Œuvres complètes de H. de Balzac, XX/le péché véniel

Œuvres complètes de H. de Balzac, XX
Œuvres complètes de H. de Balzac/15A. Houssiaux (p. 18-48).

LE PÉCHÉ VÉNIEL



COMMENT LE BONHOMME BRUYN PRIND FEMME.


Messire Bruyn, celuy-là qui paracheva le chastel de la Roche-Corbon, lez Vouvray sur la Loire, fut ung rude compaignon en sa ieunesse. Tout petit, il grugeoyt déià les pucelles, gectoyt les maisons par les fenestres, et tournoyt congruement en farine de diable, quand il vint à calfeutrer son père, le baron de la Roche-Corbon. Lors feut maistre de faire tous les iours feste à sept chandelliers ; et de faict, il besongna des deux mains à son plaisir. Or, force de faire esternuer ses escuz, tousser sa braguette, saigner les poinçons, resgualer les linottes coëffées et faire de la terre le foussé, se vit excommunié des gens de bien, n’ayant pour amis que les saccageurs de pays et les lombards. Mais les uzuriers devinrent bien tost resches comme des bogues de chastaignier quand il n’eut plus à leur bailler d’aultres gaiges que sa dicte seigneurie de la Roche-Corbon, veu que la Rupes Carbonis reslevoyt du Roy nostre sire. Alors Bruyn se trouva en belle humeur de desclicquer des coups à tort et à travers, casser les clavicules aux aultres, et chercher noise à tous pour des vetilles. Ce que voyant, l’abbé de Marmoustiers, son voisin, homme libéral en paroles, lui dit que ce estoyt signe évident de perfection seigneurialle, qu’il marchoyt dans la bonne voye, mais que, s’il alloyt desconfire, à la gloire de Dieu, les Mahumetisches qui conchioyent la Terre-Saincte, ce seroyt mieulx encore, et que il reviendroyt sans faulte plein de richesses et d’indulgences, en Tourayne, ou en Paradiz, d’où tous les barons estoyent sortis iadis.

Ledict Bruyn, admirant le grant sens du preslat, se despartit du pays, harnaché par le monastère et benni par l’abbé, à la ioye de ses voisins et amis. Lors il mit à sacq force villes d’Asie et d’Africqne, battit les mescréans sans crier gare, escorchia les Sarrazins, les Griecqs, Angloys ou aultres, se soulciant peu s’ils estoyent amis et d’où ils sourdoyent, veu qu’entre ses mérites il avoyt celuy de n’estre point curieux, et ne les interroguoyt qu’après les avoir occiz. À ce mestier, moult agréable à Dieu, au Roy et à luy, Bruyn gaigna renom de bon chrestien, loyal chevalier, et s’amuza beaucoup en pays d’oultre-mer, veu qu’il donnoyt plus voulentiers un escu aux garses que six deniers à ung paouvre, quoiqu’il rencontrast plus de beaulx paouvres que de parfaictes cornmères ; mais en bon Tourangeaud il faisoyt soupe de tout pain. Finablement, quand il feut saoul de Turcques, de relicques et aultres bénéfices de Terre-Saincte, Bruyn, au grand estonnement des Vouvrillons, rattourna de la Croisade, encumbré d’escuz et pierreries ; au rebours d’aulcuns qui, de riches au despart, revindrent lourds de leppres et légiers d’argent. Au rettourner de Tuniz, nostre seigneur le roy Philippe le nomma comte, et le fit son Senneschal en nostre pays et en celuy de Poictou. Lors il feut aimé grantement, et à bon escient considéré, veu qu’oultre toutes ses belles qualitez il funda l’ecclise des Carmes-Deschaulx en la paroisse de l’Esgrignolles, par manière d’acquit envers le ciel, en raison des desportemens de sa ieunesse. Aussy feut-il cardinalement confict dans les bonnes graaces de l’Ecclise et de Dieu. De maulvais gars et homme de meschief, devint bon homme, saige et discretement paillard en perdant ses cheveulx. Rarement se choleroyt, à moins qu’on ne maugreast Dieu devant luy, ce qu’il ne toleroyt point, pour ce qu’il l’avoyt maugréé pour les aultres en sa folle ieunesse. Brief, il ne querelloyt plus, veu qu’estant senneschal, les gens luy ceddoyent incontinent. Vray dire aussy qu’il voyoyt lors ses dezirs accomplis ; ce qui rend, voire ung diableteau, otieulx et tranquille de la cervelle aux talons. Et doncques, il possedoyt ung chastel deschicqueté sur toutes les coutures, et tailladé comme ung pourpoinct hespaignol, assis sur ung cousteau d’où il se miroyt en Loyre ; dedans les salles, estoyent des tapisseries royalles, meubles et bobans, pompes et inventions sarrazines dont s’estomiroyent ceulx de Tours, et mesme l’archevesque et les clercs de Sainct-Martin, auxquels il bailla, en pur don, une bannière frangée d’or fin. À l’entour dudict chasteau, fourmilloyent de beaulx domaines, moulins, futayes avecques moissons de redevances de toutes sortes, si qu’il estoyt ung des forts bannerets de la province, et pouvoyt bien mener en guerre mille hommes au Roy nostre sire. En ses vieulx iours, si, par caz fortuit, son baillif, homme diligent à pendre, lui amenoyt ung paouvre paysan soubpçonné de quelque meschanterie, il disoyt en soubriant : — Lasche cettuy-ci, Breddif, il comptera pour ceulx que i’ai inconsidérément navrez là-bas… Souventes foys aussy les faisoyt-il bravement brancher à ung chesne ou accrocher à ses potences ; mais c’estoyt unicquement pour que iustice fust, et que la coustume ne s’en perdist point en ses chastellenies. Aussy le populaire estoyt-il saige et rengé comme nonnettes d’hier sur ses terroirs, et tranquille, veu qu’il le protégeoyt des routiers et malandrins, lesquels il n’espargnoyt iamais, sachant par expertize combien de playes faisoyent ces mauldites bestes de proye. Du reste, fort dévotieux, despeschant trez-bien toute chose, les offices comme le bon vin, il esmouchoyt les procez à la turcque, disoyt mille ioyeulsetez à gens qui perdoyent, et disnoyt avecques eulx pour iceulx consoler. Il faisoyt mettre les pendus en terre saincte, comme gens appartenant à Dieu, les trouvant assez puniz d’estre empeschez de vivre. Enfin, ne pressoyt les Iuifs qu’à tems et lorsqu’ils estoyent enflez d’uzure et de deniers ; il les laissoyt amasser leur buttin comme mousches à miel, disant qu’ils estoyent les meilleurs collecteurs d’impôts. Et ne les despouilloyt iamais que pour le prouffict et usaige des gens d’ecclise, du Roy, de la province, ou pour son service à luy.

