide au fort de la tourmente
Une compagne sainte, il est vray, mais charmante ;
Son exemple est puissant ; ses yeux le sont aussi :
De conduire les miens, Seigneur, pren le souci.
Le Ciel combloit de dons cette humble modestie.
L’ame de nos Bergers, du peché garentie,
Qu’avons nous, disoient-ils, jusque-là merité ?
Nous te sommes, Seigneur, serviteurs inutiles.
Aide-nous, rends nos cœurs en vertus plus fertiles.
Fais-nous suivre la main qui nous a secourus.
Tu combatis pour nous, tu souffris, tu mourus ;
Nous vivons, nous passons nos jours dans l’esperance :
Nos délices seront le prix de ta soufrance :
Ne nous feras-tu point imiter ces travaux ?
Quand auras-tu, Seigneur, tes enfans pour rivaux ?
Si cette ambition te semble condamnable,
C’est l’amour qui la cause ; il rend tout pardonnable.
Ouy, Seigneur, nous t’aimons, nous l’osons protester :
Mais si l’effet ne suit, que sert de s’en vanter ?
Il faut porter ta Croix, gouster de ton Calice,
Couvrir son front de cendre, et son corps d’un cilice.
Tandis qu’ils se matoient par ces saintes rigueurs,
Leurs troupeaux prosperoient aussi bien que leurs cœurs.
L’Arabe en profitoit sans en sçavoir la cause.
Ce brigand, pour le gain employant toute chose,
Voulut les engager par de plus fort liens.
Il crut que de s’enfuir ayans mille moyens,
Ils se pourroit enfin soustraire à l’esclavage ;
Qu’il faloit joindre aux fers les nœuds du mariage ;
Leur amour luy seroit un gage suffisant.
Les doux fruits dont l’hymen leur feroit un présent
Augmenteroient ses biens, l’auroient encor pour maistre.
Humains, cruels humains, faut-il procurer l’estre.
Afin que ce bien-fait enchaisne un innocent ?

Et ne se sçauroit-il affranchir en naissant ?
L’Arabe, ayant ainsi double profit en veuë,
Donne aux chastes bergers une alarme impréveuë ;
Leur propose à tous deux un lien plein d’horreur.
Ne nous fais point, dit Malc, tomber dans cette erreur
Celle que tu me veux joindre par l’hyménée
D’un legitime époux suivoit la destinée.
Tu la luy vins ravir ; tu le pus par ta Loy.
Nous ne nous plaignons point de nos fers ny de toy,
Redouble la rigueur d’un joug involontaire :
Mais puisque nostre Dieu nous défend l’adultere,
Laisse-nous resister à ton vouloir impur.
Nostre innocence t’est un gage bien plus seur.
Quel service attends-tu de nous, quand nôtre zele
N’aura pour fondement qu’une ardeur criminelle ?
Si tu crains qu’estans bons nous ne quittions tes champs,
Te fieras-tu sur nous quand nous serons méchans ?
L’Arabe à ce discours se sent transporter d’ire.
Vil esclave, dit-il, tu m’oses contredire !
Meurs ou cede ; obeïs, et garde desormais
De m’alleguer ton Dieu, que je ne crus jamais.
Aussi tost de son glaive il dépoüille la lame :
Et Malc épouvanté s’approche de la Dame.
Le soir on les enferme en un lieu sans clartez :
Leur mariage n’eut que ces formalitez.
On n’y vid point d’Hymen ny de Junon parêtre.
Frivoles Deïtez qui nous devez vostre estre,
Vous n’accourustes pas : comment l’auriez-vous pu ?
Vous n’estes que des noms dont le charme est rompu.
Nostre couple estant seul eut recours aux prieres.
Tous deux avoient besoin de graces singulieres.
Ils ne s’estoient point veus encor dans ces dangers ;
Non que, portant leurs pas loin des autres bergers,
L’Enfer n’eust quelquefois leur perte conspirée :
Mais des yeux du Seigneur leur conduite éclairée
Ne s’écartoit jamais de la divine Loy.
Le Berger cette nuit se défia de soy.
Sa crainte, incontinent de desespoir suivie,

Pour sauver sa pudeur mit en danger sa vie :
Et le mesme coûteau qui dans mille besoins
L’aidoit à s’acquitter de ses champestres soins,
Ce coûteau, dis-je, alloit du Saint couper la trame :
L’imprudent Malc, voulant mettre à couvert son ame,
S’en alloit de sa main la livrer au Demon,
Fureur qui n’estoit pas indigne de pardon.
La lueur de l’acier avertit la bergere.
Que vois-je, cria-t-elle. O ciel ! qu’allez-vous faire ?
Je vais, répondit Malc, prévenir les combats
D’un œil toûjours présent, et toûjours plein d’appas.
Nous ne nous fuïrons plus : nostre ame est condamnée
Aux dangers qu’à sa suite entraisne l’hymenée.
Malgré nous desormais nous vivrons en commun :
Deux parcs nous hébergeoient, nous n’en aurons plus qu’un.
Helas ! qui l’auroit cru que cette inquietude
Nous chercheroit au fonds d’une âpre solitude !
J’apprehende à la fin que le Ciel irrité
N’abandonne nos cœurs à leur fragilité.
Cette faute entre époux nous semblera legere.
Il faut esperer mieux, dit la chaste bergere ;
Dieu ne quitera pas ses enfans au besoin.
Si mon sexe est fragile, il en prendra le soin.
Vous ay-je donné lieu d’en estre en défiance ?
Qu’ay-je fait pour causer cette injuste croyance ?
Votre soupçon m’outrage, et vous avez deu voir
Que je sçais sur mes sens garder quelque pouvoir.
Quand mon cœur auroit peine à s’en rendre le maistre,
Estes-vous mon époux ? et le pouvez-vous estre ?
Nous a-t-on pu lier sans sçavoir si la mort
M’a ravy ce mari qui m’attache à son sort ?
Vous vous alarmez trop pour un vain hymenée.
Je vous rends cette main que vous m’avez donnée.
Dissimulez pourtant, feignez, comportez-vous
Comme frere en secret, en public comme époux.
Ainsi vescut toûjours mon mary veritable ;
Et si la qualité de Vierge est souhaitable,
Je la suis : j’en fis vœu toute petite encor.

Mal-gré les loix d’hymen j’ay gardé ce tresor.
Aprés l’avoir sauvé d’un amour legitime,
Voudrois-je maintenant le perdre par un crime ?
Non, Malc ; je ne crois pas que le Ciel le souffrist.
Il m’en empescheroit, quelque appast qui s’offrist.
Ne craignez plus ; vivez ; l’Eternel vous l’ordonne.
Estimez-vous si peu cét estre qu’il vous donne ?
Vostre corps est à luy ; ses mains l’ont façonné :
Le droit d’en disposer ne vous est point donné.
Quelle imprudence à vous de finir vostre course
Par le seul des péchez qui n’a point de ressource !
Toute faute s’expie ; on peut pleurer encor :
Mais on ne peut plus rien, s’estant donné la mort.
Vivez donc, et taschons de tromper ces barbares.
Le Saint ne put trouver de termes assez rares
Pour rendre-grace au Ciel, et loüer cette sœur
Dont la sagesse estoit égale à la douceur.
Cette nuit s’acheva comme les precedentes :
Dieu leur fit employer en prieres ardentes
Des momens que l’on croit innocemment perdus,
Quand le somme a sur nous ses charmes répandus.
Le lendemain l’Arabe en ses champs les renvoye.
Là montrant aux Bergers une apparente joye,
Les larmes, les soupirs et les austeritez,
Quand ils se trouvoient seuls, faisoient leurs voluptez.
En eux-mesmes souvent ils cherchoient des retraites.
On ne s’apperceut point de ces peines secretes ;
Chacun crut qu’ils s’aymoient d’un amour conjugal :
Aucun plaisir au leur ne sembloit estre égal.
On se le proposoii tous les jours pour exemple ;
Et lors que deux époux estoient conduits au temple,
Que le Ciel, disoit-on, afin de vous combler,
Fasse à l’hymen de Malc le vostre ressembler !
Le saint couple à la fin se lasse du mensonge ;
En de nouveaux ennuis l’un et l’autre se plonge.
Toute feinte est sujet de scrupule à des Saints :
Et, quel que soit le but où tendent leurs desseins,
Si la candeur n’y regne ainsi que l’innocence,

Ce qu’ils font pour un bien leur semble estre une offense.
Malc à ces sentimens donnoit un jour des pleurs ;
Les larmes qu’il versoit faisoient courber les fleurs.
Il vid auprés d’un tronc de legions nombreuses
De fourmis qui sortoient de leurs cavernes creuses.
L’une poussoit un faix ; l’autre prestoit son dos :
L’amour du bien public empeschoit le repos.
Les chefs encourageoient chacun par leur exemple.
Un du peuple estant mort, nostre Saint le contemple
En forme de convoy soigneusement porté
Hors les toits fourmillans de l’avare Cité.
Vous m’enseignez, dit-il, le chemin qu’il faut suivre.
Ce n’est pas pour soy seul qu’icy bas on doit vivre ;
Vos greniers sont témoins que chacune de vous
Tasche à contribuer au commun bien de tous.
Dans mon premier desert j’en pouvois autant faire ;
Et sans contrevenir aux vœux d’un solitaire,
L’exemple, le conseil, et le travail des mains,
Me pouvoient rendre utile à des troupes de Saints :
Aujourd’huy je languis dans un lasche esclavage ;
Je sers pour conserver des jours de peu d’usage.
Le monde a bien besoin que Malc respire encor !
Vil esclave, tu ments pour éviter la mort !
Que ne resistois-tu, quand on força ton ame
A se voir exposée aux beautez d’une femme ?
Lors qu’il ne fut plus temps tu courus au trespas.
Quitte quitte des lieux où Christ n’habite pas.
Avec ses ennemis veux-tu passer ta vie ?
Il declare à la Sainte aussi-tost son envie,
Va s’asseoir auprés d’elle, et luy parle en ces mots :
Ma sœur, je me souviens que vos sages propos
Desja plus d’une fois m’ont retiré de peine.
N’aguere, en conduisant mon troupeau dans la plaine,
Je songeois à l’estat où le sort nous réduit.
Quelle est de nos travaux l’esperance et le fruit ?
Rien que de prolonger le cours de nos miseres,
Et vieillir, s’il se peut, sous des ordres severes.
Voila dedans ces lieux le but de nostre employ.

Nous y vivons pour vivre ; est-ce assez ? dites-moy.
Faut-il pas consacrer à l’auteur de son estre
Tous ses soins, tout son temps, enfin tout ce qu’un maistre
Et qu’un pere à la fois uniquement cheri
Exige de devoirs d’un couple favori ?
Dieu nous comble tous deux de ses faveurs celestes :
Il nous a dégagez de cent pieges funestes.
Sa grace est nostre guide ainsi que nostre appuy :
Nous ne perseverons dans le bien que par luy.
Allons nous acquiter de ce bien-fait immense.
Ici le jour finit, et puis il recommence
Sans que nous benissions le saint nom qu’à demi,
Ne vivans pas pour Dieu, mais pour son ennemi.
Ma sœur, si nous cherchions de plus douces demeures ?
Je vous ay fait recit quelquefois de ces heures
Qu’en des lieux separez de tout profane abord
Je passois à loüer l’arbitre de mon sort :
Alors j’avois pitié des heureux de ce monde.
Maintenant j’ay perdu cette paix si profonde :
Mon cœur est agité malgré tous vos avis.
Je ne me repens pas de les avoir suivis,
Mais enfin jettez l’œil sur l’estat où nous sommes.
Vous estes exposée aux malices des hommes.
Je n’ay plus de mes bois les saintes voluptez.
Ne reviendront-ils point ces biens que j’ay quittez ?
Ah ! si vous joüissiez de leur douceur esquise !
La fuite, direz-vous, ne nous est pas permise :
De nostre liberté l’Arabe est possesseur.
Et quel droit a sur nous un cruel ravisseur ?
Brisons ses fers ; fuyons sans avoir de scrupule :
Le mal est bien plus grand lors que l’on dissimule.
Quelque pretexte qu’ayt un mensonge pieux,
Il est toûjours mensonge, et toûjours odieux.
Allons vivre sans feinte en ces forests obscures
Où j’ay trouvé jadis des retraites si sures.
Ne tentons plus le Ciel : ayons une humble peur.
Je vous promets des jours tout remplis de douceur.
Il se teut. Aussi-tost la prudente Bergere

Approuve les conseils que le Saint luy suggere.
Il fait choix de deux boucs les plus grands du troupeau,
Les tuë, oste les chairs, change en outre leur peau.
Nostre couple s’en sert à traverser des ondes
Dont il falloit franchir les barrieres profondes.
Le courant les poussa bien loin sur l’autre bord.
Tous deux marchent en haste où les guide leur sort.
Ils avoient achevé quatre stades à peine,
Quand, trahis par leurs pas imprimez sur l’arene,
Ils entendent de loin des chameaux et du bruit,
Tournent teste ; et, voyans que leur maistre les suit,
Se pressent, mais en vain ; tout ce qu’ils purent faire
Fut de gagner un antre affreux et solitaire,
Triste sejour de l’ombre : en ses détours obscurs
Regnoit une Lionne hostesse de ses murs.
Elle y conceut un Fan, unique et tendre gage
Des bruslantes ardeurs du Roy de cette plage.
Mere nouvellement, on l’eust veuë allaiter
Celuy qu’elle venoit en ces lieux d’enfanter.
Mais comment l’eust-on veuë ? à peine la lumiere
Osoit franchir du seuil la démarche premiere.
Par cent cruels repas cét antre diffamé
Se trouvoit en tout temps de carnage semé.
Le saint couple fremit, et s’arreste à l’entrée :
Ils n’osent penetrer cette horrible contrée ;
Ils cherchent quelque coin en tastant et craintifs
L’Arabe croit desja tenir ses fugitifs.
Il n’avoit avec luy pour escorte et pour guide
Qu’un esclave fidele, adroit, et peu timide.
Va me querir, dit-il, ce couple qui s’enfuit.
Le cimeterre au poing l’esclave entre avec bruit.
La Lionne l’entend, rugit, et pleine d’ire
Accourt, se lance à luy, l’abbat, et le déchire.
De son séjour si long le maistre est estonné ;
Et d’un courroux aveugle aussi-tost entraisné,
Est-ce crainte ou pitié, dit-il, qui te retarde ?
Quoy ! je n’ay pas encor cette troupe fuyarde ?
Enfans de l’infortune, esprits nez pour les fers

