Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des minéraux/Pouzzolane

POUZZOLANE

Personne n’a fait autant de recherches que M. Faujas de Saint-Fond sur les pouzzolanes[1] : on ne connaissait avant lui, ou du moins on ne faisait usage que de celles d’Italie, et il a trouvé dans les anciens volcans du Vivarais des pouzzolanes de la même nature et qui ont à peu près les mêmes qualités que celles de l’Italie ; on doit même présumer qu’on en trouvera de semblables aux environs de la plupart des volcans agissants ou éteints ; car ce n’est pas seulement à Pouzzoles, d’où lui vient son nom, qu’il y a de la pouzzolane, puisqu’il s’en trouve dans presque tous les terrains volcanisés de Sicile, de Naples et de la campagne de Rome. Ce produit des feux souterrains peut se trouver dans toutes les régions où les volcans agissent ou ont agi, car on connaît assez anciennement les pouzzolanes de l’Amérique méridionale ; celles de la Guadeloupe et de la Martinique ont été reconnues en 1696[2] ; mais c’est à M. Ozi de Clermont-Ferrand, et ensuite à MM. Guettard, Desmarets et Pasumot qu’on doit la connaissance de celles qui se trouvent en Auvergne, et enfin à M. Faujas de Saint-Fond la découverte et l’usage de celles du Velay et du Vivarais, découverte d’autant plus intéressante que ces pouzzolanes du Vivarais, pouvant être conduites par le Rhône jusqu’à la mer, pourront sinon remplacer, du moins suppléer à celles que l’on tire d’Italie, pour toutes les constructions maritimes et autres qu’on veut défendre contre l’action des éléments humides.

Les pouzzolanes ne sont cependant pas absolument les mêmes dans tous les lieux, elles varient tant par la qualité que par la couleur ; il s’en trouve de la rouge et de la grise en Vivarais, et celle-ci fait un mortier plus dur et plus durable que celui de la première.

Toutes les pouzzolanes proviennent également de la première décomposition des laves et basaltes qui, comme nous l’avons dit, se réduisent ultérieurement en terre argileuse, ainsi que toutes les autres matières vitreuses, par la longue impression des éléments humides ; mais, avant d’arriver à ce dernier degré de décomposition, les basaltes et les laves, qui toujours contiennent une assez grande quantité de fer pour être attirables à l’aimant, se brisent en poudre vitreuse mêlée de particules ferrugineuses, et la pouzzolane n’est autre chose que cette poudre : elle est d’autant meilleure pour faire des ciments que le fer y est en plus grande quantité, et que les parties vitreuses sont plus éloignées de l’état argileux.

Ainsi la pouzzolane n’est qu’une espèce de verre ferrugineux réduit en poudre ; il est très possible de composer une matière de même nature en broyant et pulvérisant les crasses qui s’écoulent du foyer des affineries où l’on traite le fer : j’ai souvent employé ce ciment ferrugineux avec succès, et je le crois équivalent à la meilleure pouzzolane ; mais il est vrai qu’il serait difficile de s’en procurer une quantité suffisante pour faire de grandes constructions. Les Hollandais composent une sorte de pouzzolane qu’ils nomment tras, en broyant des laves de volcans sous les pilons d’un bocard : la poudre qui en provient est tamisée au moyen d’un crible qui est mis en mouvement par l’élévation des pilons, et le tras tombe dans de grandes caisses pratiquées au-dessous de l’entablement des pilons : ils s’en servent avec succès dans leurs constructions maritimes.


Notes de Buffon
  1. La pouzzolane est un ciment naturel formé par les scories et par les laves des volcans… Les Romains s’en sont beaucoup servis pour les aqueducs, pour les conserves d’eau, et généralement pour tous les ouvrages exposés à une humidité habituelle. La pouzzolane, mêlée dans les proportions requises avec de la bonne chaux, prend corps dans l’eau, et y forme un mortier si adhérent et si intimement lié, qu’il peut braver impunément l’action des flots, sans éprouver la moindre altération.

    Il y a plusieurs variétés dans la pouzzolane :

    1o La pouzzolane graveleuse, compacte, pouzzolane basaltique ; la lave compacte, le basalte, réduits en petits éclats, en fragments graveleux, soit par la nature, soit par l’art, en les pulvérisant à l’aide de moulins, semblables à ceux dont les Hollandais font usage pour piler une lave plus tendre, connue sous le nom de tras ou pierre d’andernoch, peuvent fournir une pouzzolane excellente et propre à être employée dans l’eau et hors de l’eau ;

