Œuvres complètes de La Fontaine (Marty-Laveaux)/Tome 2/Autre Imitation d’Anacréon
J’estois couché mollement,
Et, contre mon ordinaire,
Je dormois tranquillement,
Quand un enfant s’en vint faire
A ma porte quelque bruit.
Il pleuvoit fort cette nuit ;
Le vent, le froid, et l’orage
Contre l’enfant faisoient rage.
Ouvrez, dit-il, je suis nu.
Moy, charitable et bon homme,
J’ouvre au pauvre morfondu,
Et m’enquiers comme il se nomme,
Je te le diray tantost,
Repartit-il ; car il faut
Qu’auparavant je m’essuye.
J’allume aussi-tost du feu.
Il regarde si la pluye
N’a point gasté quelque peu
Un arc dont je me méfie.
Je m’aproche toutefois,
Et de l’enfant prends les doigts,
Les réchauffe ; et dans moy-mesme
Je dis : Pourquoy craindre tant ?
Que peut-il ? c’est un enfant :
Ma coüardise est extreme
D’avoir eu le moindre effroy ;
Que seroit-ce si chez moy
J’avois receu Polyphême ?
L’enfant, d’un air enjoué,
Ayant un peu secoüé
Les pieces de son armure,
Et sa blonde chevelure,
Prend un trait, un trait vainqueur,
Qu’il me lance au fond du cœur.
Voila, dit-il, pour ta peine.
Souviens-toy bien de Climene
Et de l’Amour ; c’est mon nom.
Ah ! je vous connois, luy dis-je,
Ingrat et cruel garçon ;
Faut-il que qui vous oblige
Soit traité de la façon ?
Amour fit une gambade ;
Et le petit scelerat
Me dit : Pauvre camarade,
Mon arc est en bon estat ;
Mais ton cœur est bien malade.
- ↑ Ode 3, (εἰς Ἔρωτα), pièce généralement connue sous le titre de : L’Amour mouillé. M. Walckenaer le luy a conservé dans ses éditions de La Fontaine.