Je vous iray chercher tous trois jusqu’aux enfers.
Dans le goufre à ces mots l’ardeur le préipite.
Sa colere a bien-tost le sort qu’elle mérite.
A peine il est entré que les cruelles dents
Et les ongles félons s’impriment dans ses flancs.
Les Saints, loin d’en avoir une secrete joye,
Du party le plus fort craignent d’estre la proye,
Font des vœux pour l’Arabe, et tous deux soûpirans
Souhaitent un remords du moins à leurs tyrans :
Mais des suposts de Bel lame aux feux consacrée,
Victime nécessaire à l’Enfer est livrée.
Le Maistre et son Esclave, attendant le trépas,
Gisent ensanglantez, la mort leur tend les bras.
La cruelle moitié du monstre de Lybie
Traisne en ses magazins leurs deux corps, où la vie
Cherche encore un refuge, et quite en gémissant
Les Hostes que du Ciel elle obtint en naissant.
Le Lionceau se baigne en leur sang avec joye.
Il ne sçait pas rugir, et s’instruit à la proye.
Digne de ces leçons il commence à goûter
Les meurtres qu’il ne peut encore executer.
Aprés qu’il a joüi du crime de sa mere,
Et qu’ils ont assouvy leur faim et leur colere,
La Lionne repense à ces actes sanglans,
Emporte en d’autres lieux son fan avec les dents,
Quitte l’obscur séjour, et se sentant coupable,
Encor que faite au meurtre et de crainte incapable,
Elle fuit, et confie aux plus aspres rochers.
Du cruel nourrisson les jours qui luy sont chers.
Malc cherche aussi-bien qu’elle un plus certain azyle :
L’abord de ce séjour luy semble trop facile.
L’odeur des animaux, la piste de leurs pas,
La vengeance et le bruit de ces cruels trépas,
Tout luy fait redouter qu’une troupe infidele
N’évente les secrets que cét antre recelle,
Ne trouve l’innocent, en cherchant les Auteurs
De l’attentat commis sur ses persecuteurs.
La faim mesme, qui rend les Saints ses tributaires,

Fait sortir nos Heros de ces lieux solitaires.
Loin du Peuple profane ils vont finir leurs jours.
Un bourg de peu de nom fait enfin leurs amours.
Là le couple pieux aussi-tost se sépare.
De leur mensonge saint l’offense se répare.
Cét hymen se dissoud. La Dame entre en un lieu
Où cent vierges ont pris pour époux le vray Dieu.
Dans un Cloistre éloigné Malc s’occupe au silence ;
Et s’il n’alloit parfois regler la violence
Dont la chaste récluse embrasse l’oraison,
Sa retraite pourroit s’appeler sa prison.
Il y vit dans les pleurs, nectar de pénitence :
C’est le seul dont ses vœux demandent l’abondance.
Plus Ange que mortel, il se prive des biens
Qui sont de nostre corps agréables soûtiens.
Ce jeusne rigoureux n’accourcit point sa vie.
Des deux flambeaux du Cid la course entre-suivie
A long-temps ramené la peine et le repos,
Le repos aux humains, la peine au saint Heros,
Sans qu’il semble approcher du terme de sa course.
De son zele fervent l’inépuisable source
Fomeute la chaleur qui retarde sa mort :
Pres d’un siecle d’hyvers n’a pu l’éteindre encor ;
Jerosme en est témoin, ce grand Saint dont la plume
Des faits du Dieu vivant expliqua le volume[72].
Il vid Malc, il apprit ces merveilles de luy ;
Et mes legers accords les chantent aujourd’huy.
Qui voudra les sçavoir d’une bouche plus digne,
Lise chez Dandilli cette avanture insigne[73].
Jerosme l’écrivoit lors que le Peuple franc
Du bon-heur des Romains arrestoit le torrent.
Je la chante en un temps où sur tous les Monarques

LOÜIS de sa valeur donne d’illustres marques[74],
Cependant qu’à l’envy sa rare pieté
Fait au sein de l’erreur regner la verité.
Prince, qui par son choix remis le culte aux Temples,
Qui t’acquis cét honneur par tes pieux exemples,
Et que le haut sçavoir, le sang, et la vertu,
Ont dés les jeunes ans de pourpre revestu,
Je t’offre ce récit, foible fruit de mes veilles :
Mais s’il faut que nos dons égalent tes merveilles,
Quel Homere osera placer devant ses vers
Ton nom, digne de vivre autant que l’univers ?



POËME


DU


QUINQUINA





P O Ë M E


D U


Q U I N Q U I N A [75]




A MADAME LA DUCHESSE DE BOUILLON.




CHANT PREMIER.


Je ne voulois chanter que les Heros d’Esope :
Pour eux seuls en mes Vers j’invoquois Caliope
Mesme j’allois cesser, et regardois le port.
La raison me disoit que mes mains estoient lasses ;
Mais un ordre est venu plus puissant et plus fort
Que la raison : cet ordre accompagné de graces,
Ne laissant rien de libre au cœur ny dans l’esprit,

M’a fait passer le but que je m’estois prescrit.
Vous vous reconnoissez à ces traits, Uranie :
C’est pour vous obeïr, et non point par mon choix,
Qu’à des sujets profonds j’occupe mon genie,
Disciple de Lucrece une seconde fois[76].
Favorisez cet œuvre ; empeschez qu’on ne die
Que mes Vers sous le poids languiront abbatus ;
Protegez les enfans d’une Muse hardie ;
Inspirez-moy : je veux qu’icy l’on étudie
D’un présent d’Apollon la force et les vertus.
 
 Aprés que les humains, œuvre de Prométhée,
Furent participans du feu qu’au sein des Dieux
Il déroba pour nous d’une audace effrontée,
Jupiter assembla les Habitans des Cieux :
Cette engeance, dit-il, est donc nostre rivale !
Punissons des humains l’infidele artisan ;
Taschons par tout moyen d’alterer son présent.
Sa main du feu divin leur fut trop liberale ;
Desormais nos égaux, et tout fiers de nos biens,
Ils ne fréquenteront vos temples ny les miens
Envoyons-leur de maux une troupe fatale,
Une source de vœux, un fonds pour nos autels.
Tout l’Olimpe applaudit : aussi-tost les mortels
Virent courir sur eux avecque violence
Pestes, fievres, poisons répandus dans les airs.
Pandore ouvrit sa boëte, et mille maux divers
S’en vinrent au secours de nostre intemperance.
Un des Dieux fut touché du malheur des humains :
C’est celuy qui pour nous sans cesse ouvre les mains ;
C’est Phœbus Apollon. De luy vient la lumiere,
La chaleur qui descend au sein de nostre mere,
Les simples, leur employ, la musique, les vers,
Et l’or, si c’est un bien que l’or pour l’Univers.
Ce Dieu, dis-je, touché de l’humaine misere,

Produisit un remede au plus grand de nos maux :
C’est l’ecorce du Kin, seconde Panacée.
Loin des peuples connus Appollon l’a placée ;
Entre elle et nous s’étend tout l’empire des flots.
Peut-estre il a voulu la vendre à nos travaux ;
Peut-estre il la devoit donner pour récompense
Aux hostes d’un climat où regne l’innocence.
O toy qui produisis ce trésor sans pareil,
Cet arbre ainsi que l’or digne Fils du Soleil,
Prince du double mont, commande aux neuf pucelles
Que leur chœur pour m’ayder députe deux d’entre elles ;
J’ay besoin aujourd’huy de deux talents divers :
L’un est l’Art de ton Fils[77] ; et l’autre, les beaux vers.

Le mal le plus commun, et quelqu’un mesme assure
Que seul on te peut dire un mal à bien parler,
C’est la fievre, autrefois esperance trop sure
A Cloton, quand ses mains se lassoient de filer.
Nous en avions en vain l’origine cherchée.
On prédisoit son cours, on sçavoit son progrez,
On déterminoit ses effets,
Mais la cause en étoit cachée.
La fievre, disoit-on, a son siege aux humeurs.
Il se fait un foyer qui pousse ses vapeurs
Jusqu’au cœur, qui les distribuë
Dans le sang, dont la masse en est bien-tôt imbuë.
Ces amas enflamez, pernicieux tresors,
Sur l’aisle des esprits aux familles errantes,
S’en vont infecter tout le corps,
Source de fievres differentes.
Si l’humeur bilieuse a causé ces transports,
Le sang, vehicule fluide
Des esprits ainsi corrompus,
Par des accés de tierce à peine interrompus,
Va d’artere en artere attaquer le solide.
Toutes nos actions souffrent un changement.

Le test et le cerveau, piquez violemment,
Joignent à la douleur les songes, les chimeres,
L’appetit de parler, effets trop ordinaires.
Que si le venin dominant
Se puise en la melancolie,
J’ay deux jours de repos, puis le mal survenant
Jette un long ennuy sur ma vie.

Ainsi parle l’Ecole et tous ses Sectateurs.
Leurs malades debout aprés force lenteurs
Donnoient cours à cette doctrine :
La Nature, ou la Medecine,
Ou l’union des deux, sur le mal agissoit.
Qu’importe qui ? l’on guerissoit.
On n’exterminoit pas la fievre, on la lassoit.
Le bon tempérament, le sené, la saignée :
Celle cy, disoient-ils, ôtant le sang impur,
Et non comme aujourd’huy des mortels dedaignée ;
Celuy-là, purgatif innocent et trés-seur
(Ils l’ont toûjours cru tel) ; et le plus necessaire,
J’entends le bon tempérament,
Rendu meilleur encor par le bon aliment,
Remettoient le malade en son train ordinaire.
On se rétablissoit, mais toûjours lentement.
Une cure plus prompte étoit une merveille.
Cependant la longueur minoit nos facultez
S’il restoit des impuretez,
Les remedes alors de nouveau repetez.
Casse, rhubarbe, enfin mainte chose pareille,
Et sur tout la diete, achevoient le surplus,
Chassoient ces restes superflus,
Relâchoient, resserroient, faisoient un nouvel homme :
Un nouvel homme ! un homme usé.
Lors qu’avec tant d’apprests cet œuvre se consomme,
Le tresor de la vie est bientôt épuisé.

Je ne veux pour témoins de ces experiences
Que les peuples sans loix, sans arts, et sans sciences :

Les remedes frequens n’abregent point leurs jours,
Rien n’en hâte le long et le paisible cours.
Telle est des Iroquois la gent presque immortelle :
La vie aprés cent ans chez eux est encor belle.
Ils lavent leurs enfans aux ruisseaux les plus froids.
La Mere au tronc d’un arbre, avecque son carquois,
Attache la nouvelle et tendre créature ;
Va sans art aprêter un mets non acheté.
Ils ne trafiquent point des dons de la nature :
Nous vendons cher les biens qui nous ont peu couté ;
L’âge où nous sommes vieux est leur adolescence.
Enfin il faut mourir ; car sans ce commun sort
Peut-être ils se mettroient à l’abri de la mort
Par le secours de l’ignorance.

Pour nous, fils du sçavoir, ou, pour en parler mieux,
Esclaves de ce don que nous ont fait les Dieux,
Nous nous sommes prescrit une étude infinie.
L’art est long, et trop courts les termes de la vie ;
Un seul poinct négligé fait errer aisément.
Je prendray de plus haut tout cet enchainement,
Matiere non encor par les Muses traitée,
Route qu’aucun mortel en ses Vers n’a tentée :
Le dessein en est grand, le succès malaisé ;
Si je m’y perds, au moins j’auray beaucoup osé.

Deux portes sont au cœur ; chacune a sa valvule.
Le sang, source de vie, est par l’une introduit ;
L’autre huissiere permet qu’il sorte et qu’il circule,
Des veines sans cesser aux arteres conduit.
Quand le cœur l’a reçu, la chaleur naturelle
En forme ces esprits qu’animaux on appelle.
Ainsi qu’en un creuset il est rarefié.
Le plus pur, le plus vif, le mieux qualifié,
En atomes extrait quitte la masse entiere,
S’exhale, et sort enfin par le reste attiré.
Ce reste r’entre encore, est encore épuré ;
Le Chile y joint toûjours matiere sur matiere.

Ces atomes font tout : par les uns nous croissons ;
Les autres, des objets toüchez en cent façons,
Vont porter au cerveau les traits dont ils s’empreignent,
Produisent la sensation,
Nulles prisons ne les contraignent ;
Ils sont toûjours en action.
Du cerveau dans les nerfs ils entrent, les remuënt ;
C’est l’état de la veille ; et reciproquement,
Si-tôt que moins nombreux en force ils diminuent,
Les fils des nerfs lâchez font l’assoupissement.

Le sang s’acquitte encor chez nous d’un autre office.
En passant par le cœur il cause un battement ;
C’est ce qu’on nomme pouls, seur et fidele indice
Des degrez du fievreux tourment.
Autant de coups qu’il reïtere,
Autant et de pareils vont d’artere en artere
Jusqu’aux extremitez porter ce sentiment.
Nôtre santé n’a point de plus certaine marque
Qu’un pouls égal et moderé ;
Le contraire fait voir que l’être est alteré ;
Le foible et l’étouffé confine avec la Parque,
Et tout est alors déploré.