    2o Pouzzolane poreuse formée par des laves spongieuses, friables, réduites en poussière ou en petits grains irréguliers. C’est la pouzzolane ordinaire, si abondante dans les environs de Baies, de Pouzzoles, de Naples, de Rome, et dans plusieurs parties du Vivarais, etc. ; le principe ferrugineux de ces laves, ayant éprouvé différentes modifications, a produit des variétés dans les couleurs de cette terre volcanique ; il en existe de la rouge, de la noire, de la rougeâtre, de la grise, de la brune, de la violâtre, etc… Toutes étant mélangées avec la chaux ont la propriété d’acquérir une grande dureté dans l’eau. Cette pouzzolane poreuse se trouve ordinairement en grands massifs, disposés quelquefois en manière de courants, dans le voisinage des cratères ou de certaines bouches à feu moins considérables : l’on en voit qui est naturellement réduite en poussière, mais il s’en présente le plus souvent en grandes masses scorifiées qui ont une certaine adhérence, et que l’on est obligé de rompre avec des marteaux… Il faut chercher ces pouzzolanes dans les parties où sont les laves poreuses, c’est-à-dire dans le voisinage des volcans ;

    3o Pouzzolane argileuse, rougeâtre, ou d’un rouge vif ou d’un gris jaunâtre, affectant même souvent d’autres couleurs, d’une pâte serrée et compacte, mais tendre et terreuse, renfermant souvent des grains ou de petits cristaux de schorl noir intact ; quelquefois de chrysolithe volcanique friable.

    Cette pouzzolane, quoique happant la langue, et ressemblant à une espèce de bol ou d’argile, est admirable pour la construction ou le revêtement des bassins, et, en général, pour tous les ouvrages continuellement exposés à l’eau. Cette pouzzolane n’est point une argile, quoiqu’elle lui ressemble, mais c’est un vrai détriment des basaltes et des laves car on y trouve souvent des morceaux qui sont moitié basalte et moitié lave argileuse ; elle contient un peu de fer en état métallique, car elle fait mouvoir l’aiguille aimantée… On en exploite une très riche mine dans le Vivarais ;

    4o Pouzzolane mélangée d’un grand nombre de matières volcaniques, et d’une certaine quantité de substances calcaires, qui, loin d’en diminuer la bonté, la rendent, au contraire, plus propre à former un ciment des plus solides, qui fait une forte prise dans l’eau, et qui résiste très bien à toutes les intempéries de l’air lorsqu’on l’emploie dans la construction des terrasses ;

    5o Pouzzolane dont l’origine est due à de véritables pierres ponces, réduites en poussière ou en fragments. Le ciment fait par cette matière est excellent, surtout lorsqu’elle est réduite en fragments plutôt qu’en poussière. Cette variété est rare dans les volcans éteints de la France, elle est plus commune dans ceux de l’Italie et de la Sicile, aux îles de Lipari et de Volcano. Minéralogie des volcans, par M. Faujas de Saint-Fond, in-8o, chap. xviii, p. 359 et suiv.

  2. Je ne connaissais point la pouzzolane la première fois que j’allai à la Guadeloupe, en 1696, et je ne pensais seulement pas que le ciment ou terre rouge, que l’on trouve en quelques lieux de cette île, fût cette pouzzolane dont on fait tant de cas en Europe ; j’en avais fait employer à quelques réparations que j’avais fait faire au canal de notre moulin, et j’avais admiré sa bonté ; mais ayant fait venir de France quelques livres, et entre autres Vitruve, commenté par M. Perrault, je connus, par la description qu’il fait de la pouzzolane d’Italie, que ce qu’on appelait ciment ou terre rouge à la Guadeloupe était la véritable pouzzolane… On la trouve pour l’ordinaire aux îles, par veines d’un pied et demi à deux pieds d’épaisseur, après quoi on rencontre de la terre franche, épaisse d’environ un pied, et ensuite une autre épaisseur de ciment ou pouzzolane ; nous en avons en deux ou trois endroits de notre habitation : il y en a encore auprès du bourg de la Basse-Terre, et en beaucoup d’autres lieux ; et, si on voulait se donner la peine de chercher, on en trouverait encore davantage.

    La première expérience que je fis, pour m’assurer de la vérité, fut d’en faire du mortier tiercé, dont je fis une masse de sept à huit pouces en carré, que je mis dans une cuve que je fis remplir d’eau douce, de manière que l’eau la surpassait de sept à huit pouces ; cette masse, bien loin de se dissoudre, fit corps, se sécha, et en moins de trois fois vingt-quatre heures, elle devint dure comme une pierre : je fis la même chose dans l’eau salée avec le même succès ; enfin, une troisième expérience que je fis fut de mêler des pierres de différentes espèces dans ce mortier, d’en faire un cube, et de mettre le tout dans l’eau ; elles firent un corps très bon, qui sécha à merveille, et qu’on ne pouvait rompre deux ou trois jours après qu’à force de marteau.

    J’en ai découvert une veine assez considérable au mouillage de la Martinique, au-dessous et un peu à côté de la batterie de Saint-Nicolas : la couleur était un peu plus claire et le grain plus fin ; pour tout le reste, c’était la même chose. J’en ai employé une quantité considérable, après m’être assuré de sa qualité par les mêmes épreuves que j’avais employées pour connaître celle de la Guadeloupe. Nouveaux voyages aux îles de l’Amérique ; Paris, 1722, t. V, p. 386 et suiv.