Ceste débonnaireté lui attrayoyt l’affection et l’estime de ung chascun, grants et petits. S’il revenoyt soubriant de son siège iusticial, l’abbé de Marmoustiers, vieil comme luy, disoyt : — Ha ! ha ! messire, il y a doncques des penduz, que vous riez ainsy !… Et quand venant de la Roche-Corbon à Tours, il passoyt à cheval le long du faulxbourg Sainct-Symphorien, les petites garses disoyent : — C’est iour de iustice, vécy le bon homme Bruyn. Et, sans avoir paour, le resguardoyent chevaulchant sur une grant hacquenée blanche qu’il avoyt ramenée du Levant. Sur le pont, les ieunes gars s’interrompoyent de iouer aux billes, et lui crioyent : — Boniour, monsieur le Senneschal ! Et luy respondoyt en gaussant : — Amusez-vous bien, mes enfans, iusqu’à ce qu’on vous fouette. — Oui, monsieur le Senneschal.

Aussy fit-il le pays si content et si bien balayé de voleurs, que, l’an du grand desbordement de la Loyre, il n’y avoyt eu que vingt-deux malfaicteurs de pendus dans l’hyver, sans compter ung Iuif bruslé en la commune de Chasteau-Neuf, pour avoir desrobbé une hostie, ou achepté, dict-on, car il estoyt riche.

