Œuvres complètes de H. de Balzac, XX/PREMIER DIXAIN-PROLOGUE

Œuvres complètes de H. de Balzac, XX
Œuvres complètes de H. de Balzac/15A. Houssiaux (p. 1-4).

LES

CONTES DROLATIQUES



PREMIER DIXAIN



PROLOGUE

Cecy est ung livre de haulte digestion, plein de deduicts de grant goust, espicez pour ces goutteux trez-illustres et beuveurs trez-précieux auxquels s’adressoyt nostre digne compatriote, eternel honneur de Tourayne, François Rabelays. Non que l’autheur ayt l’oultre-cuydance de vouloir estre aultre chose que bon Tourangeaud, et entretenir en ioye les amples lippées des gens fameux de ce mignon et plantureux pays, aussy fertile en cocquz, cocquardz et raillards que pas ung, et qui ha fourni sa grande part des hommes de renom à la France avecques feu Courier, de picquante mémoire ; Verville, autheur du Moyen de parvenir, et aultres bien cogneuz, desquels nous trions le sieur Descartes, pour ce que ce feut ung génie mélancholicque, et qui ha plus célébré les songeries creuzes que le vin et la friandise, homme duquel tous les pastisciers et rostisseurs de Tours ont une saige horreur, le mescognoissent, n’en veulent point entendre parler, et disent : — Où demeure-t-il ? si on le leur nomme. Doncques, ceste œuvre est le produict des heures rieuses de bons vieulx moynes, et dont estoyent maintz vestiges espars en nostre pays comme à la Grenadière-lez-Sainct-Cyr, au bourg de Sacché lez-Azay-le-Ridel, à Marmoustiers, Veretz, la Roche-Corbon, et dans aulcuns typothecques des bons récits, qui sont chanoines anticques et preudes femmes ayant cogneu le bon tems où l’on iocquetoyt encores sans resguarder s’il vous sortoyt ung cheval ou de ioyeulx poulains des costes à chaque risée, comme font auiourd’hui les ieunes femmes qui vouldroyent soy esbattre gravement, chouse qui sied à nostre gaye France comme une huilière sur la teste d’une royne. Aussy, comme le rire est ung privilége octroyé seulement à l’homme, et qu’il y ha cause suffisante de larmes avecques les libertez publicques sans en adiouxter par les livres, ai-je creu chouse patrioticque en diable de publier une drachme de ioyeulsetez par ce tems où l’ennuy tombe comme une pluie fine qui mouille, nous perce à la longue, et va dissolvant nos anciennes coustumes qui faisoyent de la raye publicque un amusement pour le plus grant numbre. Ains de ces vieulx pantagruelistes qui laissoyent faire à Dieu et au Roy leur mestier, sans mettre la main à la paste plus que ne debvoyent, se contentant de rire, il y en a peu, il en chet tous les iours, en sorte que i’ay grant paour de veoir ces notables fragmens d’anciens breviaires conspuez, conchiez, gallefretez, honnis, blasmez, ce dont ie ne me mocqueroys point, veu que ie conserve et porte beaucoup de respect aux rogneures de nos anticquitez gauloises.

Soubvenez-vous aussy, criticques enraigez, hallebotteurs de mots, harpyes qui guastez les intentions et inventions de ung chascun, que nous ne rions que enfans ; et, à mesure que nous voyageons, le rire s’estainct et despérit comme l’huile de la lampe. Cecy signifie que, pour rire, besoing est d’estre innocent et pur de cueur ; faulte de quoy, vous tortillez vos lèvres, iouez des badigoinces et fronssez les sourcilz en gens qui cachent des vices et impuretez. Or, doncques, prenez ceste œuvre comme ung grouppe ou statue desquels un artiste ne peut retrayre certaines pourtraycteures, et seroyt ung sot à vingt-deux caratz, s’il y mettoyt seulement des feuilles, pour ce que ces dictes œuvres, non plus que cettuy livre, ne sont faictes pour des couvens. Néanmoins, i’ai eu cure à mon grand despit de sarcler, ez manuscripts, les vieulx mots, ung peu trop ieunes, qui eussent deschiré les aureilles, esblouy les yeulx, rougi les ioues, deschicqueté les lèvres des vierges à braguettes et des vertuz à trois amans ; car il faut aussy faire aulcunes chouses pour les vices de son tems, et la périphrase est bien plus guallante que le mot ! De faict, nous sommes vieulx et trouvons les longues bagatelles meilleures que les brefves folies de nostre ieunesse, veu que, alors, nous y goustons plus long-tems. Doncques, mesnagez-moi dans vos médisances, et lisez cecy plustost à la nuict que pendant le iour ; et, point ne le donnez aux pucelles, s’il en est encore, pour ce que le livre prendroyt feu. Ie vous quitte de moy. Mais ie ne crains rien pour ce livre, veu qu’il est extraict d’ung hault et gentil lieu, d’où tout ce qui est issu a eu grant succez, comme il est bien prouvé par les Ordres royaulx de la Toyson d’Or, du Sainct-Esprit, de la Jarretière, du Bain, et tant de notables chouses qui y feurent prinses, à l’umbre desquelles je me mets.

Or, esbaudyssez-vous, mes amours, et gayement lisez tout, à l’aise du corps et des reins, et que le maulubec vous trousque, si vous me reniez après m’avoir lu. Ces paroles sont de nostre bon maistre Rabelays, auquel nous debvons tous oster nostre bonnet en signe de révérence et honneur, comme prince de toute sapience et toute comédie.