Que l’on ait perdu la parole,
Ce trucheman pour nous dit assez nôtre mal,
Assez il fait trembler pour le moment fatal :
Æsculape en fait sa boussole.
Si toûjours le Pilote a l’œil sur son aymant,
Toûjours le Medecin sattache au battement,
C’est sa guide ; ce poinct l’assure et le console
En cette mer d’obscuritez
Que son art dans nos corps trouve de touscôtez.
 
Ayant parlé du pouls, le frisson se presente.
Un froid avancoureur s’en vient nous annoncer
Que le chaud de la fievre aux membres va passer.
Le cœur le fomentoit, c’est au cœur qu’il s’augmente.
Et qu’enfin parvenant jusqu’à certain excés
Il acquiert un degré qui forme les accés.

Si j’excellois en l’art où je m’applique,
Et que l’on pût tout reduire à nos sons,
J’expliquerois par raison mécanique
Le mouvement convulsif des frissons ;
Mais le talent des doctes nourrissons
Sur ce sujet veut une autre maniere.
Il semble alors que la machine entiere
Soit le joüet d’un demon furieux.
Muse, aide-moy ; vien sur cette matiere
Philosopher en langage des dieux.

Des portions d’humeur grossiere,
Quelquefois compagnes du sang,
Le suivent dans le cœur sans pouvoir, en passant,
Se subtiliser de maniere
Qu’il naisse des esprits en même quantité
Que dans le cours de la santé.
Un sang plus pur s’échauffe avec plus de vitesse :
L’autre reçoit plus tard la chaleur pour hôtesse ;
Le temps l’y sçait aussi beaucoup mieux imprimer.
Le bois verd, plein d’humeurs, est long à s’alumer.
Quand il brûle, l’ardeur en est plus vehemente.
Ainsi ce sang chargé repassant par le cœur
S’embrase d’autant plus que c’est avec lenteur,
Et regagne au degré ce qu’il perd par l’attente.

Ce degré c’est la fievre. A l’égard des retours
A certaine heure, en certains jours,
C’est un poinct incrustable, à moins qu’on ne le fonde
Sur les momens prescripts à cuire ou consumer
L’aliment ou l’humeur qui s’en est pû former.
Il n’est merveille qui confonde
Nôtre raison aveugle en mille autres effets,
Comme ces temps marquez où nos maux sont sujets.
Vous qui cherchez dans tout une cause sensible,
Dites-nous comme il est possible
Qu’un corps dans le desordre ameine reglément
L’accés, ou le redoublement.

Pour moy, je n’oserois entrer dans ce Dedale ;
Ainsi de ces retours je laisse l’intervalle :
Je reviens au frisson, qui du defaut d’esprits
Tient sans doute son origine.
Les muscles moins tendus, comme étant moins remplis,
Ne peuvent lors dans la machine
Tirer leurs opposez de même qu’autrefois,
Ny ceux cy succeder à de pareils emplois.
Tout le peuple mutin, leger et temeraire,
Des vaisseaux mal fermez en tumulte sortant,
Cause chez nous dans cet instant
Un mouvement involontaire.
Le peu qui s’en produit sort du lieu non gonflé,
Comme on voit l’air sortir d’un balon mal enflé.
La valvule en la veine, au balon la languette,
Geoliere peu soigneuse à fermer la prison,
Laisse enfin échaper la matiere inquiete ;
Aussi tôt les esprits agitent sans raison,
Deçà, delà, par tout où le hazard les pousse,
Nôtre corps qui fremit à leur moindre secousse.
Le malade ressemble alors à ces vaisseaux
Que des vents opposez et de contraires eaux
Ont pour but du débris que leurs fureurs méditent :
Les Ministres d’Æole et le flot les agitent ;
Maint coup, maint tourbillon les pousse à tous momens,
Fresle et triste joüet de la vague et des vents.
En tel et pire état le frisson vient réduire
Ceux qu’un chaud vehement menace de détruire.
Il n’est muscle ny membre en l’assemblage entier
Qui ne semble être prés du naufrage dernier.
De divers ennemis à l’envi nous traversent,
Malheureuse carriere où ces Demons s’exercent.

Si le mal continuë, et que d’aucun repos
La fievre n’ait borné ses funestes complots,
Dans les Fébricitans il n’est rien qui ne peche :
Le palais se noircit, et la langue se seche,
On respire avec peine, et d’un frequent effort.

Tout s’altere ; et bien-tôt la raison prend l’essort.
Le Medecin confus redouble ses allarmes.
Une famille tout en larmes
Consulte ses regards : il a beau déguiser,
Aucun des assistans ne s’y laisse abuser.
Le malade luy-même a l’œil sur leur visage.
Tout ce qui l’environne est d’un triste présage ;
Sa moitié, des enfans, l’un l’appuy de ses jours,
Un autre entre les bras de ses chastes amours,
Une fille pleurante, et déja destinée
Aux prochaines douceurs d’un heureux hymenée.
Alors, alors, il faut oublier ces plaisirs.
L’ame en soy se rameine, encor que nos desirs
Renoncent à regret à des restes de vie.
Douce lumiere, helas ! me seras-tu ravie ?
Ame, où t’envoles-tu sans espoir de retour ?
Le malade, arrivé prés de son dernier jour,
Rappelle ces momens où personne ne songe
Aux remords trop tardifs où cet instant nous plonge.
Sur ce qu’il a commis il tasche à repasser :
En vain ; car le transport à ce foible penser
Fait bien-tôt succeder les folles réveries,
Le délire, et souvent le poison des furies.
On tente l’emetique alors infructueux,
Puis l’art nous abandonne au remede des vœux.

Pandore, que ta boëte en maux étoit feconde !
Que tu sceus temperer les douceurs de ce monde !
A peine en sommes-nous devenus habitans,
Qu’entourez d’ennemis dés les premiers instans,
Il nous faut par des pleurs ouvrir nôtre carriere.
On n’a pas le loisir de goûter la lumiere.
Miserables humains, combien possedez-vous
Un present si cher et si doux ?
Retranchez-en le tems dont Morphée est le maître ;
Retranchez ces jours superflus
Où nôtre ame ignorant son être
Ne se sent pas encore, ou bien ne se sent plus :

Ostez le tems des soins, celuy des maladies,
Intermede fatal qui partage nos vies.
La fievre quelquefois fait que dans nos maisons
Nous passons sans soleil trois retours de saisons.
Ce mal a le pouvoir d’étendre
Autant et plus encor son long et triste cours ;
Un de ces trois cercles de jours
Se passe à le souffrir, deux autres à l’attendre.

Mais c’est trop s’arrêter à des sujets de pleurs :
Allons quelques momens dormir sur le Parnasse ;
Nous en celebrerons avecque plus de grace
Le present qu’Apollon oppose à ces malheurs.


P O Ë M E


D U


Q U I N Q U I N A




SECOND CHANT.


Enfin, grace au demon qui conduit mes ouvrages,
Je vais offrir aux yeux de moins tristes images ;
Par luy j’ay peint le mal et j’ay lieu d’esperer
Qu’en parlant du remede il viendra m’inspirer.
On ne craint plus cette hydre aux têtes renaissantes,
La fievre exerce en vain ses fureurs impuissantes :
D’autres tems sont venus, Loüis regne ; et les Dieux
Reservoient à son siecle un bien si precieux ;
A son siecle ils gardoient l’heureuse découverte
D’un bois qui tous les jours cause au Styx quelque perte.
Nous n’avons pas toûjours triomphé de nos maux :
Le Ciel nous a souvent envoyé des travaux.
D’autres tems sont venus : Loüis regne ; et la Parque
Sera lente à trancher nos jours sous ce Monarque.
Son merite a gagné les arbitres du sort ;
Les destins avec luy semblent être d’accord.
Durez, bienheureux tems ; et que sous ses auspices
Nous portions chez les morts plus tard nos sacrifices.

J’en conjure le Dieu qui m’inspire ces vers ;
Je t’en conjure aussi, Pere de l’Univers,
Et vous, Divinitez aux hommes bienfaisantes,
Qui temperez les airs, qui regnez sur les plantes,
Concourez pour luy plaire, empéchez les humains
D’avancer leur tribut au Roy des peuples vains.
J’enseigne là dessus une nouvelle route :
C’est le bien des mortels ; que tout mortel m’écoute.

J’ay fait voir ce que croit l’école et ses supposts :
On a laissé long-tems leur erreur en repos.
Le Quina l’a détruite, on suit des loix nouvelles.
Arriere les humeurs ; qu’elles péchent ou non,
La fievre est un levain qui subsiste sans elles :
Ce mal si craint n’a pour raison
Qu’un sang qui se dilate, et bout dans sa prison.

On s’est formé jadis une semblable idée
Des eaus dont tous les ans Memphis est inondée.
Plus d’un Naturaliste a cru
Que les esprits nitreux d’un ferment prétendu
Faisoient croître le Nil, quand toute eau se renferme
Et n’ose outrepasser le terme
Que d’invisibles mains sur ses bords ont écrit ;
Celle-cy seule échappe, et dédaigne son lit !
Les Nymphes de ce fleuve errent dans les campagnes
Sous les signes brûlans, et pendant plusieurs jours.
D’où vient, dit un Auteur, qu’il enfle alors son cours ?
Le climat est sans pluye ; on n’entend aux montagnes
Bruire en ces lieux aucuns torrens :
En ces lieux nuls ruisseaus courans
N’augmentent le tribut dont s’arrosent les plaines.
Si l’on croit cet Auteur, certain boüillonnement
Par le nitre causé fait ce débordement.
C’est ainsi que le sang fermente dans nos veines,
Qu’il y bout, qu’il s’y meut, dilaté par le cœur.
Les esprits, alors en fureur,
Tâchent par tous moyens d’ébranler la machine.

On frissonne, on a chaud. J’ay déduit ces effets
Selon leur ordre et leur progrés.
Dés qu’un certain acide en nôtre corps domine,
Tout fermente, tout bout, les esprits, les liqueurs ;
Et la fievre de là tire son origine
Sans autre vice des humeurs.
Que faisoient nos ayeux pour rendre plus tranquille
Ce sang ainsi boüillant ? ils saignoient, mais en vain :
L’eau qui reste en l’Æolipile
Ne se refroidit pas quand il devient moins plein.
L’airain souflant fait voir que la liqueur enclose
Augmente de chaleur, décheuë en quantité :
Le soufle alors redouble, et cet air irrité
Ne trouve du repos qu’en consumant sa cause.
Du sentiment fievreux on trenche ainsi le cours ;
Il cesse avec le sang, le sang avec nos jours.

Tout mal a son remede au sein de la nature.
Nous n’avons qu’à chercher : de là nous sont venus
L’antimoine avec le Mercure,
Tresors autrefois inconnus.
Le Quin regne aujourd’huy : nos habiles s’en servent.
Quelques-uns encore conservent,
Comme un poinct de religion,
L’interest de l’école et leur opinion.
Ceux-là même y viendront, et desormais ma veine
Ne plaindra plus des maux dont l’art fait son domaine.
Peu de gens, je l’avoüe, ont part à ce discours :
Ce peu c’est encor trop. Je reviens à l’usage
D’une écorce fameuse, et qui va tous les jours
Rappeller des mortels jusqu’au sombre rivage.
Un arbre en est couvert, plein d’esprits odorans,
Gros de tige, étendu, Protecteur de l’ombrage :
Apollon a doüé de cent dons differens
Son bois, son fruit, et son feüillage.
Le premier sert à maint ouvrage ;
Il est ondé d’aurore ; on en pouroit orner
Les maisons où le luxe a droit de dominer.

Le fruit a pour pepins une graine onctueuse,
D’ample volume et précieuse :
Elle a l’effet du baume, et fournit aux humains,
Sans le secours du tems, sans l’adresse des mains,
Un remede à mainte blessure.
Sa feüille est semblable en figure
Aux tresors toûjours verts que mettent sur leur front
Les Heros de la Thrace et ceux du double mont[78].

Cet arbre ainsi formé se couvre d’une écorce
Qu’au Cinamone on peut comparer en couleur.
Quant à ses qualitez principes de sa force,
C’est l’âpre, c’est l’amer, c’est aussi la chaleur,
Celle-cy cuit les sucs de qualit6 loüable,
Dissipe ce qui nuit ou n’est point favorable ;
Mais la principale vertu
Par qui soit ce ferment dans nos corps combattu,
C’est cet amer, cet âpre, ennemis de l’acide,
Double frein qui, domptant sa fureur homicide,
Appaise les esprits de colere agitez ;
Non qu’enfin toutes âpretez
Causent le même effet, ny toutes amertumes :
La nature, toûjours diverse en ses coûtumes,
Ne fait point dans l’absynthe un miracle pareil ;
Il n’est deu qu’à ce bois, digne Fils du Soleil.
De luy dépend tout l’effet du remede :
Seul il commande aux fermens ennemis,
Bien que souvent on luy donne pour aide
La Centaurée, en qui le Ciel a mis
Quelque âpreté, quelque force astringente,
Non d’un tel prix, ny de l’autre approchante,
Mais quelquefois fébrifuge certain.
C’est une fleur digne aussi qu’on la chante ;
J’ay dit sa force, et voicy son destin.
Fille jadis, maintenant elle est plante.

Aide--moy, Muse, à rappeler
Ces fastes qu’aux humains tu daignas reveler.
On dit, et je le crois, qu’une Nymphe sçavante
L’eut du sage Chiron, et qu’ils luy firent part
Des plus beaux secrets de leur art.
Si quelque fievre ardente attaquoit ses compagnes,
Si courans parmi les campagnes
Un levain trop boüillant en vouloit à leurs jours,
La belle à ses secrets avoit alors recours.
Il ne s’en trouva point qui pût guerir_son ame
Du ferment obstiné de l’amoureuse flame.
Elle aimoit un Berger qui causa son trépas.
Il la vid expirer, et ne la plaignit pas.
Les Dieux pour le punir en marbre le changerent.
L’ingrat devint statuë ; elle fleur, et son sort
Fut d’être bienfaisante encore aprés sa mort ;
Son talent et son nom toûjours luy demeurerent.
Heureuse si quelque herbe eût sceu calmer ses feux !
Car de forcer un cœur il est bien moins possible :
Helas ! aucun secret ne peut rendre sensible,
Nul simple n’adoucit un objet rigoureux ;
Il n’est bois, ny fleur, ny racine,
Qui dans les tourmens amoureux
Puisse servir de medecine.

