Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des minéraux/Terre d’ombre

TERRE D’OMBRE

On peut regarder la terre d’ombre comme une terre bitumineuse, à laquelle le fer a donné une forte teinture de brun ; elle est plus légère que l’ocre, et devient blanche au feu, au lieu que l’ocre y prend ordinairement une couleur rougeâtre ; et c’est probablement parce que cette terre d’ombre ne contient pas, à beaucoup près, une aussi grande quantité de fer ; il paraît même que ce métal ne lui a donné que la couleur, qui quelquefois est d’un brun clair, et d’autres fois d’un brun presque noir : cette dernière porte dans le commerce le nom de terre de Cologne[1], parce qu’elle se trouve en assez grande quantité aux environs de cette ville, mais il y en a aussi dans d’autres provinces de l’Allemagne[2] ; et M. Monnet en a découvert en France[3], qui paraît être de la même nature et pourrait servir aux peintres, comme la terre de Cologne dont ils font grand usage.


Notes de Buffon
  1. Cette terre ne s’imbibe pas facilement d’eau ; elle est d’un brun presque noirâtre et répand une odeur bitumineuse, fétide et désagréable ; on la nomme communément terre de Cologne parce qu’elle nous vient de cette ville ; elle est fort utile aux teinturiers et aux peintres. Minéralogie de Bomare, t. 1er, p. 72.
  2. Le docteur Gustave-Casimir Gaherliep dit qu’étant descendu dans une caverne, près de la petite ville de Freyenwald, il y trouva deux espèces de terres différentes : l’une, qui ressemble parfaitement à la terre de Cologne dont se servent les peintres, répand, en brûlant, beaucoup de fumée, mais qui est sans odeur, et ses cendres sont blanches ; l’autre espèce de terre n’est pas fort différente de la première quant à la couleur, qui est cependant un peu moins noire et qui tire sur le rougeâtre ; mais elle est plus légère et plus friable, et se réduit en poussière lorsqu’elle est sèche ; elle s’enflamme très facilement, et, lorsqu’on la brûle à l’air libre, elle se convertit en cendres en partie jaunâtres et en partie rougeâtres, en répandant beaucoup de fumée ; la première a au contraire plus de densité et de consistance et se lève en plus grosses mottes ; nous observâmes encore que la terre de la seconde espèce ne s’éteignait point lorsqu’elle avait commencé de brûler, et qu’elle exhalait une odeur qui approchait beaucoup de celle du charbon de terre ou du jais enflammés… J’ai tiré de cette terre une assez grande quantité de liqueur spiritueuse ou de gaz incoercible qui s’enflammait lorsque j’approchais une chandelle allumée des jointures lutées des vaisseaux, et dont la flamme, qui était d’un bleu clair, ne sentait point le soufre, mais plutôt le succin ; j’en tirai aussi un peu d’esprit d’une odeur forte, d’une couleur rougeâtre, et un peu d’huile volatile aussi pénétrante que celle de pétrole : il s’est de plus élevé beaucoup de fleurs qui ressemblaient par leur couleur à celles du soufre, mais qui furent dissoutes par l’huile épaisse qui monta ensuite. Collection académique, partie étrangère, t. VI, p. 345 et suiv.
  3. « Dans une de mes courses lithologiques, dit M. Monnet, je découvris près du hameau appelé la Curée, dans la paroisse de Mandagout, une mine de terre d’ombre, nom qu’on lui donne dans le commerce. Cette terre est fort en usage dans la peinture pour les bâtiments, je veux dire, pour peindre les portes, les murs, etc., soit en détrempe, soit à l’huile, et leur donner une couleur brune tirant quelquefois sur le jaune. Cette mine se trouve auprès d’une petite rivière, dans une châtaigneraie ; elle n’a qu’un demi-pied d’épaisseur et que trois ou quatre pieds de bonne terre au-dessus. La partie de cette mine, qui est à découvert au bas d’un ravin, s’étend horizontalement à plusieurs toises : cette terre d’ombre est d’une couleur brune tirant sur le jaune ; elle est pesante, prenant un peu à la langue quand on la goûte, sans donner cependant aucune marque de stypticité, et toujours humide comme la boue épaisse ; j’en fis tirer quelques quintaux, elle s’est vendue chez l’épicier sans difficulté : j’en ai moi-même employé beaucoup aux portes de ma maison, à l’huile de noix cuite et en détrempe, l’ayant auparavant fait passer par un tamis de soie.

    » J’ai reconnu, par les épreuves chimiques, que cette terre d’ombre n’est uniquement que du fer dépouillé de son phlogistique : la pierre d’aimant présentée au-dessus n’en attire aucune parcelle ; elle ne fait aucune effervescence avec les acides ; exposée à l’action du feu dans un creuset d’essai couvert, avec parties égales de flux noir et de corne de cerf râpée, j’en ai retiré du fer pur : cette terre ressemble assez bien par la couleur au safran de mars des boutiques, qu’on prépare en exposant la limaille de fer à la rosée, ou en l’humectant avec de l’eau de pluie…

    » Cette terre d’ombre pourrait être placée avec les ocres ; j’y trouve seulement cette différence, que les véritables ocres sont toutes d’un jaune tirant sur le rouge, et la terre d’ombre dont je parle ici n’est pas fort colorée : l’eau, par le concours de l’air, peut lui donner cette nuance de couleur ; mais je puis assurer que je n’ai jamais obtenu un beau safran de mars bien jaune ou d’un beau rouge sanguin, qu’il n’ait été l’ouvrage de la calcination dans les vaisseaux ouverts ou fermés : les terres d’ombre, les ocres, n’étant que des chaux ferrugineuses dépouillées de phlogistique, ont une parfaite identité avec le safran de mars ; je pense que celles qui sont extrêmement colorées en jaune et en rouge pourraient être l’ouvrage de quelque feu souterrain, et non les autres, comme celle dont j’ai parlé, qui n’est assurément pas l’ouvrage du feu. » Mémoires de l’Académie des sciences, année 1768, p. 547 et 548.