Œuvres complètes de Frédéric Ozanam, 3e édition/Volume 10/055

sa détermination d’entrer dans l’ordre de Saint-Dominique, et de son départ pour Rome, en le chargeant d’arrêter les places pour lui et ses deux compagnons. « C’est le jeudi 7 mars, fête de saint Thomas d’Aquin, que nous quitterons Paris. Nous serons à Lyon le 10, et c’est le 12 que nous nous embarquerons pour Milan. Je serai ravi de vous revoir vous et tous nos amis, et j’espère que vous nous aiderez à faire les pèlerinages que tout fervent catholique ne doit pas omettre à Lyon. »

Arrivé à Rome, l’abbé Lacordaire racontait son voyage à Ozanam et ne lui cachait pas les joies de la vie religieuse. Plus tard, il ne cachait pas non plus avoir vivement désire l’appeler un jour « mon frère. »

Si le lecteur rapproche les lettres qui précèdent et celles qui suivent, il sera en quelque sorte témoin des combats qui décidèrent de la destinée d’Ozanam ; il s’était voué dès sa jeunesse à la science et à la religion, il sut les servir toutes

deux, au milieu du monde, sans jamais les séparer.
LV
L’ABBÉ LACORDAIRE À FRÉDÉRIC OZANAM.
La Quercia, 26 avril 1839.

Très-cher monsieur,

Vous nous avez fait, à mes amis et à moi, un accueil trop aimable pour que je n’aie pas la pensée de vous en témoigner tout le souvenir que nous en avons garde. Vous prenez d’ailleurs un si grand intérêt à notre œuvre, qu’il est juste de vous en donner des nouvelles. Nous sommes arrivés à Rome le lundi de la semaine sainte par le plus beau temps du monde, qui ne nous avait pas quittés depuis Lyon, si ce n’est à Milan pour deux jours seulement. Les Dominicains nous ont reçus avec une fraternité et une ouverture de cœur dont vous n’avez pas idée, et je puis dire avoir vu la, pendant quinze jours, et pour la première fois, ce que c’est que l’amour chrétien, l’union des âmes en Jésus-Christ. Un Dominicain est, à la lettre, un Français, et l’esprit admirable de cet ordre a vaincu en eux, dans la plupart du moins, la nature italienne qui nous va si peu. Notre Mémoire était à Rome depuis quelques jours, et y avait produit un très-bon effet. Nous en avons distribué encore un grand nombre d’exemplaires, Les cardinaux que j’ai vus m’en ont parlé avec satisfaction, et le cardinal Pacca, doyen du sacré collège, s’en était exprimé ouvertement de la manière la plus favorable. Le 4 avril au matin, nous fûmes reçus tous les trois en audience particulière par Sa Sainteté, qui nous parla de notre projet avec un grand intérêt et lui accorda sa bénédiction. Nous avons su positivement que, pendant tout l’hiver, il n’avait cessé de s’en entretenir avec ceux qui l’approchent le plus familièrement. Quelques jours après, le 9 avril au soir, nous avons reçu l’habit, des mains du Maître général, dans la chapelle de Saint-Dominique de l’église de la Minerve, en présence de quelques amis et. d’un assez grand nombre d’étrangers. L’alliance de la France et de saint Dominique a paru là dans un épanchement si cordial, que les larmes nous en venaient à tout moment aux yeux. Le soir et le lendemain jusqu’à midi, ma chambre n’a pas cessé d’être pleine de Dominicains et de Français. A midi, nous sommes partis pour la Quercia, que nous habitons depuis quinze jours..

La Quercia est un couvent magnifique aux portes de Viterbe, au pied septentrional du mont Cimino, à une douzaine de lieues de Rome. Il a été bâti autrefois par un habitant de Viterbe qui trouva une image de la sainte Vierge entre les branches d’un chêne. L’image et le tronc du chêne, conservés au maître-autel de l’église, sont encore aujourd’hui en grande vénération. C’est de là qu’est venu le nom de Quercia qu’on donne au couvent. Celui qui —l’avait bâti, incertain de savoir à quel ordre religieux il le donnerait, alla un matin se mettre à la porte de Viterbe la plus proche, attendant le premier religieux qui passerait pour lui remettre les clefs : ce fut le Général même de notre ordre, qui se rendait en Toscane. La Quercia est un des quatre principaux couvents de notre ordre dans la province de Rome. On a préféré nous y envoyer pour que nous y fussions dans un meilleur air et une plus grande solitude. Je vous charge, très-cher monsieur, de présenter à madame votre mère l’hommage de mon respectueux souvenir et de nos remercîments communs pour ses bontés ; de tous nos compliments et souvenirs pour l’aimable famille qui nous a reçus le soir de notre départ, pour la Société de Saint-Vincent de Paul, et enfin pour M. de La Perrière, qui m’a conduit à ce collège hors de Lyon. Pour vous, très-cher monsieur, soyez persuadé que nous ne vous oublions pas, et qu’en particulier je vous conserve de très-vifs sentiments. Parlez aussi de nous à M. votre frère.