Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/Oiseaux étrangers qui ont rapport à la grive proprement dite

OISEAUX ÉTRANGERS
QUI ONT RAPPORT À LA GRIVE PROPREMENT DITE

I.La grive de la Guyane.

La figure enluminée dit de ce petit oiseau[NdÉ 1] à peu près tout ce que nous en savons : on voit qu’il a la queue plus longue et les ailes plus courtes à proportion que la grive, mais ce sont presque les mêmes couleurs : seulement les mouchetures sont répandues jusque sur les dernières couvertures inférieures de la queue.

Comme la grive proprement dite fréquente les pays du Nord, et que d’ailleurs elle aime à changer de lieu, elle a pu très bien passer dans l’Amérique septentrionale et de là se répandre dans les parties du Midi, où elle aura éprouvé les altérations que doit produire le changement de climat et de nourriture.

II.La grivette d’Amérique[1].

Cette grive se trouve non seulement au Canada[NdÉ 2], mais encore dans la Pensylvanie, la Caroline, et jusqu’à la Jamaïque, avec cette différence qu’elle ne passe que l’été seulement en Pensylvanie, en Canada et autres pays septentrionaux où les hivers sont trop rudes, au lieu qu’elle passe l’année entière dans les contrées plus méridionales, comme la Jamaïque[2], et même la Caroline[3], et que dans cette dernière province elle choisit pour le lieu de sa retraite les bois les plus épais aux environs des marécages, tandis qu’à la Jamaïque, qui est un pays plus chaud, c’est toujours dans les bois qu’elle habite, mais dans les bois qui se trouvent sur les montagnes.

Les individus décrits ou représentés par les divers naturalistes diffèrent entre eux par la couleur des plumes, du bec et des pieds, ce qui donne lieu de croire (si tous ces individus appartiennent à la même espèce), que le plumage des grives d’Amérique n’est pas moins variable que celui de nos grives d’Europe, et qu’elles sortent toutes d’une souche commune. Cette conjecture est fortifiée par le grand nombre de rapports qu’a l’oiseau dont il s’agit ici avec nos grives et dans sa forme, et dans son port, et dans son habitude de voyager, et dans celle de se nourrir de baies, et dans la couleur jaune de ses parties intérieures, observée par M. Sloane, et dans les mouchetures de la poitrine ; mais il paraît avoir des rapports encore plus particuliers avec la grive proprement dite et le mauvis qu’avec les autres, et ce n’est qu’en comparant les traits de conformité que l’on peut déterminer à laquelle de ces deux espèces elle doit être spécialement rapportée.

Cet oiseau est plus petit qu’aucune de nos grives, comme sont en général tous les oiseaux d’Amérique relativement à ceux de l’ancien continent ; il ne chante point, non plus que le mauvis ; il a moins de mouchetures que le mauvis, qui en a moins qu’aucune de nos quatre espèces ; enfin sa chair est, comme celle du mauvis, un très bon manger. Tels sont les rapports de la grive de Canada avec notre mauvis ; mais elle en a davantage, et, à mon avis, de beaucoup plus décisifs, avec notre grive proprement dite, à laquelle elle ressemble par les barbes qu’elle a autour du bec, par une espèce de plaque jaunâtre qu’on lui voit sur la poitrine, par sa facilité à devenir sédentaire dans tout pays où elle trouve sa subsistance, par son cri assez semblable au cri d’hiver de la grive, et par conséquent fort peu agréable, comme sont ordinairement les cris de tous les oiseaux de ces contrées sauvages habitées par des sauvages ; et si l’on ajoute à tous ces rapports l’induction résultante de ce que la grive et non le mauvis se trouve en Suède[4], d’où elle aura pu facilement passer en Amérique, il semble qu’on sera en droit de conclure que la grive de Canada doit être rapportée à notre grive proprement dite.

Cette grive, qui, comme je l’ai dit, est passagère dans le nord de l’Amérique, arrive en Pensylvanie au mois d’avril ; elle y reste tout l’été, pendant lequel temps elle fait sa ponte et élève ses petits. Catesby nous apprend qu’on voit peu de ces grives à la Caroline, soit parce qu’il n’y en reste qu’une partie de celles qui y arrivent, ou parce que, comme on l’a vu plus haut, elles se tiennent cachées dans les bois ; elles se nourrissent de baies de houx, d’aubépine, etc.

Les sujets décrits par M. Sloane avaient les ouvertures des narines plus amples et les pieds plus longs que ceux décrits par Catesby et M. Brisson ; ils n’avaient pas non plus le même plumage ; et, si ces différences étaient permanentes, on serait fondé à les regarder comme les caractères d’une autre race, ou, si l’on veut, d’une variété constante dans l’espèce dont il s’agit ici.


Notes de Buffon
  1. C’est le mauvis de la Caroline de M. Brisson, t. II, p. 212. La petite grive d’Edwards, planche 296. La petite grive de Catesby, t. Ier, p. 31. Le Merula fusca de M. Hans Sloane, Jamaïca, t. II, p. 305. Je ne sais pourquoi plusieurs naturalistes ont confondu cette grive avec le tamatia de Marcgrave, p. 208, lequel, ayant le bec et la tête d’une grandeur disproportionnée et manquant absolument de queue, paraît être un oiseau tout différent des Grives.
  2. M. Sloane, qui parle des endroits où habite cette grive, ne dit point que ce soit un oiseau de passage, d’où l’on peut présumer qu’il ne la regardait point comme tel.
  3. Voyez Catesby, loco citato.
  4. M. Brisson prend pour le mauvis le Turdus alis subtus ferrugineis, etc., no 189 de la Fauna Suecica ; mais il paraît que c’est une méprise, puisque M. Linnæus le donne pour un oiseau qui chante très bien et pour le même que le Turdus viscivorus minor, que le Turdus simpliciter dictus de M. Ray, et que le Turdus musicus, lequel est la quatrième grive du Syst. nat., p. 169, et certainement notre grive proprement dite.
Notes de l’éditeur
  1. D’après Cuvier, la Grive de la Guyane des planches enluminées de Buffon serait la femelle du Tanagra dominica [Note de Wikisource : actuellement Dulus dominicus Linnæus, vulgairement esclave palmiste].
  2. C’est le Turdus minor de Gmelin [Note de Wikisource : probablement l’actuel Catharus ustulatus Nuttall, vulgairement grive à dos olive].