La base du remede étant ce divin bois,
Outre la Centaurée on y joint le genievre ;
Foible secours, et secours toutefois.
De prescrire à chacun le mélange et le poids,
Un plus sçavant l’a fait : examinez la fievre,
Regardez le tempérament ;
Doublez, s’il est besoin, l’usage de l’écorce :
Selon que le malade a plus ou moins de force,
Il demande un Quina plus ou moins vehement.
Laissez un peu de tems agir la maladie ;
Cela fait, tranchez court : quelque fois un moment
Est maître de toute une vie.
Ce détail est écrit ; il en court un traité.

Je loüerois l’Auteur et l’ouvrage :
L’amitié le défend, et retient mon suffrage ;
C’est assez à l’Auteur de l’avoir merité.
Je luy dois seulement rendre cette justice
Qu’en nous découvrant l’art, il laisse l’artifice,
Le mystere, et tous ces chemins.
Que suivent aujourd’huy la plûpart des humains.

Nulle liqueur au Quina n’est contraire :
L’onde insipide et la cervoise amere,
Tout s’en imbibe ; il nous permet d’user
D’une boisson en ptisanne aprêtée.
Diverses gens l’ayant sceu déguiser,
Leur interest en a fait un Protée.
Même on pourroit ne le pas infuser :
L’extrait suffit ; préferez l’autre voye :
C’est la plus seure ; et Bacchus vous envoye
De pleins vaisseaus d’un jus délicieux,
Autre antidote, autre bien-fait des Cieux.
Le moût sur tout, lorsque le bon Silene,
Boüillant encor le puise à tasse pleine,
Sçait au remede ajoûter quelque prix :
Soit qu’étant plein de chaleur et d’esprits
Il le sublime, et donne à sa nature
D’autres degrez qu’une simple teinture ;
Soit que le vin par ce chaud vehement
$’impreigne alors beaucoup plus aisément,
Ou que boüillant il rejette avec force
Tout l’inutile et l’impur de l’écorce :
Ce jus enfin, pour plus d’une raison,
Partagera les honneurs d’Apollon.
Nez l’un pour l’autre, ils joindront leur puissance :
Entre Bacchus et le sacré Vallon
Toûjours on vid une étroite alliance.
Mais, comme il faut au Quina quelque choix,
Le vin en veut aussi-bien que ce bois :
Le plus leger convient mieux au remede ;
Il porte au sang un baume precieux :

C’est le nectar que verse Ganimede
Dans les festins du Monarque des Dieux.
Ne nous engageons point dans un détail immense :
Les longs travaux pour moy ne sont plus de saison ;
Il me suffit icy de joindre à la raison
Les succés de l’experience.
Je ne m’arrête point à chercher dans ces vers
Qui des deux amena les arts dans l’Univers ;
Nos besoins proprement en font leur apanage :
Les arts sont les enfans de la necessité ;
Elle aiguise le soin, qui, par elle excité,
Met aussi-tôt tout en usage.
Et qui sçait si dans maint ouvrage
L’instinct des animaux, Precepteur des humains,
N’a point d’abord guidé nôtre esprit et nos mains ?
Rendons grace au hazard. Cent machines sur l’onde
Promenoient l’avarice en tous les coins du monde :
L’or entouré d’écueils avoit des poursuivans ;
Nos mains l’alloient chercher au sein de sa patrie :
Le Quina vint s’offrir à nous en même tems,
Plus digne mille fois de nôtre idolatrie.
Cependant prés d’un siecle[79] on l’a vû sans honneurs.
Depuis quelques étez qu’on brigue ses faveurs ;
Quel bruit n’a-t-il point fait ! dequoy fument nos Temples
Que de l’encens promis au succés de ses dons ?
Sans me charger icy d’une foule d’exemples,
Je me veux seulement attacher aux grands noms.
Combien a-t-il sauvé de precieuses têtes !
Nous luy devons Condé, Prince dont les travaux,
L’esprit, le profond sens, la valeur, les conquêtes,
Serviroient de matiere à former cent Heros.
Le Quin fera longtems durer ses destinées.
Son fils, digne heritier d’un nom si glorieux,

Eût aussi sans ce bois languy maintes journées :
J’ay pour garands deux demi-Dieux.
Arbitres de nos jours, prolongez les années
De ce couple vaillant et né pour les hazards,
De ces chers nourrissons de Minerve et de Mars.
Puisse mon ouvrage leur plaire !
Je toucheray du front les bords du firmament[80].
Et toy que le Quina guerit si promptement,
Colbert, je ne dois point te taire ;
Je laisse tes travaux, ta prudence et le choix
D’un Prince que le Ciel prendra pour exemplaire
Quand il voudra former de grands et sages Rois ;
D’autres que moy diront ton zele et ta conduite,
Monument eternel aux Ministres suivans :
Ce sujet est trop vaste, et ma Muse est reduite
A dire les faveurs que tu fais aux sçavans.
Un jour j’entreprendray cette digne matiere,
Car pour fournir encore une telle carriere
Il faut reprendre haleine ; aussi bien aujourd’huy
Dans nos chants les plus courts on trouve un long ennuy.
J’ajoûterai sans plus que le Quina dispense
De ce regime exact dont on suivoit la loy ;
Sa chaleur contre nous agit faute d’employ :
Non qu’il faille trop loin porter cette indulgence.
Si le Quina servoit à nourrir nos defaux,
Je tiendrois un tel bien pour le plus grand des maux.
Les Muses m’ont appris que l’enfance du monde,
Simple, sans passions, en desirs infeconde,
Vivant de peu, sans luxe, évitoit les douleurs ;
Nous n’avions pas en nous la source des malheurs
Qui nous font aujourd’huy la guerre :
Le Ciel n’exigeoit lors nuls tributs de la terre ;
L’homme ignoroit les Dieux, qu’il n’apprend qu’au besoin :
De nous les enseigner Pandore prit le soin ;
Sa boëte se trouva de poisons trop remplie.
Pour dispenser les biens et les maux de la vie,

En deux tonneaux à part l’un et l’autre fut mis.
Ceux de nous que Jupin regarde comme amis
Puisent à leur naissance en ces tonnes fatales
Un mélange des deux, par portions égales ;
Le reste des humains abonde dans les maux.
Au seuil de son palais Jupin mit ces tonneaux.
Ce ne fut icy bas que plainte et que murmure ;
On accusa des maux l’excessive mesure.
Fatigué de nos cris, le Monarque des Dieux
Vint luy-même éclaircir la chose en ces bas lieux,
La renommée en fit aussi-tôt le message.
Pour luy representer nos maux et nos langueurs,
On députa deux harangueurs,
De tout le genre humain le couple le moins sage,
Avec un discours ampoulé
Exagerans nos maladies ;
Jupiter en fut ébranlé.
Ils firent un portrait si hideux de nos vies,
Qu’il inclina d’abord à reformer le tout.
Momus alors present reprit de bout en bout
De nos deux envoyez les harangues frivoles :
N’écoutez point, dit-il, ces diseurs de paroles ;
Qu’ils imputent leurs maux à leur déreglement,
Et non point aux Auteurs de leur temperament ;
Cette race pourroit, avec quelque sagesse,
Se faire de nos biens à soy-même largesse.
Jupiter crût Momus ; il fronça les sourcis :
Tout l’Olimpe en trembla sur ses poles assis.
Il dit aux Orateurs : Va, malheureuse engeance ;
C’est toy seule qui rends ce partage inegal :
En abusant du bien, tu fais qu’il devient mal,
Et ce mal est accrû par ton impatience.
Jupiter eut raison ; nous nous plaignons à tort :
La faute vient de nous aussi bien que du sort.
Les Dieux nous ont jadis deux vertus députées,
La constance aux douleurs, et la sobrieté :
C’étoit rectifier cette inégalité ;
Comment les avons-nous traitées ?

Loin de loger en nos maisons
Ces deux filles du Ciel, ces sages Conseilleres,
Nous fuyons leur commerce, elles n’habitent gueres
Qu’en des lieux que nous méprisons.
L’homme se porte en tout avecque violence,
A l’exemple des animaux,
Aveugle jusqu’au point de mettre entre les maux
Les conseils de la temperance.

Corrigez-vous, humains ; que le fruit de mes vers
Soit l’usage reglé des dons de la nature.
Que si l’excés vous jette en ces fermens divers,
Ne vous figurez pas que quelque humeur impure
Se doive avec le sang épuiser dans nos corps :
Le Quina s’offre à vous, usez de ses tresors.
Eternisez mon nom ; qu’un jour on puisse dire :
Le chantre de ce bois sceut choisir ses sujets ;
Phœbus, ami des grands projets,
Luy prêta son sçavoir aussi-bien que sa lire.
J’accepte cet augure à mes vers glorieux.
Tout concourt à flater là-dessus mon genie :
Je les ay mis au jour sous Loüis, et les Dieux
N’oseroient s’opposer au vouloir d’Uranie.



PHILEMON ET BAUCIS



SUJET TIRÉ DES METAMORPHOSES D’OVIDE.


PHILEMON ET BAUCIS.


SUJET TIRÉ DES METAMORPHOSES D’OVIDE.[81]


Poëme dedié


A Mgr LE DUC DE VENDOME[82]




Ny l’or ny la grandeur ne nous rendent heureux.
Ces deux Divinitez n’accordent à nos vœux
Que des biens peu certains, qu’un plaisir peu tranquile :
Des soucis devorans c’est l’éternel asile ;
Veritables vautours, que le fils de Japet
Represente, enchainé sur son triste sommet.
L’humble toict est exempt d’un tribut si funeste.
Le Sage y vit en paix et méprise le reste :
Content de ces douceurs, errant parmi les bois,
Il regarde à ses pieds les favoris des Rois,
Il lit au front de ceux qu’un vain luxe environne

Que la Fortune vend ce qu’on croit qu’elle donne.
Aproche-t-il du but, quitte-t-il ce séjour,
Rien ne trouble sa fin : c’est le soir d’un beau jour.
Philémon et Baucis nous en offrent l’exemple :
Tous deux virent changer leur Cabane en un Temple.
Hymenée et l’Amour, par des desirs constans,
Avoient uni leurs cœurs dés leur plus doux printemps :
Ny le temps ny l’hymen n’éteignirent leur flâme ;
Cloton prenoit plaisir à filer cette trame.
Ils sceurent cultiver, sans se voir assistez,
Leur enclos et leur champ par deux fois vingt Estez.
Eux seuls ils composoient toute leur Republique,
Heureux de ne devoir à pas-un domestique
Le plaisir ou le gré des soins qu’ils se rendoient.
Tout vieillit : sur leurs fronts les rides s’étendoient ;
L’amitié modera leurs feux sans les détruire,
Et par des traits d’amour sçût encor se produire.
Ils habitoient un Bourg plein de gens dont le cœur
Joignoit aux duretez un sentiment moqueur.
Jupiter resolut d’abolir cette engeance.
Il part avec son fils, le Dieu de l’Eloquence ;
Tous deux en Pelerins vont visiter ces lieux.
Mille logis y sont, un seul ne s’ouvre aux Dieux.
Prests enfin à quitter un séjour si prophane,
Ils virent à l’écart une étroite cabane,
Demeure hospitaliere, humble et chaste maison.
Mercure frappe : on ouvre ; aussi-tôt Philémon
Vient au-devant des Dieux et leur tient ce langage :
Vous me semblez tous deux fatiguez du voyage,
Reposez-vous. Usez du peu que nous avons ;
L’aide des Dieux a fait que nous le conservons :
Usez-en. Salüez ces Penates d’argile :
Jamais le Ciel ne fut aux humains si facile,
Que quand Jupiter même étoit de simple bois ;
Depuis qu’on l’a fait d’or, il est sourd à nos voix.
Baucis, ne tardez point ; faites tiédir cette onde :
Encor que le pouvoir au desir ne réponde,
Nos Hôtes agréront les soins qui leurs sont dûs.