Un iour de l’an suyvant, environ la Sainct-Jean des foins, ou la Sainct-Jean qui fauche, comme nous disons en Tourayne, advint des Egyptiacques, Bohémiens ou aultres troupes larronnesses qui firent ung vol de chouses sainctes à Saint-Martin, et au lieu et plasse de madame la Vierge, lairrèrent, et en guize d’insulte et mocquerie de nostre vraye foy, une infame iolie fille de l’aage d’ung vieulx chien, toute nue, histrionne et mauricaulde comme eulx. De ce forfaict sans nom, feut également conclud par les gens du Roy et ceux de l’Ecclise que la Moresse payeroyt pour le tout, seroyt arse et cuitte vifve au quarroy Sainct-Martin, prouche la fontaine, où est le marché aux Herbes. Lors, le bonhomme Bruyn apertement et dextrement demonstra, à l’encontre des aultres, que ce seroyt chouse prouffictable et bien plaisante à Dieu de conquester ceste ame affricquaine à la vraye religion ; et, si le diable logé en cettuy corps féminin faisoyt de l’entesté, que les fagotz ne fauldroyent point à le brusler comme disoyt ledict arrest. Ce que l’archevesque trouva saigement pensé, moult canonicque, conforme à la charité chrestienne et à l’Evangile. Les dames de la ville et aultres personnes d’authorité dirent à haulte voix que on les frustroyt d’une belle quérémonie, veu que la Moresse plouroyt sa vie eu la geole, clamoyt comme chievre liée, et se convertiroyt seurement à Dieu pour continuer à vivre autant qu’ung corbeau, s’il estoyt loisible à elle. À quoy le Senneschal respondit que, si l’estrangière vouloyt sainctement soy commettre en la religion chrestienne, il y auroyt une quérémonie bien aultrement guallante, et qu’il se iactoyt de la faire royalement magnificque, pour ce qu’il seroyt le parrain du baptesme, et que pucelle devroyt estre sa commère, à ceste fin de plaire davantaige à Dieu, veu que luy-mesme estoyt censé cocquebin. En nostre pays de Tourayne, ainsy dict-on des ieunes gars vierges, nom mariez ou estimez telz, affin de les distinguer emmi les espoux ou les veufs ; mais les garses sçavent bien les deviner sans le nom, pour ce qu’ils sont légiers et ioyeulx plus que tous aultres saupouldrez de mariaige.

La Moresque n’hezita point entre les fagotz du feu et l’eaue du baptesme. Elle aima davantaige estre chrestienne et vivante que bruslée Egyptiacque ; par ainsy, pour ne point estre boullue ung moment, elle dubt ardre de cueur pendant toute sa vie, veu que, pour plus grant fiance en sa religion, elle feut mise au moustier des nonnes prouche le Chardonneret, où elle fit vœu de saincteté. Ladicte quérémonie feut parachevée au logis de l’archevesque, où, pour ceste foys, il feut ballé, dancé en l’honneur du Sauveur des hommes, par les dames et seigneurs de Tourayne, pays où plus on dance, balle, mange, belute et faict-on plus de graz banquetz et plus de ioyeulsetez qu’en aulcun du monde entier. Le bon vieil senneschal avoyt prins pour sa commère la fille au seigneur d’Azay-le-Ridel, qui depuis feut Azay-le-Bruslé, lequel seigneur s’estant croissé feut laissé devant Ascre, ville trez-esloignée, aux mains d’ung Sarrazin qui demandoyt une ransson royale pour ce que ledict seigneur estoyt de belle prestance.

La dame d’Azay ayant baillé son fief en gaige aux lombards et torssonniers affin de faire la somme, restoyt sans ung piestre denier, attendant le sire dans ung paouvre logis de la ville, sans ung tapis pour se seoir, mais fière comme la royne de Saba, et brave comme ung lévrier qui deffend les nippes de son maistre. Voyant ceste grant destresse, le senneschal s’en alla délicatement requérir la demoiselle d’Azay d’estre la marraine de ladicte Egyptiacque, pour ce qu’il auroyt le droict de bien faire à la dame d’Azay. Et de faict, il gardoyt une lourde chaisne d’or, emblée à la prinse de Chyppre, qu’il déliberoyt d’agrapher au col de sa gentille commère ; ains il y pendit son domaine et ses cheveulx blancs, ses besans et ses hacquenées ; brief, il y mist tout, si tost qu’il eut veu Blanche d’Azay dançant une pavane parmi les dames de Tours. Quoique la Moresque, qui s’en donnoyt pour son dernier iour, eust estonné l’assemblée par ses tourdions, voltes, passes, bransles, élévations et tours de force, Blanche l’emporta sur elle au dire de tous, tant elle dança virginalement et mignonnement.

