Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/Oiseaux étrangers qui ont rapport aux grives et aux merles

OISEAUX ÉTRANGERS
QUI ONT RAPPORT AUX GRIVES ET AUX MERLES

I.La grive bassette de Barbarie[1].

J’appelle ainsi cet oiseau[NdÉ 1] à cause de ses pieds courts : il ressemble aux grives par sa forme totale, par son bec, par les mouchetures de la poitrine, semées régulièrement sur un fond blanc, en un mot, par tous les caractères extérieurs, excepté les pieds et le plumage ; ses pieds sont non seulement plus courts, mais plus forts, en quoi il est directement opposé à l’hoamy, et semble se rapprocher un peu de la draine, qui a les pieds plus courts à proportion que nos trois autres grives. À l’égard du plumage, il est d’une grande beauté : la couleur dominante du dessus du corps, compris la tête et le cou, est un vert clair et brillant, le croupion est teint d’un beau jaune, ainsi que l’extrémité des couvertures de la queue et des ailes, dont les pennes sont d’une couleur moins vive ; mais il s’en faut bien que cette énumération de couleurs, fût-elle plus détaillée, pût donner une idée juste de l’effet qu’elles produisent dans l’oiseau même : pour rendre ces sortes d’effets, il faut un pinceau et non pas des paroles. M. Shaw, qui a observé cette grive dans son pays natal, en compare le plumage à celui des plus beaux oiseaux d’Amérique[2] ; il ajoute qu’elle n’est pas fort commune, et qu’elle ne paraît qu’en été au temps de la maturité des figues, ce qui suppose que ces fruits ont quelque influence sur l’ordre de sa marche ; et dans ce seul fait j’aperçois deux nouvelles analogies entre cet oiseau et les grives, qui sont pareillement des oiseaux de passage, et qui aiment beaucoup les figues[3].

II.Le tilly ou la grive cendrée d’Amérique[4].

Tout le dessus du corps, de la tête et du cou est d’un cendré foncé dans l’oiseau dont il s’agit ici[NdÉ 2] ; cette couleur s’étend sur les petites couvertures des ailes, et, passant sous le corps, remonte d’une part jusqu’à la gorge exclusivement, et descend d’autre part, mais en se dégradant, jusqu’au bas-ventre, qui est de couleur blanche, ainsi que les couvertures du dessous de la queue : la gorge est blanche aussi, mais grivelée de noir ; les pennes et les grandes couvertures des ailes sont noirâtres et bordées extérieurement de cendré ; les douze pennes de la queue sont étagées et noirâtres comme celles de l’aile, mais les trois latérales de chaque côté sont terminées par une marque blanche d’autant plus grande dans chaque penne que cette penne est plus extérieure. L’iris, le tour des yeux, le bec et les pieds sont rouges ; l’espace entre l’œil et le bec est noir, et le palais est teint d’un orangé fort vif.

La longueur totale du tilly est d’environ dix pouces, son vol de près de quatorze, sa queue de quatre ; son pied de dix-huit lignes, son bec de douze, et son poids de deux onces et demie ; enfin ses ailes, dans leur repos, ne vont pas jusqu’à la moitié de la queue.

Cette espèce est sujette à des variétés, car l’individu observé par Catesby avait le bec et la gorge noirs ; cette différence de couleurs ne tiendrait-elle pas à celle du sexe ? Catesby se contente de dire que la femelle est d’un tiers plus petite que le mâle ; il ajoute que ces oiseaux mangent les baies de l’arbre qui donne la gomme élemi.

Ils se trouvent à la Caroline, et sont très communs dans les îles d’Andros et d’Ilathera, suivant M. Brisson.

III.La petite grive des Philippines.

On peut rapporter au genre des grives cette nouvelle espèce[NdÉ 3], dont nous sommes redevables à M. Sonnerat : elle a le devant du cou et la gorge grivelés de blanc sur un fond roux ; le reste du dessous du corps d’un blanc sale tirant au jaune, et le dessus du corps d’un brun fondu avec une teinte olivâtre.

La grosseur de cette grive étrangère est au-dessous de celle du mauvis : on ne peut rien dire de l’étendue de son vol, parce que le nombre des pennes des ailes n’était point complet dans le sujet qui a été observé.

IV.L’hoamy de la Chine.

M. Brisson est le premier qui ait décrit cet oiseau[NdÉ 4], ou plutôt la femelle de cet oiseau[5]. Cette femelle est un peu moins grosse que le mauvis ; elle lui ressemble, ainsi qu’à la grive proprement dite, et bien plus encore à la grivette de Canada, en ce qu’elle a les pieds plus longs proportionnellement que les autres grives ; ils sont jaunâtres de même que le bec ; le dessus du corps est d’un brun tirant sur le roux, le dessous d’un roux clair, uniforme ; la tête et le cou sont rayés longitudinalement de brun ; la queue l’est aussi de la même couleur, mais transversalement.

