Œuvres complètes de Démosthène et Eschine (Traduction de Joseph Planche)/Volume III/Réflexions préliminaires sur les exordes de Démosthène

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RÉFLEXIONS PRÉLIMINAIRES


SUR


LES EXORDES DE DEMOSTHENE.


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Je n’ai jamais vu ni entendu citer les exordes de Démosthène que je publie aujourd’hui dans notre langue. Bien des personnes font peu de cas de cette production de notre orateur, que je regarde comme précieuse, comme un monument qui prouve combien il était laborieux et occupé des affaires de l’état. Je ne pense pas, comme quelques uns, qu’il les ait composés uniquement pour se fournir d’avance une espèce de magasin d’exordes, dans lequel il devait prendre ceux qui lui conviendraient, suivant les occasions. Il avait trop de génie et trop de bon sens pour ne pas faire ses exordes exprès, quand il avait à parler, et pour adapter aux discours qu’il devait prononcer des débuts faits à loisir et avant le tems.

Je vais exposer mes idées et mes conjectures sur ce qui a pu donner sujet à Démosthène de composer ces exordes, qui sont tous certainement de lui. Il était fort occupé des affaires publiques, et nous savons qu’il avait pour principe de parler le moins qu’il pouvait, sans être préparé. Ceux qui sont exercés à faire des discours, savent que le début souvent est ce qui coûte le plus. Il y a donc toute apparence que lorsque Démosthène prévoyait qu’il serait dans le cas de parler sur quelque affaire, et que le tems ne lui permettrait pas de composer le discours, il composait toujours l’exorde, afin de savoir par où débuter. Car il ne faut pas croire qu’il n’ait parlé à Athènes que dans les circonstances pour lesquelles il nous a laissé des harangues : il a parié sans doute dans beaucoup d’autres occasions.

Mais, dira-i-on, nous retrouvons dans ses discours plusieurs des exordes de ce recueil, ce qui semble prouver qu’il les avait pris pour les y adapter. Je crois plutôt qu’il les avait faits séparément selon les affaires qui se présentaient, se trouvant pressé par les circonstances, et s’imaginant qu’il n’aurait pas le tems de composer les discours ; mais que, les affaires ayant été remises comme il pouvait arriver, il avait fait les discours, et avait pris les exordes en les laissant écrits à part, et en les transportant dans les discours avec des changemens, ou sans changemens, selon qu’il le trouvait convenable.

Quoi qu’il en soit de ces conjectures, j’ai traduit ces exordes qui roulent presque tous sur des objets politiques, et qui par conséquent trouvent naturellement leur place après les harangues politiques. Ils m’ont coûté beaucoup à traduire. Ce sont des pièces isolées qui ne tiennent à rien, et où il faut deviner, quand le sens ne se présente pas aussitôt. D’ailleurs, les débuts de toute harangue sont ordinairement froids et tranquilles, les phrases en sont communément fort longues : le traducteur n’est pas animé et échauffé par la suite des choses, et par la chaleur de la diction. Mais je serai dédommagé de mes peines par le plaisir de publier tout ce qui nous reste de Démosthène, de faire connaître son amour pour le bien public, son zèle infatigable, son application constante et assidue aux affaires. Comme dans les exordes on se concilie l’attention des auditeurs, qu’on cherche à dissiper leurs préventions, et à écarter tous les obstacles qui pourraient les empêcher de recevoir favorablement ce qu’on va leur dire, on peut étudier, dans ceux-ci, le caractère des Athéniens ; on verra qu’ils étaient légers, frivoles, inconstans, mais qu’ils avaient toute la subtilité d’esprit et toute la grandeur d’âme dont un peuple est susceptible. Je n’ai pas discuté les faits contenus dans chaque exorde, ni recherché à quelle occasion chacun a été composé ; on sent que ces discussions et ces recherches auraient été inutiles et impossibles. Je n’ai formé qu’un exorde dans quelques endroits où l’édition de Volfius en offre deux ou même trois ; ils sont réunis en un seul dans d’autres éditions, et ils m’ont paru devoir l’être.





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