Quelques restes de feu sous la cendre épandus
D’un souffle haletant par Baucis s’allumerent :
Des branches de bois sec aussi-tôt s’enflammerent.
L’onde tiéde, on lava les pieds des Voyageurs.
Philémon les pria d’excuser ces longueurs :
Et pour tromper l’ennuv d’une attente importune,
Il entretint les Dieux, non point sur la fortune,
Sur ses jeux, sur la pompe et la grandeur des Rois,
Mais sur ce que les champs, les vergers et les bois
Ont de plus innocent, de plus doux, de plus rare.
Cependant par Baucis le festin se prepare.
La table où l’on servit le champêtre repas
Fut d’aix non façonnez à l’aide du compas :
Encore assure-t-on, si l’histoire en est cruë,
Qu’en un de ses supports le temps l’avoit rompuë.
Baucis en égala les appuis chancelans
Du débris d’un vieux vase, autre injure des ans.
Un tapis tout usé couvrit deux escabelles :
Il ne servoit pourtant qu’aux fêtes solemnelles.
Le linge orné de fleurs fut couvert, pour tout mets,
D’un peu de lait, de fruits, et des dons de Céres.
Les divins Voyageurs, alterez de leur course,
Méloient au vin grossier le cristal d’une source.
Plus le vase versoit, moins il s’alloit vuidant.
Philémon reconnut ce miracle évident ;
Baucis n’en fit pas moins : tous deux s’agenoüillerent ;
A ce signe d’abord leurs yeux se désillerent.
Jupiter leur parut avec ces noirs sourcis
Qui font trembler les Cieux sur leurs Pôles assis.
Grand Dieu ! dit Philémon, excusez nôtre faute :
Quels humains auroient crû recevoir un tel Hôte ?
Ces mets, nous l’avoüons, sont peu delicieux ;
Mais quand nous serions Rois, que donner à des Dieux ?
C’est le cœur qui fait tout : que la terre et que l’onde
Aprêtent un repas pour les Maîtres du monde,
Ils luy prefereront les seuls presens du cœur.
Baucis sort à ces mots pour reparer l’erreur.
Dans le verger couroit une perdrix privée,

Et par de tendres soins dés l’enfance élevée ;
Elle en veut faire un mets, et la poursuit en vain :
La volatille échape à sa tremblante main ;
Entre les pieds des Dieux elle cherche un asile.
Ce recours à l’oyseau ne fut pas inutile ;
Jupiter intercede. Et déja les valons
Voyoient l’ombre en croissant tomber du haut des monts.
Les Dieux sortent enfin, et font sortir leurs hôtes.
De ce Bourg, dit Jupin, je veux punir les fautes ;
Suivez-nous. Toy, Mercure, apelle les vapeurs.
O gens durs ! vous n’ouvrez vos logis ny vos cœurs !
Il dit : et les Autans troublent déja la plaine.
Nos deux Epoux suivoient ne marchans qu’avec peine
Un appuy de roseau soulageoit leurs vieux ans :
Moitié secours des Dieux, moitié peur, se hâtans,
Sur un mont assez proche enfin ils arriverent ;
A leurs pieds aussi-tôt cent nuages creverent.
Des ministres du Dieu les escadrons flottans
Entraînerent, sans choix, animaux, habitans,
Arbres, maisons, vergers, toute cette demeure ;
Sans vestige de[83] Bourg, tout disparut sur l’heure.
Les vieillards déploroient ces severes destins.
Les animaux perir ! car encor les humains,
Tous avoient dû tomber sous les celestes armes ;
Baucis en répandit en secret quelques larmes.
Cependant l’humble Toict devient Temple, et ses murs
Changent leur fresle enduit aux marbres les plus durs,
De pilastres massifs les cloisons revétuës
En moins de deux instans s’élevent jusqu’aux nuës ;
Le chaume devient or, tout brille en ce pourpris.
Tous ces evenemens sont peints sur le lambris.
Loin, bien loin les tableaux de Zeuxis et d’Apelle !
Ceux-cy furent tracez d’une main immortelle.
Nos deux Epoux, surpris, étonnez, confondus,
Se crurent, par miracle, en l’Olimpe rendus.
Vous comblez, dirent-ils, vos moindres creatures :

Aurions-nous bien le cœur et les mains assez pures
Pour presider icy sur les honneurs divins,
Et Prêtres vous offrir les vœux des Pelerins ?
Jupiter exauça leur priere innocente.
Helas ! dit Philémon, si vôtre main puissante
Vouloit favoriser jusqu’au bout deux mortels,
Ensemble nous mourrions en servant vos autels.
Cloton feroit d’un coup ce double sacrifice ;
D’autres mains nous rendroient un vain et triste office ;
Je ne pleurerois point celle-cy, ny ses yeux
Ne troubleroient non plus de leurs larmes ces lieux.
Jupiter à ce vœu fut encor favorable :
Mais oseray-je dire un fait presque incroyable ?
Un jour qu’assis tous deux dans le sacré parvis
Ils contoient cette histoire aux Pelerins ravis,
La troupe à l’entour d’eux debout prétoit l’oreille ;
Philémon leur disoit : Ce lieu plein de merveille
N’a pas toûjours servi de temple aux Immortels :
Un Bourg étoit autour, ennemy des autels,
Gens barbares, gens durs, habitacle d’impies ;
Du celeste couroux tous furent les hosties.
Il ne resta que nous d’un si triste debris :
Vous en verrez tantost la suite en nos lambris ;
Jupiter l’y peignit. En contant ces annales,
Philémon regardoit Baucis par intervales ;
Elle devenoit arbre, et luy tendoit les bras :
Il veut luy tendre aussi les siens, et ne peut pas.
Il veut parler, l’écorce a sa langue pressée.
L’un et l’autre se dit adieu de la pensée :
Le corps n’est tantôt plus que feüillage et que bois.
D’étonnement la Troupe, ainsi qu’eux, perd la voix.
Même instant, même sort à leur fin les entraîne ;
Baucis devient Tilleul, Philémon devient Chêne.
On les va voir encore, afin de meriter
Les douceurs qu’en hymen Amour leur fit goûter.
Ils courbent sous le poids des offrandes sans nombre.
Pour peu que des époux sejournent sous leur ombre,
Ils s’aiment jusqu’au bout, malgré l’effort des ans.

Ah ! si... Mais autre-part j’ay porté mes presens.
Celebrons seulement cette metamorphose.
De fideles témoins m’ayant conté la chose,
Clio me conseilla de l’étendre en ces vers,
Qui pourroit quelque jour l’apprendre à l’Univers.
Quelque jour on verra chez les Races futures,
Sous l’appuy d’un grand nom passer ces avantures.
Vendôme, consentez au los que j’en attens ;
Faites-moy triompher de l’Envie et du Temps :
Enchaînez ces démons, que sur nous ils n’attentent,
Ennemis des Heros et de ceux qui les chantent.
Je voudrois pourtant dire en un stile assez haut
Qu’ayant mille vertus vous n’avez nul défaut.
Toutes les celebrer seroit œuvre infinie ;
L’entreprise demande un plus vaste génie :
Car quel mérite enfin ne vous fait estimer ?
Sans parler de celuy qui force à vous aimer.
Vous joignez à ces dons l’amour des beaux ouvrages,
Vous y joignez un goût plus seur que nos suffrages ;
Don du Ciel, qui peut seul tenir lieu des presens
Que nous font à regret le travail et les ans.
Peu de gens élevez, peu d’autres encor même,
Font voir par ces faveurs que Jupiter les aime.
Si quelque enfant des Dieux les possede, c’est vous ;
Je l’ose dans ces vers soutenir devant tous.
Clio, sur son giron, à l’exemple d’Homere,
Vient de les retoucher, attentive à vous plaire :
On dit qu’elle et ses Sœurs, par l’ordre d’Apollon,
Transportent dans Anet tout le sacré Vallon ;
Je le crois. Puissions-nous chanter sous les ombrages
Des arbres dont ce lieu va border ses rivages !
Pussent-ils tout d’un coup élever leurs sourcis,
Comme on vid autrefois Philémon et Baucis !









LES FILLES DE MINÉE



SUJET TIRÉ DES METAMORPHOSES D’OVIDE.


LES FILLES DE MINÉE


SUJET TIRÉ DES METAMORPHOSES D’OVIDE.[84]




Je chante dans ces vers les filles de Minée,
Troupe aux arts de Pallas dés l’enfance adonnée,
Et de qui le travail fit entrer en courroux
Bacchus, à juste droit de ses honneurs jaloux.
Tout Dieu veut aux humains se faire reconnaitre :
On ne voit point les champs répondre aux soins du maître,

Si dans les jours sacrez, autour de ses guerets,
Il ne marche en triomphe à l’honneur de Céres.
La Grece étoit en jeux pour le fils de Sémele.
Seules on vid trois sœurs condamner ce saint zele :
Alcithoé, l’aînée, ayant pris ses fuseaux,
Dit aux autres : Quoy donc ! toûjours des Dieux nouveaux !
L’Olympe ne veut plus contenir tant de têtes,
Ny l’an fournir de jours assez pour tant de Fêtes.
Je ne dis rien des vœux dûs aux travaux divers
De ce Dieu qui purgea de monstres l’Univers ;
Mais à quoy sert Bacchus, qu’à causer des querelles,
Affoiblir les plus sains, enlaidir les plus belles,
Souvent mener au Stix par de tristes chemins ?
Et nous irions chommer la peste des humains !
Pour moy, j’ay resolu de poursuivre ma tâche.
Se donne qui voudra ce jour-cy du relache ;
Ces mains n’en prendront point. Je suis encor d’avis
Que nous rendions le temps moins long par des recits :
Toutes trois, tour à tour, racontons quelque histoire.
Je pourrois retrouver sans peine en ma memoire
Du Monarque des Dieux les divers changemens ;
Mais, comme chacun sçait tous ces évenemens,
Disons ce que l’Amour inspire à nos pareilles :
Non toutefois qu’il faille, en contant ses merveilles,
Acoûtumer nos cœurs à goûter son poison ;
Car, ainsi que Bacchus, il trouble la raison.
Récitons-nous les maux que ses biens nous attirent.
Alcithoé se tut, et ses sœurs applaudirent.
Aprés quelques momens, haussant un peu la voix :
Dans Thebes, reprit-elle, on conte qu’autrefois
Deux jeunes cœurs s’aymoient d’une égale tendresse :
Pyrame, c’est l’amant, eut Thisbé pour maltresse.
Jamais couple ne fut si bien assorti qu’eux :
L’un bien-fait, l’autre belle, agreables tous deux,
Tous deux dignes de plaire, ils s’aymerent sans peine
D’autant plustôt épris, qu’une invincible haine
Divisant leurs parens ces deux amans unit,

Et concourut aux traits dont l’amour se servit.
Le hazard, non le choix, avoit rendu voisines
Leurs maisons où regnoient ces guerres intestines :
Ce fut un avantage à leurs desirs naissans.
Le cours en commença par des jeux innocens :
La premiere étincelle eut embrasé leur ame,
Qu’ils ignoroient encor ce que c’étoit que flâme.
Chacun favorisoit leurs transports mutuels,
Mais c’étoit à l’insceu de leurs parens cruels.
La défence est un charme : on dit qu’elle assaisonne
Les plaisirs, et sur tout ceux que l’amour nous donne.
D’un des logis à l’autre, elle instruisit du moins
Nos Amans à se dire avec signes leurs soins.
Ce leger reconfort ne les put satisfaire ;
Il falut recourir à quelque autre mystere.
Un vieux mur entr’ouvert separoit leurs maisons ;
Le temps avoit miné ses antiques cloisons :
Là souvent de leurs maux ils déploroient la cause ;
Les paroles passoient, mais c’étoit peu de chose.
Se plaignant d’un tel sort, Pirame dit un jour :
Chere Thisbé, le Ciel veut qu’on s’aide en amour.
Nous avons à nous voir une peine infinie ;
Fuyons de nos parens l’injuste tyrannie :
J’en ay d’autres en Grece, ils se tiendront heureux
Que vous daigniez chercher un azyle chez eux ;
Leur amitié, leurs biens, leur pouvoir, tout m’invite
A prendre le parti dont je vous sollicite.
C’est vôtre seul repos qui me le fait choisir ;
Car je n’ose parler, helas ! de mon desir.
Faut-il à votre gloire en faire un sacrifice ?
De crainte des vains bruits faut-il que je languisse ?
Ordonnez ; j’y consens, tout me semblera doux ;
Je vous ayme, Thisbé, moins pour moy que pour vous.
J’en pourrois dire autant, luy repartit l’amante :
Vôtre amour étant pure, encor que vehemente
Je vous suivray par tout ; nôtre commun repos
Me doit mettre au dessus de tous les vains propos :
Tant que de ma vertu je seray satisfaite,

Je riray des discours d’une langue indiscrete,
Et m’abandonneray sans crainte à vôtre ardeur,
Contente que je suis des soins de ma pudeur.
Jugez ce que sentit Pirame à ces paroles.
Je n’en fa{s point icy de peintures frivoles :
Suppléez au peu d’art que le Ciel mit en moy ;
Vous-mêmes peignez-vous cet Amant hors de soy.
Demain, dit-il, il faut sortir avant l’Aurore ;
N’attendez point les traits que son char fait éclore.
Tenez-vous aux degrez du terme de Cerés ;
Là, nous nous attendrons : le rivage est tout prés,
Un barque est au bord ; les Rameurs, le vent même,
Tout pour nôtre départ montre une hâte extrême ;
L’augure en est heureux, nôtre sort va changer ;
Et les Dieux sont pour nous, si je sçais bien juger :
Thisbé consent à tout : elle en donne pour gage
Deux baisers, par le mur arétez au passage.
Heureux mur ! tu devois servir mieux leur desir ;
Ils n’obtinrent de toy qu’une ombre de plaisir.
Le lendemain Thisbé sort, et prévient Pirame ;
L’impatience, helas ! maîtresse de son ame,
La fait arriver seule et sans guide aux degrez.
L’ombre et le jour lutoient dans les champs azurez.
Une lionne vient, monstre imprimant la crainte ;
D’un carnage recent sa gueulle est toute teinte.
Thisbé fuit, et son voile emporté par les airs,
Source d’un sort cruel, tombe dans ces déserts :
La lionne le void, le soüille, le déchire,
Et, l’ayant teint de sang, aux forests se retire.
Thisbé s’étoit cachée en un buisson épais.
Pirame arrive, et void ces vestiges tout frais.
O Dieux ! que devient-il ? Un froid court dans ses veines.
Il apperçoit le voile étendu dans ces plaines,
Il le leve ; et le sang, joint aux traces des pas,
L’empêche de douter d’un funeste trépas.
Thisbé, s’écria-t-il, Thisbé, je t’ay perduë !
Te voila, par ma faute, aux Enfers descenduë !
Je l’ay voulu ; c’est moy qui suis le monstre affreux