Voilà à peu près ce qu’on dit de l’extérieur de cet oiseau étranger ; mais on ne nous apprend rien de ses mœurs et de ses habitudes. Si c’est en effet une grive, comme on le dit, il faut avouer cependant qu’elle n’a point de grivelures sur la poitrine, non plus que la rousserolle.

V.La grivelette de Saint-Domingue.

Cette grive[NdÉ 5] est voisine pour la petitesse de la grivette d’Amérique, et elle est encore plus petite ; elle a la tête ornée d’une espèce de couronne ou de calotte d’un orangé vif et presque rouge.

L’individu qu’a dessiné M. Edwards (pl. cclii) diffère du nôtre, en ce qu’il n’est point du tout grivelé sous le ventre : il avait été pris au mois de novembre 1751, sur mer, à huit ou dix lieues de l’île Saint-Domingue, ce qui donna l’idée à M. Edwards que c’était un de ces oiseaux de passage qui quittent chaque année le continent de l’Amérique septentrionale aux approches de l’hiver, et partent du cap de la Floride pour aller passer cette saison dans des climats plus doux. Cette conjecture a été justifiée par l’observation ; car M. Bartram a mandé ensuite à M. Edwards que ces oiseaux arrivaient en Pensylvanie au mois d’avril, et qu’ils y demeuraient tout l’été ; il ajoute que la femelle bâtit son nid à terre, ou plutôt dans des tas de feuilles sèches, où elle fait une espèce d’excavation en manière de four ; qu’elle le matelasse avec de l’herbe, qu’elle l’établit toujours sur le penchant d’une montagne, à l’exposition du midi, et qu’elle y pond cinq œufs blancs mouchetés de brun. Cette différence dans la couleur des œufs, dans celle du plumage, dans la manière de nicher, à terre et non sur les arbres, quoique les arbres ne manquent point, semble indiquer une nature fort différente de celle de nos grives d’Europe.

VI.Le petit merle huppé de la Chine[NdÉ 6].

Je place encore cet oiseau entre les grives et les merles, parce qu’il a le port et le fond des couleurs des grives sans en avoir les grivelures, que l’on regarde généralement comme le caractère distinctif de ce genre. Les plumes du sommet de la tête sont plus longues que les autres, et l’oiseau peut, en les relevant, s’en former une huppe. Il a une marque couleur de rose derrière l’œil ; il en a une plus considérable de même couleur, mais moins vive sous la queue, et ses pieds sont d’un brun rougeâtre ; en sorte que ce sera, si l’on veut, dans l’espèce des grives, le pendant du merle couleur de rose. Sa grosseur est à peu près celle de l’alouette, et les ailes, qui, déployées, lui font une envergure d’environ dix pouces, ne s’étendent guère, dans leur repos, qu’à la moitié de la queue. Cette queue est composée de douze pennes étagées. Le brun plus ou moins foncé est la couleur dominante du dessus du corps, compris les ailes, la huppe et la tête ; mais les quatre pennes latérales de chaque côté de la queue sont terminées de blanc ; le dessous du corps est de cette dernière couleur, avec quelques teintes de brun au-dessus de la poitrine : je ne dois point omettre deux traits noirâtres qui, partant des coins du bec, et se prolongeant en arrière sur un fond blanc, font à cet oiseau une espèce de moustache dont l’effet est marqué.


Notes de Buffon
  1. Thomas Shaw lui donne le nom de green thrush.
  2. Thomas Shaw’s Travels, p. 253.
  3. Nous avons vu plus haut que c’était la nourriture que les anciens recommandaient de donner aux grives qu’on voulait engraisser pour la table ; et nous verrons plus bas qu’elle rend la chair des merles plus délicate.
  4. C’est le red leg’d thrush ou la grive aux pieds rouges de Catesby (t. Ier, p. 30) et le turdus viscivorus plumbeus de Klein, Ordo Avium, gen. v, sp. xxii, enfin la quarantième grive de M. Brisson, t. II, p. 228.
  5. Voyez son Ornithologie, t. II, p. 221.
Notes de l’éditeur
  1. D’après Vieillot, cet oiseau ne serait qu’un Loriot femelle.
  2. Turdus plumbeus L. [Note de Wikisource : actuellement Turdus plumbeus Linnæus, vulgairement merle vantard].
  3. Turdus philippensis L. [Note de Wikisource : actuellement Hypsipetes philippinus Forster, vulgairement bulbul des Philippines ; il n’appartient pas à la famille des turdidés].
  4. Turdus sinensis L. [Note de Wikisource : actuellement Garrulax canorus Linnæus, vulgairement garrulax hoamy ; il n’appartient pas à la famille des turdidés].
  5. D’après Cuvier la Grivelette de Saint-Domingue de Buffon serait une Fauvette.
  6. Cuvier considère cet oiseau comme voisin des Pies-grièches. Il a reçu de Linné le nom de Turdus jocosus. [Note de Wikisource : On l’appelle actuellement Pycnonotus jocosus Linnæus, vulgairement bulbul orphée ; il n’est pas de la famille des turdidés. Les fauvettes, bulbuls et garrulax appartiennent à des familles très proches entre elles, mais très distinctes de celle des turdidés.]