Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des oiseaux/Le bec-d’argent

Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome VI, Histoire naturelle des oiseauxp. 243-245).

LE BEC D’ARGENT[1]

Douzième espèce.

Nos colons de Cayenne ont donné à cet oiseau[NdÉ 1] le nom de bec-d’argent, que nous avons adopté parce qu’il exprime un caractère spécifique bien marqué, et qui consiste en ce que les bases de la mandibule inférieure du bec se prolongent jusque sous les yeux en s’arrondissant, et forment de chaque côté une plaque épaisse qui, lorsque l’oiseau est vivant, paraît être de l’argent le plus brillant ; cet éclat se ternit quand l’oiseau est mort. On a manqué ce caractère dans la représentation qu’on a faite de cet oiseau, planche enluminée no 128, fig. 1, sous la dénomination de tangara pourpré : apparemment l’on n’a pas cru qu’il fût général dans tous les individus ; il l’est néanmoins pour tous les mâles. La femelle, représentée sur la même planche, figure 2, est mieux à cet égard, parce que dans la nature son bec n’a qu’une légère trace presque insensible de ce renflement si apparent dans le mâle, et par conséquent elle n’a pas comme lui ces plaques de couleur argentée. Dans la planche 267 des Glanures d’Edwards, on voit une très bonne représentation de cet oiseau qu’il a donné sous le nom de merle à gorge rouge : il s’est trompé, comme l’on voit, sur le genre de cet oiseau ; mais il a très bien saisi le caractère singulier du renflement du bec : seulement la couleur argentée des plaques est beaucoup plus terne, parce qu’il n’a pas dessiné l’oiseau vivant, et que le brillant de ces parties s’était dissipé.

La longueur totale de cet oiseau est de six pouces et demi, celle du bec est de neuf lignes, et il est noir sur sa partie supérieure ; la tête, la gorge et l’estomac sont pourprés, et le reste du corps est noir avec quelques teintes de pourpre. L’iris des yeux est brun : la femelle diffère du mâle non seulement par la couleur du bec, mais encore par celles du plumage ; le dessus de son corps est brun avec quelques teintes d’un pourpre obscur, et le dessous rougeâtre ; la queue et les ailes sont brunes.

Un autre caractère distinctif du mâle, et qui n’avait pas encore été saisi, c’est une espèce de demi-collier autour de l’occiput, formé par de longs poils ou soies pourpres, qui débordent les plumes de près de trois lignes : c’est à M. Sonnini de Manoncour que nous devons cette nouvelle observation ; nous lui devons aussi la connaissance des habitudes naturelles de cet oiseau et des autres tangaras de la Guyane.

Le bec-d’argent est de tous les tangaras celui qui est le plus répandu dans l’île de Cayenne et à la Guyane : il y a apparence qu’il se trouve dans plusieurs climats chauds de l’Amérique, car Fernandez en parle comme d’un oiseau du Mexique, vers les montagnes de Tepuz-Cullula[2]. Il se nourrit de petits fruits ; il entame aussi les bananes, les goyaves et autres gros fruits tendres lorsqu’ils sont en maturité, et ne mange point d’insectes. Ces oiseaux fréquentent les lieux découverts, et ne fuient pas le voisinage des habitations ; on en voit jusque dans les jardins : cela n’empêche pas qu’ils ne soient assez communs dans les endroits déserts et même dans les clairières des forêts, car dans les plus épaisses, lorsque les vents ont abattu un certain nombre d’arbres, et que le soleil peut éclairer cet abattis et assainir le terrain, on ne manque pas d’y trouver quelques becs-d’argent, qui ne vont cependant pas en troupes, mais toujours par paires.

Leur nid est un cylindre un peu courbé qu’ils attachent entre les branches horizontalement, l’ouverture en bas, de manière que, de quelque côté que vienne la pluie, elle ne peut y entrer ; ce nid est long de plus de six pouces, et a quatre pouces et demi de largeur ; il est construit de paille et de feuilles de balisier desséchées, et le fond du nid est bien garni intérieurement de morceaux plus larges des mêmes feuilles. C’est sur les arbres peu élevés que l’oiseau attache ce nid ; la femelle y pond deux œufs elliptiques, blancs et chargés au gros bout de petites taches d’un rouge léger, qui se perdent en approchant de l’autre extrémité.

Quelques nomenclateurs ont donné à cet oiseau le nom de cardinal[3], mais c’est improprement, parce qu’il a été appliqué, par ces mêmes nomenclateurs, à plusieurs autres espèces D’autres ont cru qu’il y avait une variété assez apparente dans cette espèce : on voit, dans le Cabinet de M. Mauduit, un oiseau dont tout le plumage est d’un rose pâle varié de gris ; il nous a paru que cette différence n’est produite que par la mue, et que ce n’est point une variété dans l’espèce, qui, quoique très nombreuse en individus, nous paraît très constante dans tous ses caractères.


Notes de l’auteur
  1. Bec-d’Argent ; par les Mexicains, chichiltototl ; — par les Anglais, red breasted black bird. Edwards. — Par les habitants de Cayenne, bec-d’argent. — Chichiltototl tepazcullula. Fernandez, Hist. nov. Hisp., p. 51, cap. 189. — Red breasted black bird. Merle à gorge rouge. Edw., Glan., p. 120, avec une bonne figure coloriée, pl. 267. — « Tangara obscurè purpurea ; remigibus, rectricibus, cruribusque splendidè nigris (Mas). » — « Tangara supernè fusca, purpureo obscuro mixta, infernè rubescens ; remigibus, rectricibusque fuscis (Fœmina)… Cardinalis purpureus. » Brisson, Ornithol., t. III, p. 49. — « Passer Indicus capite et pectore vinaceo. » Gerini, Ornithol., no 279. — « Avis Americana cardinalis niger dicta brachyura capite et infernâ corporis parte vinaceâ. » Ornithol. Ital., Floren., 1771, p. 69, pl. 334. — Cardinal pourpre-foncé. Salerne, Ornithol., p. 271.
  2. Fernand., Hist. nov. Hisp., p. 51, cap. 189.
  3. MM. Brisson et Salerne.
Notes de l’éditeur
  1. Tanagra Jacapa L. [Note de Wikisource : actuellement Ramphocelus carbo Pallas, vulgairement tangara à bec d’argent].