Par qui tu t’en vas voir le séjour tenebreux :
Attens-moy, je te vais reioindre aux rives sombres.
Mais m’oseray-je à toy presenter chez les Ombres ?
Joüis au moins du sang que je te vais offrir,
Malheureux de n’avoir qu’une mort à souffrir.
Il dit, et d’un poignard coupe aussitôt sa trame.
Thisbé vient ; Thisbé void tomber son cher Pirame.
Que devint-elle aussi ? Tout luy manque à la fois,
Les sens et les esprits, aussi bien que la voix.
Elle revient enfin ; Cloton, pour l’amour d’elle,
Laisse à Pirame ouvrir sa mourante prunelle.
Il ne regarde point la lumiere des Cieux ;
Sur Thisbé seulement il tourne encor les yeux.
Il voudroit luy parler ; sa langue est retenuë :
Il témoigne mourir content de l’avoir veuë.
Thisbé prend le poignard, et découvrant son sein :
Je n’accuseray point, dit-elle, ton dessein ;
Bien moins encor l’erreur de ton ame alarmée :
Ce seroit t’accuser de m’avoir trop aimée ;
Je ne t’aime pas moins : tu vas voir que mon cœur
N’a, non plus que le tien, merité son malheur.
Cher amant ! reçois donc ce triste sacrifice.
Sa main et le poignard font alors leur office ;
Elle tombe, et, tombant, range ses vétemens :
Dernier trait de pudeur même aux derniers momens.
Les Nymphes d’alentour luy donnerent des larmes,
Et du sang des amans teignirent par des charmes
Le fruit d’un meurier proche, et blanc jusqu’à ce jour
Eternel monument d’un si parfait amour.
Cette histoire attendrit les Filles de Minée :
L’une accusoit l’amant, l’autre la destinée,
Et toutes, d’une voix, conclurent que nos cœurs
De cette passion devroient être vainqueurs.
Elle meurt quelquefois avant qu’être contente :
L’est-elle, elle devient aussi-tôt languissante :
Sans l’hymen on n’en doit recüeillir aucun fruit,
Et cependant l’hymen est ce qui la détruit.
Il y joint, dit Climene, une âpre jalousie,

Poison le plus cruel dont l’ame soit saisie :
Je n’en veux pour témoin que l’erreur de Procris.
Alcithoé, ma sœur, attachant vos esprits,
Des tragiques amours vous a conté l’élite ;
Celles que je vais dire ont aussi leur merite.
J’acourciray le temps, ainsi qu’elle, à mon tour.
Peu s’en faut que Phœbus ne partage le jour,
A ses rayons perçans opposons quelques voiles :
Voyons combien nos mains ont avancé nos toiles.
Je veux que sur la mienne, avant que d’être au soir,
Un progrez tout nouveau se fasse appercevoir.
Cependant donnez-moy quelque heure de silence,
Ne vous rebutez point de mon peu d’éloquence ;
Soufrez-en les défauts, et songez seulement
Au fruit qu’on peut tirer de cet évenement.

Cephale aymoit Procris ; il étoit aymé d’elle :
Chacun se proposoit leur hymen pour modelle.
Ce qu’Amour fait sentit de piquant et de doux
Combloit abondamment les vœux de ces époux.
Ils ne s’aymoient que trop ! leurs soins et leur tendresse
Aprochoient des transports d’amant et de maîtresse.
Le Ciel même envia cette felicité :
Cephale eut à combattre une Divinité.
Il étoit jeune et beau : l’Aurore en fut charmée,
N’étant pas à ces biens, chez elle, accoûtumée.
Nos belles cacheroient un pareil sentiment :
Chez les Divinitez on en use autrement.
Celle-cy declara ses pensers[85] à Cephale.
Il eut beau luy parler de la foy conjugale:
Les jeunes Deïtez qui n’ont qu’un vieil époux
Ne se soûmettent point à ces loix comme nous :
La Déesse enleva ce Heros si fidele.
De moderer ses feux il pria l’Immortelle :
Elle le fit ; l’amour devint simple amitié.
Retournez, dit l’Aurore, avec vôtre moitié ;

Je ne troubleray plus vôtre ardeur ny la sienne :
Recevez seulement ces marques de la mienne.
(C’étoit un javelot toûjours seur de ses coups.)
Un jour cette Procris qui ne vit que pour vous
Fera le desespoir de vôtre ame charmée,
Et vous aurez regret de l’avoir tant aymée.
Tout Oracle est douteux, et porte un double sens :
Celuy-cy mit d’abord nôtre époux en suspens.
J’auray regret aux vœux que j’ay formez pour elle !
Eh comment ? n’est-ce point qu’elle m’est infidelle ?
Ah ! finissent mes jours plûtôt que de le voir !
Eprouvons toutefois ce que peut son devoir.
Des Mages aussi-tôt consultant la science,
D’un feint adolescent il prend la ressemblance,
S’en va trouver Procris, éleve jusqu’aux cieux
Ses beautez, qu’il soûtient être dignes des Dieux ;
Joint les pleurs aux soûpirs, comme un amant sçait faire,
Et ne peut s’éclaircir par cet art ordinaire.
Il falut recourir à ce qui porte coup,
Aux presens : il offrit, donna, promit beaucoup,
Promit tant, que Procris luy parut incertaine.
Toute chose a son prix. Voila Cephale en peine :
Il renonce aux citez, s’en va dans les forests ;
Conte aux vents, conte aux bois, ses déplaisirs secrets ;
S’imagine en chassant dissiper son martire.
C’étoit pendant ces mois où le chaud qu’on respire
Oblige d’implorer l’haleine des Zephirs.
Doux Vens, s’écrioit-il, prétez-moy des soupirs !
Venez, legers démons par qui nos champs fleurissent ;
Aure[86], fais-les venir, je sçai qu’ils t’obeïssent :
Ton employ dans ces lieux est de tout r’animer.
On l’entendit : on crut qu’il venoit de nommer
Quelque objet de ses vœux, autre que son épouse.
Elle en est avertie, et la voila jalouse.
Maint voisin charitable entretient ses ennuis.
Je ne le puis plus voit, dit-elle, que les nuits !

Il ayme donc cette Aure, et me quitte pour elle ?
Nous vous plaignons : il l’ayme, et sans cesse il l’appelle ;
Les échos de ces lieux n’ont plus d’autres emplois
Que celuy d’enseigner le nom d’Aure à nos bois ;
Dans tous les environs le nom d’Aure résonne.
Profitez d’un avis qu’en passant on vous donne :
L’interest qu’on y prend est de vous obliger.
Elle en profite, helas ! et ne fait qu’y songer.
Les amans sont toujours de legere croyance :
S’ils pouvoient conserver un rayon de prudence,
(Je demande un grand poinct, la prudence en amours)
Ils seroient aux rapports insensibles et sourds.
Nôtre épouse ne fut l’une ny l’autre chose.
Elle se leve un jour, et lors que tout repose,
Que de l’aube, au teint frais, la charmante douceur.
Force tout au sommeil, horsmis quelque Chasseur,
Elle cherche Cephale ; un bois l’offre à sa veuë.
Il invoquoit déja cette Aure prétenduë :
Vien me voir, disoit-il, chere Déesse, accours ;
Je n’en puis plus, je meurs ; fay que par ton secours
La peine que je sens se trouve soulagée.
L’Epouse se prétend par ces mots outragée :
Elle croit y trouver, non le sens qu’ils cachoient,
Mais celuy seulement que ses soupçons cherchoient.
O triste jalousie ! ô passion amere,
Fille d’un fol amour, que l’erreur a pour mere !
Ce qu’on voit par tes yeux cause assez d’embaras,
Sans voir encor par eux ce que l’on ne void pas !
Procris s’étoit cachée en la même retraite
Qu’un fan de biche avoit pour demeure secrete.
Il en sort, et le bruit trompe aussi-tôt l’Epoux.
Cephale prend le dard toûjours seur de ses coups,
Le lance en cet endroit, et perce sa jalouse :
Malheureux assassin d’une si chere épouse !
Un cri luy fait d’abord soupçonner quelque erreur :
Il accourt, void sa faute ; et, tout plein de fureur,
Du même javelot il veut s’ôter la vie.
L’Aurore et les Destins arrêtent cette envie.

Cet office luy fut plus cruel qu’indulgent :
L’infortuné mari, sans cesse s’affligeant,
Eût accrû par ses p]eurs le nombre des fontaines,
Si la Déesse enfin, pour terminer ses peines,
N’eût obtenu du Sort que l’on tranchât ses jours :
Triste fin d’un hymen bien divers en son cours !
Fuyons ce nœu, mes sœurs, je ne puis trop le dire :
Jugez par le meilleur quel peut être le pire.
S’il ne nous est permis d’aymer que sous ses loix,
N’aimons point. Ce dessein fut pris par toutes trois.
Toutes trois, pour chasser de si tristes pensées,
A revoir leur travail se montrent empressées.
Clymene, en un tissu riche, penible et grand,
Avoit presque achevé le fameux different
D’entre le Dieu des eaux et Pallas la sçavante.
On voyoit en lointain une ville naissante ;
L’honneur de la nommer, entr’eux deux contesté,
Dépendoit du present de chaque Deïté.
Neptune fit le sien d’un symbole de guerre ;
Un coup de son trident fit sortir de la terre
Un animal fougueux, un coursier plein d’ardeur.
Chacun de ce present admiroit la grandeur.
Minerve l’effaça, donnant à la contrée
L’Olivier, qui de paix est la marque assurée.
Elle emporta le prix, et nomma la cité :
Athene offrit ses vœux à cette Deïté.
Pour les luy presenter on choisit cent pucelles,
Toutes sçachant broder ; aussi sages que belles.
Les premieres portoient force presens divers,
Tout le reste entouroit la Déesse aux yeux pers.
Avec un doux souris elle acceptoit l’hommage.
Clymene ayant enfin reployé son ouvrage,
La jeune Iris commence en ces mots son recit :

Rarement pour les pleurs mon talent réüssit ;
Je suivray toutefois la matiere imposée.
Telamon pour Cloris avoit l’ame embrasée :
Cloris pour Telamon brûloit de son côté,

La naissance, l’esprit, les graces, la beauté,
Tout se trouvoit en eux, hormis ce que les hommes
Font marcher avant tout dans ce siecle où nous sommes :
Ce sont les biens, c’est l’or, merite universel.
Ces amans, quoy qu’épris d’un desir mutuel,
N’osoient au blond Hymen sacrifier encore,
Faute de ce métail que tout le monde adore.
Amour s’en passeroit ; l’autre état ne le peut.
Soit raison, soit abus, le Sort ainsi le veut.
Cette loy, qui corrompt les douceurs de la vie,
Fut par le jeune amant d’une autre erreur suivie :
Le Démon des combats vint troubler l’Univers :
Un pays contesté par des peuples divers
Engagea Telamon dans un dur exercice ;
Il quita pour un temps l’amoureuse milice.
Cloris y consentit, mais non pas sans douleur ;
Il voulut meriter son estime et son cœur.
Pendant que ses exploits terminent la querelle,
Un parent de Cloris meurt, et laisse à la Belle
D’amples possessions et d’immenses tresors.
Il habitoit les lieux où Mars regnoit alors.
La Belle s’y transporte ; et par tout reverée,
Par tout des deux partis Cloris considerée
Void de ses propres yeux les champs où Telamon
Venoit de consacrer un trophée à son nom.
Luy de sa part accourt, et, tout couvert de gloire,
Il offre à ses amours les fruits de sa victoire.
Leur rencontre se fit non loin de l’élement
Qui doit être évité de tout heureux amant.
Dés ce jour l’âge d’or les eût joints sans mystere ;
L’âge de fer en tout a coutume d’en faire.
Cloris ne voulut donc couronner tous ces biens
Qu’au sein de sa patrie, et de l’aveu des siens.
Tout chemin, hors la mer, alongeant leur souffrance,
Ils commettent aux flots cette douce esperance.
Zephyre les suivoit, quand, presque en arrivant,
Un Pirate survient, prend le dessus du vent,
Les attaque, les bat. En vain, par sa vaillance,

Telamon, jusqu’au bout, porte la résistance :
Aprés un long combat, son parti fut défait ;
Luy pris ; et ses efforts n’eurent pour tout effet
Qu’un esclavage indigne. O dieux ! qui l’eût pû croire ?
Le sort, sans respecter ny son sang, ny sa gloire,
Ny son bon-heur prochain, ny les vœux de Cloris,
Le fit être forçat aussi-tôt qu’il fut pris.
Le destin ne fut pas à Cloris si contraire.
Un celebre Marchand l’achete du Corsaire :
Il l’emmeine ; et bien-tôt la Belle, malgré soy,
Au milieu de ses fers, range tout sous sa loy.
L’épouse du Marchand la void avec tendresse :
Ils en font leur compagne, et leur fils sa maîtresse.
Chacun veut cet hymen : Cloris à leurs desirs
Répondoit seulement par de profonds soupirs.
Damon, c’étoit ce fils, luy tient ce doux langage :
Vous soûpirez toûjours ; toûjours vôtre visage
Baigné de pleurs nous marque un déplaisir secret.
Qu’avez-vous ? vos beaux yeux verroient-ils à regret
Ce que peuvent leurs traits et l’excez de ma flâme ?
Rien ne vous force icy : découvrez-nous vôtre ame :
Cloris, c’est moy qui suis l’esclave, et non pas vous.
Ces lieux, à vôtre gré, n’ont-ils rien d’assez doux ?
Parlez ; nous sommes prêts à changer de demeure :
Mes parens m’ont promis de partir tout à l’heure.
Regretez-vous les biens que vous avez perdus ?
Tout le nôtre est à vous, ne le dédaignez plus.
J’en sçay qui l’agreroient ; j’ay sceu plaire à plus d’une :
Pour vous, vous meritez toute une autre fortune.
Quelle que soit la nôtre, usez-en : vous voyez
Ce que nous possedons et nous même à vos pieds.
Ainsi parle Damon, et Cloris toute en larmes
Luy répond en ces mots accompagnez de charmes :
Vos moindres qualitez et cet heureux sejour
Même aux Filles des Dieux donneroient de l’amour ;
Jugez donc si Cloris, esclave et malheureuse,
Void l’offre de ces biens d’une ame dédaigneuse.
Je sçay quel est leur prix ; mais de les accepter,

