Œuvres complètes de La Fontaine (Marty-Laveaux)/Tome 2/Les Oyes de frere Philippe
Je dois trop au beau sexe ; il me fait trop d’honneur
De lire ces recits, si tant est qu’il les lise.
Pourquoy non ? c’est assez qu’il condamne en son cœur
Celles qui font quelque sottise.
Ne peut-il pas, sans qu’il le dise,
Rire sous-cape de ces tours,
Quelque avanture qu’il y trouve ?
S’ils sont faux, ce sont de vains discours ;
S’ils sont vrays, il les desaprouve.
Iroit-il aprés tout s’alarmer sans raison
Pour un peu de plaisanterie ?
Je craindrois bien plûtost que la cajolerie
Ne mist le feu dans la maison.
Chassez les soûpirans, Belles, souffrez mon Livre ;
Je réponds de vous corps pour corps :
Mais pourquoy les chasser ? ne sçauroit-on bien vivre
Qu’on ne s’enferme avec les morts ?
Le monde ne vous connoist gueres,
S’il croit que les faveurs sont chez vous familieres :
Non pas que les heureux amans
Soient ny Phenix ni corbeaux blancs ;
Aussi ne sont-ce fourmilleres.
Ce que mon Livre en dit doit passer pour chansons.
J’ay servy des beautez de toutes les façons :
Qu’ay-je gagné ? trés-peu de chose ;
Rien. Je m’aviserois sur le tard d’estre cause
Que la moindre de vous commist le moindre mal.
Contons ; mais contons bien ; c’est le point principal ;
C’est tout ; à cela prés, Censeurs, je vous conseille
De dormir comme moy sur l’une et l’autre oreille.
Censurez tant qu’il vous plaira
Mechans vers et phrases mechantes ;
Mais pour bons tours, laissez-les là ;
Ce sont choses indifferentes ;
Je n’y vois rien de perilleux.
Les meres, les maris, me prendront aux cheveux
Pour dix ou douze contes bleus !
Voyez un peu la belle affaire !
Ce que je n’ay pas fait, mon Livre iroit le faire !
Beau sexe, vous pouvez le lire en seureté ;
Mais je voudrois m’estre acquitté
De cette grace par avance.
Que puis-je faire en récompense ?
Un conte où l’on va voir vos appas triompher :
Nulle précaution ne les put étouffer.
Vous auriez surpassé le Printemps et l’Aurore
Dans l’esprit d’un garçon, si dés ses jeunes ans,
Outre l’éclat des Cieux, et les beautez des champs,
Il eust veu les vostres encore.
Aussi dés qu’il les vid il en sentit les coups ;
Vous surpassâtes tout ; il n’eut d’yeux que pour vous ;
Il laissa les palais : enfin vostre personne
Luy parut avoir plus d’attraits
Que n’en auroient à beaucoup prés
Tous les joyaux de la Couronne.
On l’avoit dés l’enfance élevé dans un bois.
Là son unique compagnie
Consistoit aux oyseaux : leur aimable harmonie
Le desennuyoit quelquesfois.
Tout son plaisir estoit cet innocent ramage :
Encor ne pouvoit-il entendre leur langage.
En une école si sauvage
Son pere l’amena dés ses plus tendres ans.
Il venoit de perdre sa mere,
Et le pauvre garçon ne connut la lumiere
Qu’afin qu’il ignorast les gens :
Il ne s’en figura pendant un fort long-temps
Point d’autres que les habitans
De cette forest ; c’est à dire
Que des loups, des oyseaux, enfin ce qui respire
Pour respirer sans plus, et ne songer à rien.
Ce qui porta son pere à fuir tout entretien,
Ce furent deux raisons ou mauvaises ou bonnes ;
L’une, la haine des personnes,
L’autre la crainte ; et depuis qu’à ses yeux
Sa femme disparut s’envolant dans les Cieux,
Le monde luy fut odieux ;
Las d’y gémir et de s’y plaindre,
Et par tout des plaintes oüir,
Sa moitie le luy fit par son trépas haïr,
Et le reste des femmes craindre.
