Œuvres complètes de La Fontaine (Marty-Laveaux)/Tome 2/Nicaise

Œuvres complètes de La Fontaine (Marty-Laveaux)/Tome 2
Contes, Texte établi par Ch. Marty-LaveauxP. Jannet (p. 209-216).


VII. — NICAISE.


Un apprenty Marchand estoit,
Qu’avec droit Nicaise on nommoit ;
Garcon tres-neuf, hors sa boutique,
Et quelque peu d’Arithmetique ;
Garçon Novice dans les tours
Qui se pratiquent en Amours.
Bons Bourgeois du temps de nos peres
S’avisoient tard d’estre bons freres.
Ils n’aprenoient cette leçon
Qu’ayans de la barbe au menton.
Ceux d’aujourd’huy, sans qu’on les flate,
Ont soin de s’y rendre sçavans
Aussi-tost que les autres gens.
Le Jouvenceau de vieille-date,
Possible un peu moins avancé,
Par les degrez n’avoit passé.
Quoy qu’il en soit, le pauvre sire
En trés-beau chemin demeura,
Se trouvant court par celuy-là :
C’est par l’esprit que je veux dire.

Une Belle pourtant l’aima :
C’estoit la fille de son Maistre,
Fille aimable autant qu’on peut l’estre,
Et ne tournant autour du pot ;
Soit par humeur franche et sincere,
Soit qu’il fust force d’ainsi faire,
Estant tombée aux mains d’un sot.
Quelqu’un de trop de hardiesse
Ira la taxer, et moy non :
Tels procedez ont leur raison.
Lors que l’on aime une Deesse,
Elle fait ces avances-là :
Nostre Belle sçavoit cela.
Son esprit, ses traits, sa richesse,
Engageoient beaucoup de jeunesse
A sa recherche : heureux seroit
Celuy d’entre-eux qui cueilleroit
En nom d’Himen, certaine chose
Qu’à meilleur titre elle promit
Au Jouvenceau cy-dessus dit :
Certain Dieu parfois en dispose,
Amour nommé communément.
Il plut à la Belle d’élire
Pour ce point l’apprenty Marchand.
Bien est vray (car il faut tout dire)
Qu’il estoit trés-bien fait de corps,
Beau, jeune, et frais : ce sont tresors
Que ne méprise aucune Dame,
Tant soit son esprit precieux.
Pour une qu’Amour prend par l’ame,
Il en prend mille par les yeux.
Celle-cy donc, des plus galantes,
Par mille choses engageantes
Taschoit d’encourager le gars,
N’estoit chiche de ses regards,
Le pinçoit, luy venoit sousrire,
Sur les yeux luy mettoit la main,
Sur le pied luy marchoit enfin.

A ce langage il ne sceut dire
Autre chose que des soûpirs,
Interpretes de ses desirs.
Tant fut, à ce que dit l’histoire,
De part et d’autre soûpiré,
Que leur feu dument déclaré,
Les jeunes gens, comme on peut croire,
Ne s’épargnerent ny sermens,
Ny d’autres poincts bien plus charmans,
Comme baisers à grosse usure ;
Le tout sans compte et sans mesure.
Calculateur que fust l’Amant,
Broüiller faloit incessamment ;
La chose estoit tant infinie,
Qu’il y faisoit toujours abus.
Somme toute, il n’y manquoit plus
Qu’une seule cérémonie.
Bon fait aux filles l’épargner.
Ce ne fut pas sans témoigner
Bien du regret, bien de l’envie.
Par vous disoit la belle amie,
Je me la veux faire enseigner,
Ou ne la sçavoir de ma vie.
Je la sçauray, je vous promets ;
Tenez-vous certain desormais
De m’avoir pour vostre apprentie.
Je ne puis pour vous que ce poinct.
Je suis franche ; n’attendez point
Que par un langage ordinaire
Je vous promette de me faire
Religieuse, à moins qu’un jour.
L’Himen ne suive nostre amour.
Cet Himen seroit bien mon conte,
N’en doutez point ; mais le moyen ?
Vous m’aimez trop pour vouloir rien
Qui me pust causer de la honte.
Tels et tels m’ont fait demander ;
Mon pere est prest de m’accorder.

Moy, je vous permets d’esperer
Qu’à qui que ce soit qu’on m’engage,
Soit Conseiller, soit President,
Soit veille ou jour de Mariage,
Je seray vostre auparavant,
Et vous aurez mon Pucelage.
Le garçon la remercia
Comme il put. A huit jours de là,
Il s’offre un party d’importance.
La Belle dit a son amy :
Tenons-nous-en à celuy-cy ;
Car il est homme, que je pense,
A passer la chose au gros sas.
La Belle en estant sur ce cas,
On la promet ; on la commence ;
Le jour des Noces se tient prest.
Entendez cecy, s’il vous plaist.
Je pense voir vostre pensée,
Sur ce mot-là de commencée.
C’estoit alors, sans point d’abus,
Fille promise et rien de plus.
Huit jours donnez à la Fiancée,
Comme elle apprehendoit encor
Quelque rupture en cet accord,
Elle differe le negoce
Jusqu’au propre jour de la noce ;
De peur de certain accident
Qui les filletes va perdant.
On meine au moustier cependant
Nostre Galande encor pucelle ;
Le ouy fut dit à la chandelle.
L’Epoux voulut avec la Belle
S’en aller coucher au retour.
Elle demande encor ce jour,
Et ne l’obtient qu’avecque peine ;
Il falut pourtant y passer.
Comme l’Aurore estoit prochaine,
L’Epouse, au lieu de se coucher,