Ores, Bruyn, en admirant ceste gente demoiselle dont les chevilles avoyent paour du planchier et qui se divertissoyt ingénuement pour ses dix-sept ans comme une cigalle en train d’essayer sa chanterelle, feut bouclé par ung dezir de vieillard, dezir apoplecticque et vigoureux de foyblesse qui le chauffa de la semelle à la nuque seulement, car son chief avoyt trop de neige pour que l’amour s’y logeast. Lors, le bonhomme s’aperceut qu’il lui manquoyt une femme en son manoir, et si le vit-il plus triste qu’il ne l’estoyt. Et qu’estoyt doncques ung chastel sans chastelaine ?… autant dire ung battant sans sa cloche. Brief, une femme estoyt la seule chouse qu’il eust à dezirer : aussi la vouloyt-il promptement, veu que, si la dame d’Azay le faisoyt attendre, il avoyt le temps d’issir de cettuy monde en l’aultre. Mais, pendant le divertissement baptismal, il songea peu à ses grievfes blessures, et encores moins aux quatre-vingts ans bien sonnez qui lui avoyent desguarni la teste ; il trouva ses yeulx clairs assez pour ce qu’il voyoyt trez-apertement sa jeune commère, laquelle, suyvant les commandemens de la dame d’Azay, le festoyoyt trez-bien de l’œil et du geste, cuydant qu’il n’y avoyt aulcun dangier près de si vieulx compère. En sorte que Blanche, naïfve et nice qu’elle estoyt, au rebours de toutes les garses de Tourayne, lesquelles sont esveiglées comme ung matin de printems, permit au bonhomme de luy baiser la main d’abord ; et, davantaige, le col ung peu bas, disoyt l’archevesque qui les maria la semaine d’après, et ce feut de belles espousailles, et une plus belle espousée !

La dicte Blanche estoyt mince et frisque comme pas une ; et mieulx que ça, pucelle comme jamais pucelle ne feut ; pucelle à ne point cognoistre l’amour, ni sçavoir comment et pourquoy il se faisoyt ; pucelle à s’estonner qu’aulcunes fainéantassent dedans le lict ; pucelle à croire que marmotz estoyent issus d’ung chou frizé. Sa dicte mère l’avoyt ainsy nourrie en toute innocence, sans luy lairrer seulement considérer, tant soit peu, comment elle entonnoyt sa soupe entre ses dents. Aussy estoyt-ce une enfant fleurie et intacte, ioueuse et naïfve, un ange auquel ne manquoyt que des aësles pour voler en paradiz. Et quand elle devalla du paouvre logiz de sa mère éplourée, pour consommer les fiançailles à la cathédrale de Sainct-Gatien et Sainct-Maurice, ceulx de la campaigne vindrent se repaistre la veue de la dicte mariée, et des tapisseries qui estoyent mises le long de la rue de la Scellerie, et dirent tous que iamais piedz plus mignons n’avoyent foulé terre de Tourayne, plus iolis yeulx pers, veu le ciel, plus belle feste aorné la rue de tapiz et de fleurs. Les garses de la ville, celles de Sainct-Martin et du bourg de Chasteauneuf, envioyent toutes les longues et faulves tresses avecques lesquelles, sans doute, Blanche avoyt pesché ung comté ; mais aussi et plus, soubhaitoyent-elles la robbe dorée, les pierreries d’oultre mer, les diamans blancs et les chaisnes avecques quoi la petite iouoyt et qui la lioyent pour tousiours au dict senneschal. Le vieulx soudard estoyt si raguaillardi près d’elle, que son heur crevoyt par tous ses riddes, ses resguards ou mouvemens. Quoique il fust à peu près droict comme une serpe, il se douanoyt aux coustez de Blanche, qu’on auroyt dict ung lansquenet à la parade, recevant sa monstre ; et il mettoyt la main à son diaphragme en homme que le plaisir estouffe et gehenne. Oyant les cloches en bransle, la procession, les pompes et doreloteries dudict mariaige dont estoyt parlé depuis la feste épiscopale, ces dictes filles deziroyent vendanges de morisques, pluyes de vieulx sennechaulx et pannerées de baptesmes égyptiacques ; mais cettuy feut le seul qu’il y eust iamais en Tourayne, eu que le pays est loing d’Égypte et de Bohesme. La dame d’Azay receut une notable somme d’argent après la quérémonie, dont elle proufficta pour aller incontinent devers Ascre au devant de son dict espoux, en compaignie du lieutenant et des gens d’armes du comte de la Roche-Corbon qui les luy fournit de tout. Elle partit le iour des nopces après avoir remis sa fille aux mains du senneschal en lui recommandant de la bien mesnager ; plus tard, revint avecques le sire d’Azay, lequel estoyt leppreux, et le guarrit en le soignant elle-mesme à tous risques d’estre ladre comme luy, ce qui feut grantement admiré.