Je ne puis, et voudrois vous pouvoir écouter.
Ce qui me le défend, ce n’est point l’esclavage :
Si toûjours la naissance éleva mon courage,
Je me vois, grace aux Dieux, en des mains où je puis
Garder ces sentimens, malgré tous mes ennuis ;
Je puis même avoüer (helas ! faut-il le dire ?)
Qu’un autre a sur mon cœur conservé son empire.
Je cheris un amant, ou mort, ou dans les fers ;
Je prétens le cherir encore dans les enfers.
Pourriez-vous estimer le cœur d’une inconstante ?
Je ne suis déja plus aimable ny charmante ;
Cloris n’a plus ces traits que l’on trouvoit si doux,
Et, doublement esclave, est indigne de vous.
Touché de ce discours, Damon prend congé d’elle.
Fuyons, dit-il en soy ; j’oublieray cette Belle :
Tout passe, et même un jour ses larmes passeront ;
Voyons ce que l’absence et le temps produiront.
A ces mots il s’embarque, et, quittant le rivage,
Il court de mer en mer ; aborde un[87] lieu sauvage,
Trouve des malheureux de leurs fers échapez,
Et sur le bord d’un bois à chasser occupez.
Telamon, de ce nombre, avait brisé sa chaîne :
Aux regards de Damon il se presente à peine,
Que son air, sa fierte, son esprit, tout enfin
Fait qu’à l’abord Damon admire son destin,
Puis le plaint, puis l’emmeine, et puis luy dit sa flame.
D’une esclave, dit-il, je n’ay pû toucher l’ame :
Elle cherit un mort ! Unmort, ce qui n’est plus,
L’emporte dans son cœur ! mes vœux sont superflus.
Là-dessus, de Cloris il luy fait la peinture.
Telamon dans son ame admire l’avanture,
Dissimule, et se laisse emmener au sejour
Où Cloris luy conserve un si parfait amour.
Comme il vouloit cacher avec soin sa fortune,
Nulle peine pour luy n’étoit vile et commune.
On apprend leur retour et leur débarquement ;

Cloris, se presentant à l’un et l’autre amant,
Reconnoit Telamon sous un faix qui l’accable.
Ses chagrins le rendoient pourtant méconnoissable ;
Un œil indifferent à le voir eût erré,
Tant la peine et l’amour l’avoient défiguré.
Le fardeau qu’il portoit ne fut qu’un vain obstacle ;
Cloris le reconnoit, et tombe à ce spectacle :
Elle perd tous ses sens et de honte et d’amour.
Telamon, d’autre part, tombe presque à son tour.
On demande à Cloris la cause de sa peine :
Elle la dit ; ce fut sans s’attirer de haine.
Son recit ingenu redoubla la pitié
Dans des cœurs prevenus d’une juste amitié.
Damon dit que son zele avoit changé de face :
On le crut. Cependant, quoy qu’on dise et qu’on fasse,
D’un triomphe si doux l’honneur et le plaisir
Ne se perd qu’en laissant des restes de desir.
On crut pourtant Damon ; il restraignit son zele
A sceller de l’hymen une union si belle,
Et par un sentiment à qui rien n’est égal,
Il pria ses parens de doter son Rival.
Il l’obtint, renonçant dés lors à l’hymenée.
Le soir étant venu de l’heureuse journée,
Les nopces se faisoient à l’ombre d’un ormeau :
L’enfant d’un voisin vid s’y percher un corbeau ;
Il fait partir de l’arc une fleche maudite,
Perce les deux Epoux d’une atteinte subite.
Cloris mourut du coup, non sans que son amant
Attirât ses regards en ce dernier moment.
Il s’écrie, en voyant finir ses destinées :
Quoy ! la Parque a tranché le cours de ses années !
Dieux, qui l’avez voulu, ne suffisoit-il pas
Que la haine du Sort avançât mon trépas ?
En achevant ces mots, il acheva de vivre :
Son amour, non le coup, l’obligea de la suivre ;
Blessé legerement, il passa chez les morts :
Le Styx vid nos époux accourir sur ses bords.
Même accident finit leurs precieuses trames ;

Même tombe eut leurs corps, même sejour leurs ames.
Quelques-uns ont écrit (mais ce fait est peu seur)
Que chacun d’eux devint statuë et marbre dur.
Le couple infortuné face à face repose.
Je ne garantis point cette métamorphose :
On en doute. On la croit plus que vous ne pensez,
Dit Clymene ; et, cherchant dans les siecles passez
Quelque exemple d’amour et de vertu parfaite,
Tout cecy me fut dit par un[88] sage interprete.
J’admiray, je plaignis ces amans malheureux :
On les alloit unir, tout concouroit pour eux ;
Ils touchoient au moment, l’attente en étoit sûre :
Helas ! il n’en est point de telle en la nature ;
Sur le poinct de joüir, tout s’enfuit de nos mains :
Les Dieux se font un jeu de l’espoir des humains.
Laissons, reprit Iris, cette triste pensée.
La Fête est vers sa fin, grace au Ciel, avancée ;
Et nous avons passé tout ce temps en recits
Capables d’affliger les moins sombres esprits !
Effaçons, s’il se peut, leur image funeste.
Je pretends de ce jour mieux employer le reste,
Et dire un changement, non de corps, mais de cœur.
Le miracle en est grand ; Amour en fut l’auteur :
Il en fait tous les jours de diverse maniere.
Je changeray de stile en changeant de matiere.

Zoon plaisoit aux yeux, mais ce n’est pas assez :
Son peu d’esprit, son humeur sombre,
Rendoient ces talens mal-placez.
Il fuyoit les citez, il ne cherchoit que l’ombre,
Vivoit parmy les bois, concitoyen des ours,
Et passoit, sans aymer, les plus beaux de ses jours.
Nous avons condamné l’amour, m’allez-vous dire.
J’en blâme en nous l’excés, mais je n’aprouve pas
Qu’insensible aux plus doux appas
Jamais un homme ne soûpire.


Hé quoy ! ce long repos est-il d’un si grand prix ?
Les morts sont donc heureux ? Ce n’est pas mon avis :
Je veux des passions ; et si l’état le pire
Est le neant, je ne sçay point
De neant plus complet qu’un cœur froid à ce poinct.
Zoon n’aymant donc rien, ne s’aymant pas luy-même,
Vid Iole endormie, et le voila frapé :
Voila son cœur dévelopé.
Amour, par son sçavoir suprême,
Ne l’eut pas fait amant qu’il en fit un heros.
Zoon rend grace au Dieu qui troubloit son repos :
Il regarde en tremblant cette jeune merveille.
A la fin Iole s’éveille :
Surprise et dans l’étonnement,
Elle veut fuïr, mais son amant
L’arréte, et luy tient ce langage :
Rare et charmant objet, pourquoy me fuyez-vous ?
Je ne suis plus celuy qu’on trouvoit si sauvage :
C’est l’effet de vos traits, aussi puissans que doux !
Ils m’ont l’ame et l’esprit et la raison donnée.
Souffrez que, vivant sous vos loix,
J’employe à vous servir des biens que je vous dois.
Iole, à ce discours encor plus étonnée,
Rougit, et sans répondre elle court au hameau,
Et raconte à chacun ce miracle nouveau.
Ses compagnes d’abord s’assemblent autour d’elle :
Zoon suit en triomphe, et chacun applaudit.
Je ne vous diray point, mes sœurs, tout ce qu’il fit,
Ny ses soins pour plaire à la belle.
Leur hymen se conclut. Un Satrape voisin,
Le propre jour de cette fête,
Enleve à Zoon sa conquête ;
On ne soupçonnoit point qu’il eût un tel dessein.
Zoon accourt au bruit, recouvre ce cher gage ;
Poursuit le ravisseur, et le joint, et l’engage
En un combat de main à main.
Iole en est le prix aussi bien que le juge.
Le Satrape vaincu trouve encor du refuge
En la bonté de son rival.

Helas ! cette bonté luy devint inutile ;
Il mourut du regret de cet hymen fatal :
Aux plus infortunez la tombe sert d’azile.
Il prit pour heritiere, en finissaut ses jours,
Iole, qui moüilla de pleurs son Mausolée.
Que sert-il d’être plaint quand l’ame est envolée ?
Le Satrape eût mieux fait d’oublier ses amours.

La jeune Iris à peine achevoit cette histoire,
Et ses sœurs avoüoient qu’un chemin à la gloire,
C’est l’amour ; on fait tout pour se voir estimé :
Est-il quelque chemin plus court pour être aymé ?
Quel charme de s’oüir louer par une bouche
Qui, même sans s’ouvrir, nous enchante et nous touche !
Ainsi disoient ces Sœurs. Un orage soudain
Jette un secret remors dans leur profane sein.
Bacchus entre, et sa cour, confus et long cortege :
Où sont, dit-il, ces sœurs à la main sacrilege ?
Que Pallas les défende, et vienne en leur faveur
Opposer son Ægide à ma juste fureur :
Rien ne m’empêchera de punir leur offence.
Voyez : et qu’on se rie aprés de ma puissance !
Il n’eut pas dit, qu’on vid trois monstres au plancher,
Aislez, noirs et velus, en un coin s’attacher.
On cherche les trois sœurs ; on n’en void nulle trace.
Leurs métiers sont brisez ; on éleve en leur place
Une Chapelle au Dieu, pere du vray nectar.
Pallas a beau se plaindre, elle a beau prendre part
Au destin de ces sœurs par elle protegées ;
Quand quelque Dieu, voyant ses bontez negligées,
Nous fait sentir son ire, un autre n’y peut rien :
L’Olimpe s’entretient en paix par ce moyen.
Profitons, s’il se peut, d’un si fameux exemple,
Chommons : c’est faire assez qu’aller de Temple en Temple
Rendre à chaque Immortel les vœux qui luy sont dus :
Les jours donnez aux Dieux ne sont jamais perdus.
 

FIN DU TOME II.