Il voulut estre hermite, et destina son fils
A ce mesme genre de vie.
Ses biens aux pauvres départis,
Il s’en va seul, sans compagnie
Que celle de ce fils, qu’il portoit dans ses bras :
Au fonds d’une forest il arreste ses pas.
(Cet homme s’appelloit Philippe, dit l’histoire.)
Là, par un saint motif, et non par humeur noire,
Nostre Hermite nouveau cache avec trés-grand soin
Cent choses à l’enfant ; ne luy dit prés ny loin
Qu’il fust au monde aucune femme,
Aucuns desirs, aucun amour ;
Au progrés de ses ans reglant en ce sejour
La nourriture de son ame.
A cinq il luy nomma des fleurs, des animaux,
L’entretint de petits oyseaux ;
Et parmy ce discours aux enfans agreable,
Mesla des menaces du diable ;
Luy dit qu’il estoit fait d’une étrange façon :
La crainte est aux enfans la premiere leçon.
Les dix ans expirez, matiere plus profonde
Se mit sur le tapis : un peu de l’autre monde
Au jeune enfant fut revelé,
Et de la femme point parlé.
Vers quinze ans luy fut enseigné,
Tout autant que l’on put, l’Auteur de la nature,
Et rien touchant la creature.
Ce propos n’est alors déja plus de saison
Pour ceux qu’au monde on veut soustraire ;
Telle idée en ce cas est fort peu necessaire.
Quand ce fils eut vingt ans, son pere trouva bon
De le mener à la Ville prochaine.
Le Vieillard tout cassé ne pouvoit plus qu’à peine
Aller querir son vivre : et luy mort, aprés tout,
Que feroit ce cher fils ? comment venir à bout
De subsister sans connoistre personne ?
Les loups n’estoient pas gens qui donnassent l’aumône.
Il sçavoit bien que le garçon
N’auroit de luy, pour heritage
Qu’une besace et qu’un bâton :
C’estoit un étrange partage.
Le pere à tout cela songeoit sur ses vieux ans.
Au reste il estoit peu de gens
Qui ne luy donnassent la miche.
Frere Philippe eust esté riche
S’il eust voulu. Tous les petits enfans
Le connoissoient, et du haut de leur teste,
Ils crioient : Aprestez la queste ;
Voila Frere Philippe. Enfin dans la cité
Frere Philippe souhaité
Avoit force devots ; de devotes pas une,
Car il n’en vouloit point avoir.
Si-tost qu’il crut son fils ferme dans son devoir,
Le pauvre homme le meine voir
Les gens de bien, et tente la fortune.
Ce ne fut qu’en pleurant qu’il exposa ce fils.
Voilà nos Hermites partis ;
Ils vont à la Cité superbe, bien bastie,
Et de tous objets assortie :
Le Prince y faisoit son sejour.
Le jeune homme tombé des nuës
Demandoit : Qu’est-ce là ? Ce sont des gens de Cour.
Et là ? Ce sont palais. Icy ? Ce sont statuës.
Il consideroit tout ; quand de jeunes beautez
Aux yeux vifs, aux traits enchantez,
Passerent devant luy ; dés-lors nulle autre chose
Ne pût ses regards attirer.
Adieu Palais ; adieu ce qu’il vient d’admirer ;
Voicy bien pis, et bien une autre cause
D’étonnement.
Ravi comme en extase à cet objet charmant :
Qu’est-ce là, dit-il à son pere,
Qui porte un si gentil’habit ?
Comment l’appelle-t-on ? Ce discours ne plut guere
Au bon Vieillard, qui répondit :
C’est un oyseau qui s’appelle Oye.
O l’agreable oyseau ! dit le fils plein de joye.
Oye, hélas, chante un peu, que j’entende ta voix.
Peut-on point un peu te connoistre[2] ?
Mon pere, je vous prie et mille et mille fois,
Menons en une en nostre bois,
J’auray soin de la faire paistre.