Œuvres complètes de La Fontaine (Marty-Laveaux)/Tome 2/La Clochette

Œuvres complètes de La Fontaine (Marty-Laveaux)/Tome 2
Contes, Texte établi par Ch. Marty-LaveauxP. Jannet (p. 319-321).


I. — LA CLOCHETTE.
CONTE.


Combien l’homme est inconstant, divers,
Foible, leger, tenant mal sa parole !
J’avois juré hautement en mes vers[1],
De renoncer à tout conte frivole :
Et quand juré ? c’est ce qui me confond ;

Depuis deux jours j’ay fait cette promesse.
Puis fiez-vous à Rimeur qui répond
D’un seul moment. Dieu ne fit la sagesse
Pour les cerveaux qui hantent les neuf Sœurs :
Trop bien ont-ils quelque art qui vous peut plaire,
Quelque jargon plein d’assez de douceurs ;
Mais d’être sûrs ce n’est là leur affaire.
Si me faut-il trouver, n’en fût-il point,
Temperament pour accorder ce poinct ;
Et, supposé que quant à la matiere
J’eusse failly, du moins pourrois-je pas
Le reparer, par la forme, en tout cas ?
Voyons cecy. Vous sçaurez que naguere
Dans la Touraine un jeune Bachelier....
(Interpretez ce mot à vôtre guise :
L’usage en fut autrefois familier
Pour dire ceux qui n’ont la barbe grise ;
Ores ce sont supposts de sainte Eglise.)
Le nôtre soit sans plus un jouvenceau
Qui dans les prez, sur le bord d’un ruisseau,
Vous cajoloit la jeune bachelette
Aux blanches dents, aux pieds nus, aux corps gent,
Pendant qu’Io, portant une clochette,
Aux environs alloit l’herbe mangeant.
Nôtre galand vous lorgne une fillette,
De celles-là que je viens d’exprimer.
Le malheur fut qu’elle étoit trop jeunette,
Et d’âge encore incapable d’aimer.
Non qu’à treize ans on y soit inhabile ;
Même les loix ont avancé ce temps[2] :
Les loix songeoient aux personnes de ville,
Bien que l’amour semble né pour les champs.
Le Bachelier déploya sa science.

Ce fut en vain ; le peu d’experience,
L’humeur farouche, ou bien l’aversion,
Ou tous les trois firent que la bergere,
Pour qui l’amour étoit langue étrangere,
Répondit mal à tant de passion.
Que fit l’amant ? Croyant tout artifice
Libre en amours, sur le rez de la nuit[3]
Le compaguon détourne une genisse
De ce bétail par la fille conduit.
Le demeurant, non conté par la belle
(Jeunesse n’a les soins qui sont requis),
Prit aussi-tôt le chemin du logis.
Sa mere, étant moins oublieuse qu’elle,
Vid qu’il manquoit une piéce au Troupeau.
Dieu sçait la vie ! elle tance Isabeau,
Vous la renvoye ; et la jeune pucelle
S’en va pleurant, et demande aux échos
Si pas un d’eux ne sçait nulle nouvelle
De celle-là, dont le drôle à propos
Avoit d’abord étoupé la clochette :
Puis il la prit, et, la faisant sonner[4],
Il se fit suivre ; et tant que la fillette
Au fonds d’un bois se.laissa détourner.
Jugez, Lecteur, quelle fut sa surprise
Quand elle oüit la voix de son amant.
Belle, dit-il, toute chose est permise
Pour se tirer de l’amoureux tourment.
A ce discours, la fille toute en transe
Remplit de cris ces lieux peu frequentez
Nul n’accourut. O belles ! évitez
Le fonds des bois, et leur vaste silence.

  1. Edition de Henry Desbordes, 1685 :
    J’avois juré, même en assez beaux Vers…
  2. Il y a dans mon exemplaire de Maucroix une note manuscrite du temps, ainsi conçue : « Permettant le mariage des filles à douze ans. » (Note de M. Walckenaer.)
  3. Edition de Henry Desbordes, 1685 :
    … Sur le coy de la nuit.
  4. Edition de Henry Desbordes, 1685 :
    Puis il la prit, puis la faisant sonner.