  1. Cette dédicace ne se trouve point dans les éditions originales d’Adonis. Elle est placée en tête d’un magnifique manuscrit sur vélin, à la fin duquel on lit : Jarry, Paris. scribebat, 1658. La reliure, en maroquin rouge, ornée de compartiments à petits fers, est d’une exécution parfaite et d’une conservation admirable. Le premier feuillet est occupé par un titre, en lettres d’or, entouré d’une guirlande de fleurs et de feuillage où se jouent des écureuils rappelant les armes de Fouquet. Sur le feuillet se trouve un grand chiffre formé de deux L et de deux N et surmonté d’une couronne de baron ; la dédicace, en trois feuillets, vient ensuite ; puis un dessin à l’encre de Chine, de Chauveau, représentant la mort d’Adonis ; enfin arrive le poëme, qui se compose de trente-huit pages numérotées. Le tout est terminé par un dernier feuillet portant un chiffre formé de deux C, de deux L et d’une M, et surmonté d’une couronne de roses. M. Le comte Henri de La Bédoyère, qui possède aujourd’hui ce manuscrit, nous l’a cummuniqué avec le plus aimable empressement. Nous avons pu nous assurer de l’exactitude de l’édition de ce texte primitif de l’Adonis, publiée en 1825, par M. Walckenaër, et tirée à cinquante exemplaires seulement. Nous n’avons eu à corriger qu’un petit nombre de fautes, provenant du fait de l’imprimeur, et que nous indiquons dans nos notes. Cependant le savant éditeur n’avoit pas suivi pour cette publication le manuscrit que nous venons de décrire, mais une copie fort correcte achetée par lui en 1823 à la vente de Chardin, et faite « par le célèbre Patissot », si l’on en croit le catalogue.
  2. Cet avertissement est celui qui précède le poëme dans le recueil intitulé : Fables nouvelles et autres Poësies de M. de La Fontaine ; à Paris, chez Denis Thierry, 1671, in-12.
  3. L’avertissement de la première édition, publiée en 1669, à la suite de Psiché, dans le recueil intitulé : Les Amours de Psiché et de Cupidon, se termine ainsi : « En quelque rang qu’on le mette, il m’a semblé à propos de ne le point separer de Psiché. Je joins aux armours du fils celles de la mere, et j’ose esperer que mon present sera bien receu. Nous sommes en un siecle où écoute assez favorablement tout ce qui regarde cette famille… »
  4. Manuscrit de 1658 :
    Que l’on n’attende pas que je chante en ces vers…
  5. Manuscrit de 1658 :
    Ny ses membres épars sur les bords du Scamandre.
  6. Dans le manuscrit de 1658, au lieu de ces cinq derniers vers, on lit ceux qui suivent :
    Ce pendant aujourd’huy ma voix veut s’elever :
    Dans un plus noble champ je me vais éprouver ;
    D’ornemens précieux ma muse s’est parée,
    J’entreprens de chanter l’Amant de Cytherée :
    Adonis, dont la vie eut des charmes si courts.
  7. Dans le manuscrit de 1658 on lit, au lieu de ces quatorze vers, ceux qui suivent :
    Foucquet, l’unique but des faveurs d’Uranie,
    Digne objet de nos chants, vaste et noble genie,
    Qui seul peux embrasser tant de soins à-la-fois,
    Honneur du nom public, defenseur de nos loix,
    Toy dont l’ame s’eleve au-dessus du vulgaire,
    Qui connois les beaux arts, qui sçais ce qui doit plaire,
    Et de qui le pouvoir, quoy que peu limité,
    Par le rare mérite est encor surmonté ;
    Voy de bon œil cet œuvre et consens pour ma gloire
    Qu’avec toy, l’on le place au temple de memoire.
    Par toy je me promets un eternel renom :
    Mes vers ne mourront point, assistez de ton nom.
    Ne les dédaigne pas, et ly cette avanture,
    Dont pour te divertir j’ay tracé la peinture.
  8. Manuscrit de 165?8 :
    Sous leurs ombrages verts…
  9. Manuscrit de 1658 :
    Ne croyant pas qu’Amour l’y pust venir blesser.
  10. Dans le manuscrit de 1658 : il fait voir.
  11. Dans le manuscrit de 1658, on lit, au lieu de ces sept derniers vers, ceux qui suivent :
    Et, bien qu’enfant du crime, il plaist à tous les yeux ;
    Cupidon prend chez luy ses plus certaines armes.
    Ce que Narcisse aymoit n’eut jamais tant de charmes,
    Aussi sçait-il ranger mille cœurs sous ses loix.
    Le bruit de sa beauté sort bien-tost de ces bois ;
    Dés-ja la Renommée, à courir toujours preste,
    Monstre qui jusqu’au ciel enfin porte sa teste..
  12. Ces quatre derniers vers ne se trouvent point dans le manuscrit de 1658.
  13. Manuscrit de 1658 :
    Elle trouve Adonis qui resve au bruit de l’eau,
    Couché négligemment sur les bords d’un ruisseau.
  14. Au lieu des dix-huit vers qui précèdent, on lit seulement dans le manuscrit de 1658 les deux suivants :
    La charmante Venus, d’eclat environnée,
    Rend par ces mots le calme à son ame estonnée.
  15. Au lieu des vingt-huit vers qui précèdent, on lit dans le manuscrit de 1658 les vingt-quatre vers suivants :
    Dans ces sombres forêts c’est luy seul qui m’ameine ;
    Encor qu’il soit mon fils, c’est l’autheur de ma peine :
    Il m’oblige à quiter les cieux, où je ne voy
    Rien de si grand que luy, ny de si beau que moy.
    Pour toy je viens chercher un sejour solitaire,
    Et renonce aux autels à moins que de te plaire.
    Je pourrois employer, mon fils, et tous ses traits ;
    Mais je ne veux devoir ton cœur qu’à mes attraits :
    Tu ne le peux du moins refuser à la flame.
    Déesse, repond-il, que j’adore en mon ame,
    Regardez quels honneurs vostre divinité
    Peut exiger de moy dans un bois ecarté.
    Je sçais vostre puissance à Paphos souveraine :
    Celle de vostre fils sans vous eust esté vaine :
    Et si je n’eusse veu vos celestes attraits,
    J’eusse empesché mon cœur d’estre en butte à ses traits.
    Mais nous est-il permis d’aymer une immortelle ?
    Tous les sujets d’Amour sont égaux, luy dit-elle,
    Et mesme la beauté, dont les traits sont si doux,
    Est quelque chose encor de plus divin que nous.
    Cependant que Venus par ces mots l’encourage,
    Il admire son port, sa taille et son visage :
    Leurs yeux ; qui pour témoins n’ont que les yeux du jour,
    Ne se rencontrent point sans se parler d’amour.
  16. Au lieu de ces quatre derniers vers on lit ceux qui suivent dans le manuscrit de 1658 :
    Quand par vous-mesme instruits de tels ravissemens,
    Vous chantez les plaisirs goustez par nos amans,
    Si jamais j’eus besoin des faveurs du Parnasse,
    Faites que je réponde à vos chants pleins de grâce.
  17. Autheurs, dans le manuscrit de 1658.
  18. Manuscrit de 1658 :
    Cecy puisse passer…
  19. Dans le manuscrit de 1658, au lieu de ces derniers vers on lit les suivants :
    Mollement etendus ils consommoient les heures ;
    Tandis que Philomele, en ces sombres demeures,
    Se plaignoit aux echos, et d’une triste voix
    Accusoit de son sort le silence des bois,
    Tantost sur des gazons d’herbe tendre et sacrée…
  20. Dans le manuscrit de 1658, au lieu de ces derniers vers, on lit les suivants :
    Qui repaissoit ses yeux des beautez du heros,
    Pendant qu’il jouissoit d’un paisible repos.
  21. Manuscrit de 1658 :
    En vain à nostre egard il fuit d’un pas leger.
  22. Manuscrit de 1658 :
    Et pendant vos beaux jours employer vostre zele.
  23. Manuscrit de 1658 :
    Et sur le tendre email d’une verte prairie.
  24. Dans le manuscrit de 1658 on lit, au lieu de ces deux derniers vers, ceux qui suivent :
    Combien de fois le jour a veu les antres sourds
    Complices des larcins qu’ont produit leurs amours !
  25. On lit dans l’édition de 1669 :
    Que ce cruel dessein luy causa de douleurs !
  26. Dans le manuscrit de 1658, au lieu de ces trois derniers vers, on trouve ceux qui suivent :
    Et faire qu’Adonis souhaite ses faveurs.
    Un jour que le heros, la voyant toute en pleurs,
    Luy dit : Objet divin dont j’adore les charmes…
  27. Manuscrit de 1658 :
    Vous vous efforceriez en vain de me deplaire.
  28. Manuscrit de 1658 :
    Il le faut : vous pleurez ! est-ce de mon absence ;
    Au moins soyez fidelle, ayez de la constance.
  29. Manuscrit de 1658 :
    Ne vous soûmette point aux nymphes de ces bois.
    Leurs fers, aprés les miens, sont pour vous pleins de honte.
  30. Fuyez, dans le manuscrit de 1658.
  31. Manuscrit de 1658 :
    Et coupables qu’ils sont de cent cruels repas,
    Ne veulent point mourir qu’en vengeant leur trepas.
  32. Manuscrit de 1658 :
    Si quelque coup fatal vous forçoit à perir,
    Que deviendroit Venus en ne pouvant mourir ?
  33. Dans le manuscrit de 1658 on lit, au lieu de ces trois derniers vers :
    Venus, en y montant, disparoist à sa veuë ;
    En vain d’un regard fixe il la suit dans les airs.
    Rien ne s’offre à ses yeux que l’horreur des deserts.
  34. En, dans le manuscrit de 165?8.
  35. Exempt, dans le manuscrit de 1658.
  36. On lit dans le manuscrit de 1658, au lieu de ces cinq derniers vers, ceux qui suivent :
    Sous les profonds replis d’un voile tenebreux
    Cache aux yeux des mortels le sort des malheureux,
    Soit que l’astre brillant qui le jour nous envoye
    De ceux qui sont heureux ressuscite la joye,
    Le heros toûjours pleure….
  37. Manuscrit de 1658 :
    Le livrent tout entier au cruel souvenir.
  38. Manuscrit de 1658 :
    La chasse luy semble estre un souverain remede.
  39. Manuscrit de 1658 :
    Maint et maint laboureur…
  40. Ravage, dans le manuscrit de 1658.
  41. Manuscrit de 1658 :
    Helas ! que cherement il vendra sa bIessure !
  42. Pompeux, dans le manuscrit de 1658.
  43. Suivy, dans le manuscrit de 16?58.
  44. Manuscrit de 165?8 :
    Ce furent ses plaisirs, heureuse si son cœur
    Eust pû se rendre exempt d’amour comme de peur !
  45. Manuscrit de 16?58 :
    Tel autrefois marchoit de son double vallon
    Contre un vaste serpent le divin Apollon.
  46. Manuscrit de 1658 :
    Là le monstre se paist des vapeurs qu’elle exhale.
  47. Manuscrit de 1658 :
    Driope au sage nez evente sa demeure.
    Il y a Driape dans l’édition de 1825, mais c’est une faute d’impression.
  48. Fin, dans l’édition de ]825, mais fier dans le manuscrit de 1658 et dans les éditions de 1669 et de 1671.
  49. Il se voit, dans le manuscrit de 16?58.
  50. Manuscrit de 1658 :
    Contemple ce chasseur etendu comme un marbre.
  51. Garny, dans le manuscrit de 1658.
  52. L’animal, dans le manuscrit de 165?8.
  53. Dans le manuscrit de 16?58, on lit, au lieu de ces trois derniers vers :
    Que l’epieu dont Crantor arme son bras puissant ;
    La fuite en cet instant luy devient inutile ;
    Dans les lieux d’alentour il ne voit point d’azile.
  54. L’animal, dans le manuscrit de 16?58.
  55. Manuscrit de 1658 :
    Tel et plus fier encor, l’animal se presente.
  56. Manuscrit de 1658 :
    Quoy ! mes bras, luy dit-il, sont animez des vostres.
  57. Manuscrit de 165?8 :
    Palmire en est surpris, et court à sa defense.
  58. Manuscrit de 1658 :
    On l’emporte ; elle suit, toute pâle et tremblante.
    Le coup rompt un artere, et dés-ja les esprits…
  59. Manuscrit de 1658 :
    Laissent faire à ses sens un effort inutile.
  60. Manuscrit de 16?58 :
    Adonis en ce lieu voit Palmire qu’on porte ;
    Sa colere en devient plus ardante et plus forte.
  61. Manuscrit de 1658 :
    Se fit lors aux chasseurs remarquer des deux parts.
  62. Manuscrit de 1658 :
    Et le demier moment que tarde sa belle âme.
  63. Manuscrit de 1658 :
    Le cruel ne veut pas seulement m’écouter.
  64. Dans le manuscrit de 1658, on lit, au lieu de ce vers les cinq qui suivent :
    Mais l’enfer à mes yeux se cache vainement,
    Je le trouve par-tout où n’est point mon amant ;
    Destins qui me l’ostez, que vos loix sont barbares !
    Avez-vous pû toucher à des tresors si rares !
    Et puisque vous vouliez le voit si tost perir…
  65. Roy, dans le manuscrit de 1658.
  66. On lit ici, dans le manuscrit de 1658, les quatre vers suivants, supprimés depuis :
    Je sçais que l’Acheron, de nos plaisirs jaloux,
    Ne fait que nous prester les biens qui sont à nous ;
    Ses eaux assez long-temps verront cette belle ombre.
    Que peut faire un moment sur des siecles sans nombre ?
  67. Manuscrit de 1658 :
    Representez-le-moy…
  68. Dans une note de l’Histoire de la vie et des outrages de La Fontaine, par Mathieu Marais, Chardon de La Rochette assure que La Fontaine fut obligé de supprimer la première édition de son poëme de Saint Malc, parce que, dans la souscription de son épitre dédicatoire, il avoit indûment donné au cardinal de Bouillon le titre d’altesse sérénissime. M. Walckenaër attache peu d’importance à cette assertion ; ce qui paroîtroit cependant la confirmer, c’est que, dans l’exemplaire de la Bibliothèque impériale, sérénissime a été effacé, puis remplacé par le mot éminentissime, qui semble écrit de la main même de La Fontaine.
  69. Ce poëme, tiré d’une lettre de saint Jérôme (voy. Epistolæ D. Hieronymi, De vita Malchi captiviti monachi), a paru chez Claude Barbin en 1673.
  70. La Fontaine avoit déjà consenti à laisser paroître sous son nom le recueil de Poésies chrétiennes et diverses de M. de Brienne, qui s’étoit retiré à l’Oratoire après avoir été secrétaire d’état.
  71. Le récit de saint Malc, tel que saint Jérôme le rapporte, ne dissimule rien : Pervenimus ad interiorem solitudinem, ubi, dominam liberosque ex more gentis adorare jussi, cervices flectimus.
  72. Saint Jérôme a traduit la Bible de l’hébreu en latin. C’est cette version qui est connue sous le nom de Vulgate.
  73. Arnauld d’Andilly a donné une traduction de la lettre de saint Jérôme dans les Vies des saints Pères des déserts et de quelques saintes… (Voy. les Œuvres diverses de M. Arnauld d’Andilly, 1675, in-fol., t. 2, p. 185-195.)
  74. Louis XIV avoit fait, l’année précédente, la conquête de la Hollande.
  75. Publié en 1682, en tête d’un volume intitulé : Poëme du quinquina et autres ouvrages en vers de M. de La Fontaine. A Paris, chez Denis Thierry et Claude Barbin, in-12. La Fontaine s’est surtout servi, pour écrire ce poëme, du traité : De la guérison des fièvres par le quinquina, composé par Monginot, son ami.
  76. Allusion au Discours à madame de La Sablière sur
    l’âme des bêtes. (Liv. X, fable I.).
  77. Esculape.
  78. C’est-à-dire aux feuilles de laurier dont se couronnent les guerriers et les poëtes.
  79. Il y a ici un peu d’exagération poétique. Les indigènes d’Amérique ne révélèrent aux Espagnols le secret de ce remède qu’en 163?8, et il ne fut apporté en Europe par les jésuites qu’en 1649.
  80. Sublimi feriam sidera vertice. (Horat.,Od., liv. 1, od. 1.)
  81. Lib. VIII.
  82. Ce poëme, publié sous ce titre en 1685 dans les Ouvrages de prose et de poësie des sieurs de Maucroix et de la Fontaine, t.I, p.78, forme la fable XXV du recueil de Fables choisies de 1694.
  83. Du, dans les Fables choisies de 1694.
  84. Lib. IV. — La Fontaine n’a suivi Ovide que dans le premier récit, celui des amours de Pyrame et de Thisbé. Il a tiré l’histoire de Céphale et de Procris du VIIe livre des Métamorphoses ; celle de Télamon et Chloris, d’une inscription qu’il a crue vraie, mais qui est supposée. (Voy. Boissardi Antiquitatum romanarum IVa pars, t. 2, p. 49 ; Gruter, Inscrip., t. 2, p. 15, n°8, Spuria ac suppositia). Quant à l’histoire de Zoon, elle est imitée de Boccace (Decameron, giornata V, novella I) ; c’est celle :
    ... De Chimon, jeune homme tout sauvage,
    Bien fait de corps, mais ours quant à l’esprit,
    déjà esquissée une fois par La Fontaine. Voy. ci-dessus, p. 201. Ce poëme, publié en 1685 dans les Ouvrages de prose et de poësie des sieurs de Maucroix et de La Fontaine, t. I, p. 190, forme la fable XXVIII du recueil de Fables choisies de 1694.
  85. Son amour, dans les Fables choisies de 1694.
  86. Traduction du latin aura, souffle, vent léger.
  87. En, dans les Fables choisies de 1694.
  88. Le, dans les Fables choisies de 1694.