Œuvres complètes de La Fontaine (Marty-Laveaux)/Tome 2/Le Remede

Œuvres complètes de La Fontaine (Marty-Laveaux)/Tome 2
Contes, Texte établi par Ch. Marty-LaveauxP. Jannet (p. 330-333).


IV. — LE REMEDE.


CONTE.


Si l’on se plaît à l’image du Vray,
Combien doit-on rechercher le Vray même ?
J’en fais souvent dans mes contes l’essay,
Et vois toûjours que sa force est extrême,
Et qu’il attire à soy tous les esprits.
Non qu’il ne faille en de pareils écrits

Feindre les noms ; le reste de l’affaire
Se peut conter sans en rien déguiser :
Mais, quant aux noms, il faut au moins les taire,
Et c’est ainsi que je vais en user.
 
 Prés du Mans donc, pays de Sapience,
Gens pesans l’air, fine fleur de Normand,
Une pucelle eut n’aguere un amant
Frais, delicat, et beau par excellence ;
Jeune sur tout, à peine son menton
S’étoit vétu de son premier coton.
La fille étoit un parti d’importance ;
Charmes et dot, aucun poinct n’y manquoit ;
Tant et si bien, que chacun s’appliquoit
A la gagner ; tout le Mans y couroit.
Ce fut en vain ; car le cœur de la fille
Inclinoit trop pour nôtre Jouvenceau :
Les seuls parens, par un esprit Manceau,
La destinoient pour une autre famille.
Elle fit tant autour d’eux que l’amant,
Bon gré, malgré, je ne sçay pas comment,
Eut à la fin accés chez sa maîtresse.
Leur indulgence, ou plûtôt son adresse,
Peut être aussi son sang et sa noblesse,
Les fit changer : que sçay-je quoy ? tout duit
Aux gens heureux, car aux autres tout nuit.
L’Amant le fut : les parens de la Belle
Sceurent priser son merite et son zele.
C’étoit là tout. Eh ! que faut-il encor ?
Force contant ; les biens du siecle d’or
Ne sont plus biens, ce n’est qu’une ombre vaine.
O temps heureux ! je prévois qu’avec peine
Tu reviendras dans le pays du Maine !
Ton innocence eût secondé l’ardeur
De nôtre Amant, et hâté cette affaire ;
Mais des parens l’ordinaire lenteur
Fit que la Belle, ayant fait dans son cœur
Cet hymenée, acheva le mystere

Selon les Us de l’isle de Cythere.
Nos vieux Romans, en leur style plaisant,
Nomment cela paroles de present.
Nous y voyons pratiquer cet usage,
Demi-amour et demi-mariage,
Table d’attente, avant-goût de l’hymen.
Amour n’y fit un trop long examen :
Prêtre et parent tout ensemble, et Notaire,
En peu de jours il consomma l’affaire :
L’esprit Manceau n’eut point part à ce fait.
Voilà nôtre homme heureux et satisfait,
Passant les nuits avec son épousée ;
Dire comment, ce seroit chose aisée ;
Les doubles clefs, les bréches à l’enclos,
Les menus dons qu’on fit à la Soubrette,
Rendoient l’époux joüissant en repos
D’une faveur douce autant que secrette.
Avint pourtant que nôtre Belle un soir,
En se plaignant, dit à sa gouvernante,
Qui du secret n’étoit participante :
Je me sens mal ; n’y sçauroit-on pourvoir ?
L’autre reprit : Il vous faut un Remede ;
Demain matin nous en dirons deux mots.
Minuit venu, l’époux mal à propos,
Tout plein encor du feu qui le possede,
Vient de sa part chercher soulagement,
Car chacun sent icy-bas son tourment.
On ne l’avoit averti de la chose.
Il n’étoit pas sur les bords du sommeil
Qui suit souvent l’amoureux appareil,
Qu’incontinent l’Aurore aux doigts de rose
Ayant ouvert les portes d’Orient,
La gouvernante ouvrit tout en riant,
Remede en main, les portes de la chambre :
Par grand bon-heur il s’en rencontra deux ;
Car la saison aprochoit de Septembre,
Mois où le chaud et le froid sont douteux.
La fille alors ne fut pas assez fine ;

Elle n’avoit qu’à tenir bonne mine,
Et faire entrer l’amant au fonds des draps,
Chose facile autant que naturelle.
L’émotion luy tourna la cervelle ;
Elle se cache elle-même, et tous bas
Dit en deux mots quel est son embarras.
L’Amant fut sage ; il presenta pour elle
Ce que Brunel à Marphise montra[1].
La Gouvernante, ayant mis ses lunettes,
Sur le galant son adresse éprouva ;
Du bain interne elle le regala,
Puis dit adieu, puis aprés s’en alla,
Dieu la conduise, et toutes celles-là
Qui vont nuisant aux amitiez secrettes !
Si tout cecy passoit pour des sornettes
(Comme il se peut, je n’en voudrois jurer)
On chercheroit dequoy me censurer.
Les Critiqueurs sont un peuple severe ;
Ils me diront : Vôtre Belle en sortit
En fille sotte et n’ayant point d’esprit :
Vous luy donnez un autre caractere ;
Cela nous rend suspecte cette affaire :
Nous avons lieu d’en douter ; auquel cas
Vôtre prologue icy ne convient pas.
Je répondray… Mais que sert de répondre ?
C’est un procés qui n’auroit point de fin :
Par cent raisons j’aurois beau les confondre ;
Ciceron même y perdroit son latin.
Il me suffit de n’avoir en l’ouvrage
Rien avancé qu’aprés des gens de foy :
J’ai mes garends : que veut-on davantage ?
Chacun ne peut en dire autant que moy.

  1. Brunel poursuvi par Marfise dont il avoit dérobé l’épée :
    Tal volta i panni in capo si levava,
    E squadernava {intendetemi bene)
    Con riverenzia, il fondo de le rene.
    (Orlando innamorato, lib. II, canto XI.)