Les nopces faictes et parachevées, car elles durèrent trois iournées au grant contentement des gens, messire Bruyn emmena, en grant’pompe, la petite en son chastel ; et, selon la coustume des mariez, la couchia solennellement en sa couche qui feut bennie par l’abbé de Marmoustiers ; puis, il vint se mettre près d’elle, dedans la grant’chambre seigneurialle de Roche-Corbon, laquelle avoyt esté tendue de broccard verd, avecques des cannetilles d’or. Quand le vieulx Bruyn, tout perfumé, se vit chair à chair avecques sa iolie espousée, il la baisa d’abord au front, puis sur le tettin rondelet et blanc, au mesme endroict où elle luy avoyt permis de lui cadenasser le fermail de la chaisne ; mais ce feut tout. Le vieulx rocquentin avoyt trop cuydé de lui-mesme en croyant pouvoir escosser le reste ; et lors, il fit chommer l’amour, maugré les chanlz ioyeux et nuptiaulx, espitalames et gaudriolles qui se disoyent en bas, dedans les salles où l’on balloyt encores. Il se resconforta d’un coup du breuvaige des espoux, lequel, suyvant les coustumes, avoyt esté benni, et qui estoyt près d’eulx, dans une coupe d’or ; lesdictes espices luy reschauffièrent bien l’estomach, mais non le cueur de sa défuncte braguette. Blanche ne s’estomira point de la félonie de son espoux, veu qu’elle estoyt pucelle d’aame, et que, du mariaige, elle voyoyt seulement ce qui en est visible aux yeulx des jeunes filles, comme robbes, festes, chevaulx, estre dame et maistresse, avoir une comté, se resjouir et commander ; aussy, l’enfant qu’elle estoyt, folastroyt-elle avecques les glands d’or du lict, les bobans, et s’esmerveilloyt des richesses du pourpris où debvoyt estre enterrée sa fleur. Sentant ung peu tard sa coulpe, et se fiant à l’advenir qui cependant alloyt ruyner tous les iours ung petit ce dont il faisoyt estat pour resgualer sa femme, le senneschal voulut suppléer au faict par la parole. Ores, il entretint son espousée de toutes sortes ; luy promit les clefs de ses dressoirs, greniers et bahusts, le parfaict gouvernement de ses maisons et domaines, sans controlle aulcun ; luy pendant au cou le chansteau du pain, selon le populaire dicton de Tourayne. Elle estoyt comme un jeune destrier, à plein foin, trouvoyt son bonhomme le plus guallant du monde ; et, se dressant sur son séant, elle se print à soubrire, et vit avecques eucores plus de ioye ce beau lict de brocard verd, où doresenavant il luy estoyt loisible et sans faulte de dormir toutes les nuicts. La voyant preste à iouer, le rusé seigneur, qui avoyt peu rencontré de pucelles, et sçavoyt, par mainte expérience, combien les femmes sont cinges sur la plume, veu qu’il s’estoyt tousiours esbattu avec des Galloises, redoubtoyt les ieux manuels, baisers de passaige, et les menuz suffraiges d’amour auxquels iadis il ne faisoyt défaut, mais qui, prezentement, l’auroyent trouvé froid comme l’obit d’ung pape. Doncques, il se recula devers le bord du lict en craignant son heur, et dit à sa trop délectable espouze : — Hé bien ! m’amie, vous voilà ores senneschalle ; et, de faict, trez-bien senneschaussée. — Oh non ! fit-elle.

— Comment, non ? respondit-il en grant paour, n’estes-vous pas dame ?

— Non, fit-elle encore. Ne la seray que si i’ai un enfant

— Avez-vous veu les prées en venant ? reprint le bon compère.

— Oui, fit-elle.

— Eh bien ! elles sont à vous…

— Oh ! oh ! respondit-elle en riant, ie m’amuserai bien à y querrir des papillons.

— Voilà qui est saige, dit le seigneur. Et les bois ?

— Ah ! ie ne sauroys y estre seule, et vous m’y menerez. Mais, dit-elle, baillez-moi un petit de ceste liqueur que la Ponneuse ha faicte avecques tant de soin pour nous.

— Et pourquoy, m’amie ? vous vous boutterez le feu dedans le corps.

— Oh ! si veux-je, fit-elle en grignottant de despit, pour ce que Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 20.djvu/38 Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 20.djvu/39 Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 20.djvu/40 Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 20.djvu/41 Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 20.djvu/42 Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 20.djvu/43 Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 20.djvu/44 Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 20.djvu/45 Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 20.djvu/46 Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 20.djvu/47 Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 20.djvu/48 Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 20.djvu/49 Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 20.djvu/50 Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 20.djvu/51 Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 20.djvu/52 Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 20.djvu/53 Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 20.djvu/54 Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 20.djvu/56 Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 20.djvu/57 Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 20.djvu/58 Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 20.djvu/59 Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 20.djvu/60 Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 20.djvu/61 Page:Balzac - Œuvres complètes, éd. Houssiaux, 1874, tome 20.djvu/62