Œuvres complètes de La Fontaine (Marty-Laveaux)/Tome 2/Les Aveus indiscrets

Œuvres complètes de La Fontaine (Marty-Laveaux)/Tome 2
Contes, Texte établi par Ch. Marty-LaveauxP. Jannet (p. 334-337).


V. — LES AVEUS INDISCRETS.
CONTE.


Paris sans pair n’avoit en son enceinte
Rien dont les yeux semblassent si ravis
Que la belle, aimable et jeune Aminte,
Fille à pourvoir, et des meilleurs partis.
Sa mere encor la tenoit sous son aîle ;
Son pere avoit du contant et du bien ;
Faites état qu’il ne luy manquoit rien.
Le beau Damon s’étant piqué pour elle,
Elle receut les offres de son cœur :
Il fit si bien l’esclave de la belle,
Qu’il en devint le maître et le vainqueur,
Bien entendu sous le nom d’hymenée ;
Pas ne voudrois qu’on le crût autrement.
L’an révolu, ce couple si charmant,
Toûjours d’accord, de plus en plus s’aimant
(Vous eussiez dit la premiere journée)
Se promettoit la vigne de l’Abbé,
Lors que Damon, sur ce propos tombé,
Dit à sa femme : Un poinct trouble mon ame ;
Je suis épris d’une si douce flâme,
Que je voudrois n’avoir aimé que vous,
Que mon cœur n’eût ressenty que vos coups,
Qu’il n’eût logé que vôtre seule image,
Digne, il est vray, de son premier hommage.
J’ay cependant éprouvé d’autres feux :
J’en dis ma coulpe, et j’en suis tout honteux.
Il m’en souvient, la Nymphe étoit gentille,
Au fonds d’un bois, l’Amour seul avec nous ;
Il fit si bien, si mal, me direz-vous,
Que de ce fait il me reste une fille.

Voila mon sort, dit Aminte à Damon :
J’étois un jour seulette à la maison ;
Il me vint voir certain fils de famille,
Bien-fait et beau, d’agreable façon :
J’en eus pitié ; mon naturel est bon,
Et, pour conter tout de fil en aiguille,
Il m’est resté de ce fait un garçon.
Elle eut à peine achevé la parolle,
Que du mari l’ame jalouse et folle
Au desespoir s’abandonne aussi-tôt ;
Il sort plein d’ire, il descend tout d’un saut,
Rencontre un bast, se le met, et puis crie :
Je suis basté. Chacun au bruit accourt,
Les pere et mere, et toute la mégnie,
Jusqu’aux voisins. Il dit, pour faire court,
Le beau sujet d’une telle folie.
Il ne faut pas que le Lecteur oublie
Que les parens d’Aminte, bons Bourgeois,
Et qui n’avoient que cette fille unique,
La nourrissoient, et tout son domestique,
Et son époux, sans que, hors cette fois,
Rien eût troublé la paix de leur famille.
La mere donc s’en va trouver sa fille ;
Le pere suit, laisse sa femme entrer,
Dans le dessein seulement d’écouter.
La porte étoit entr’ouverte ; il s’approche
Bref, il entend la noise et le reproche
Que fit sa femme à leur fille, en ces mots :
Vous avez tort : j’ay veu beaucoup de sots,
Et plus encor de sottes, en ma vie ;
Mais qu’on pût voir telle indiscrétion,
Qui l’auroit crû ? Car enfin, je vous prie,
Qui vous forçoit ? Quelle obligation
De reveler une chose semblable ?
Plus d’une fille a forligné ; le diable
Est bien subtil ; bien malins sont les gens :
Non pour cela que l’on soit excusable ;
Il nous faudroit toutes dans des Couvents

Claquemurer jusques à l’hymenée.
Moy qui vous parle ay même destinée ;
J’en garde au cœur un sensible regret :
J’eus trois enfans avant mon mariage.
A vôtre pere ay-je dit ce secret ?
En avons-nous fait plus mauvais ménage ?
Ce discours fut à peine proferé,
Que l’écoutant s’en court, et tout outré,
Trouve du bast la sangle, et se l’attache,
Puis va criant par tout : Je suis sanglé !
Chacun en rit, encor que chacun sçache
Qu’il a dequoy faire rire à son tour.
Les deux maris vont dans maint carrefour
Criant, courant, chacun à sa maniere,
Basté le gendre, et Sanglé le beau-pere.
On doutera de ce dernier poinct-cy ;
Mais il ne faut telles choses mécroire.
Et, par exemple, écoutez bien cecy :
Quand Roland sceut les plaisirs et la gloire
Que dans la grotte avoit eus son Rival,
D’un coup de poing il tua son cheval.
Pouvoit-il pas, trainant la pauvre bête,
Mettre de plus la selle sur son dos ?
Puis s’en aller, tout du haut de sa tête,
Faire crier et redire aux Echos :
Je suis basté, sanglé ! car il n’importe,
Tous deux sont bons. Vous voyez de la sorte
Que cecy peut contenir verité.
Ce n’est assez, cela ne doit suffire ;
Il faut aussi montrer l’utilité
De ce recit ; je m’en vais vous la dire.
L’heureux Damon me semble un pauvre sire :
Sa confiance eut bien-tôt tout gâté.
Pour la sotise et la simplicité
De sa moitié, quant à moy, je l’admire.
Se confesser à son propre mary !
Quelle folie ! Imprudence est un terme
Foible à mon sens pour exprimer cecy.

Mon discours donc en deux points se renferme.
Le nœu d’hymen doit être respecté,
Veut de la foy, veut de l’honnêteté :
Si, par mal-heur, quelque atteinte un peu forte
Le fait clocher d’un ou d’autre côté,
Comportez-vous de maniere et de sorte
Que ce secret ne soit point éventé :
Gardez de faire aux égards banqueroute ;
Mentir alors est digne de pardon.
Je donne icy de beaux conseils, sans doute :
Les ay-je pris pour moy-même ? helas ! non.