S’habille. On eust dit une Reine.
Rien ne manquoit aux vestemens,
Perles, joyaux et diamans.
Son Epousé la faisoit Dame.
Son amy pour la faire femme
Prend heure avec elle au matin.
Ils devoient aller au jardin,
Dans un bois propre à telle affaire.
Une compagne y devoit faire
Le guet autour de nos Amans,
Compagne instruite du mystere.
La Belle s’y rend la premiere,
Sous le pretexte d’aller faire
Un bouquet, dit-elle à ses gens.
Nicaise, aprés quelques momens,
La va trouver ; et le bon Sire,
Voyant le lieu, se met à dire :
Qu’il fait icy d’humidité !
Foin, vostre habit sera gasté.
Il est beau ; ce seroit dommage ;
Souffrez sans tarder davantage
Que j’aille querir un tapis.
Eh ! mon Dieu laissons les habits ;
Dit la Belle toute-piquée.
Je diray que je suis tombée.
Pour la perte, n’y songez point :
Quand on a temps si fort à poinct,
Il en faut user ; et périssent
Tous les vestemens du païs ;
Que plustost tous les beaux habits
Soient gastez, et qu’ils se salissent,
Que d’aller ainsi consumer
Un quart-d’heure ; un quart-d’heure est cher :
Tandis que tous les gens agissent
Pour ma noce, il ne tient qu’à vous
D’employer des momens si doux.
Ce que je dis ne me sied guere :
Mais je vous cheris, et vous veux.

Rendre honneste homme si je peux.
En verité, dit l’Amoureux
Conserver estoffe si chere
Ne sera point mal fait à nous.
Je cours ; c’est-fait ; je suis à vous ;
Deux minutes feront l’affaire.
Là-dessus il part, sans laisser
Le temps de luy rien repliquer.
Sa sottise guerit la Dame ;
Un tel dédain luy vint en l’ame,
Qu’elle reprit dés ce moment
Son cœur, que trop indignement
Elle avoit placé : quelle honte !
Prince des sots, dit-elle en soy,
Va, je n’ay nul regret de toy :
Tout autre eust esté mieux mon compte.
Mon bon Ange a consideré
Que tu n’avois pas merité
Une faveur si precieuse.
Je ne veux plus estre amoureuse
Que de mon mary ; j’en fais vœu.
Et de peur qu’un reste de feu
A le trahir ne me rengage,
Je vais sans tarder davantage,
Luy porter un bien qu’il auroit
Quand Nicaise en son lieu seroit.
A ces mots, la pauvre Epousée
Sort du bois fort scandalisée.
L’autre revient ; et son tapis :
Mais ce n’est plus comme jadis
Amans, la bonne heure ne sonne
A toutes les heures du jour.
J’ay leu dans l’Alphabet d’Amour
Qu’un Galand prés d’une personne
N’a toûjours le temps comme il veut :
Qu’il le prenne donc comme il peut.
Tous delays y font du dommage :
Nicaise en est un témoignage.

Fort essoufflé d’avoir couru,
Et joyeux de telle proüesse,
Il s’en revient, bien resolu
D’employer tapis et Maistresse :
Mais quoy, la Dame au bel habit,
Mordant ses lèvres de dépit,
Retournoit voir la compagnie[1] ;
Et, de sa flame bien guerie,
Possible alloit dans ce moment,
Pour se venger de son Amant,
Porter à son mary la chose
Qui luy causoit ce dépit-là.
Quelle chose ? C’est celle-là
que fille dit toûjours qu’elle a.
Je le crois ; mais d’en mettre ja
Mon doit au feu, ma foy je n’ose :
Ce que je sçay, c’est qu’en tel cas
Fille qui ment ne peche pas.
Grace à Nicaise nostre Belle,
Ayant sa fleur en dépit d’elle,
S’en retournoit tout en grondant ;
Quand Nicaise, la rencontrant :
A quoy tient, dit-il à la Dame,
Que vous ne m’ayez attendu ?
Sur ce tapis bien étendu
Vous seriez en peu d’heure femme.
Retournons donc sans consulter ;
Venez cesser d’estre pucelle,
Puis que je puis sans rien gaster
Vous témoigner quel est mon zele.
Non pas cela, reprit la Belle ;
Mon pucelage dit qu’il faut
Remettre l’affaire à tantost.
J’aime vostre santé, Nicaise,
Et vous conseille auparavant

De reprendre un peu vostre vent.
Or, respirez tout à vostre aise.
Vous estes apprenty Marchand ;
Faites-vous apprenty Galand :
Vous n’y serez pas si-tost Maistre.
A mon égard, je ne puis estre
Vostre Maistresse en ce mestier.
Sire Nicaise, il vous faut prendre
Quelque servante du quartier.
Vous sçavez des estoffes vendre,
Et leur prix en perfection ;
Mais ce que vaut l’occasion
Vous l’ignorez, allez l’apprendre.


  1. Edition de 1685 :
    Retournoit vers la compagnie.