Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des minéraux/Pierre arménienne

PIERRE ARMÉNIENNE

Je mets la pierre arménienne[NdÉ 1] au nombre des concrétions du cuivre, et je la sépare du lapis-lazuli, auquel elle ne ressemble que par la couleur ; on l’a nommée pierre arménienne, parce qu’elle nous venait autrefois d’Arménie ; mais on en a trouvé en Allemagne et dans plusieurs autres contrées de l’Europe : elle n’est pas aussi dure que le lapis, et sa couleur bleue est mêlée de verdâtre, et quelquefois tachée de rouge. La pierre arménienne se trouve dans les mines de cuivre[1], et a reçu sa teinture par ce métal, tandis que le lapis-lazuli a été teint par le fer.

La pierre arménienne diffère encore du lapis-lazuli en ce qu’elle est d’une couleur bleue moins intense, moins décidée et moins fixe ; car cette couleur s’évanouit au feu, tandis que celle du lapis n’en souffre aucune altération : aussi c’est avec le lapis qu’on fait le beau bleu d’outremer qui entre dans les émaux ; et c’est de la pierre arménienne qu’on fait l’azur ordinaire des peintres qui perd peu à peu sa couleur et devient vert en assez peu de temps.

Dans la pierre arménienne, le grain n’est pas, à beaucoup près, aussi fin que dans le lapis, et elle ne peut recevoir un aussi beau poli ; elle entre en fusion sans intermède, et résiste beaucoup moins que le lapis à l’action du feu ; elle y perd sa couleur, même avant de se fondre, enfin on peut en tirer une certaine quantité de cuivre : ainsi cette pierre arménienne doit être mise au nombre des mines de ce métal[2], et même on trouve quelquefois de la malachite et de la pierre arménienne dans le même morceau[3] ; cette pierre n’est donc pas de la nature du jaspe, comme l’a dit un de nos savants chimistes[4], puisqu’elle est beaucoup moins dure qu’aucun jaspe, et même moins que le lapis-lazuli ; et, comme elle entre en fusion d’elle-même, je crois qu’on doit la mettre au nombre des concrétions de cuivre mêlées de parties vitreuses et de parties calcaires et formées par l’intermède de l’eau.

Au reste, les concrétions les plus riches du cuivre se présentent quelquefois, comme celles de l’argent, en ramifications, en végétations et en filets déliés et de métal pur ; mais, comme le cuivre est plus susceptible d’altération que l’argent, ces mines en filets et en cheveux sont bien plus rares que celles de l’argent et ont la même forme.


Notes de Buffon
  1. M. Hill se trompe sur la nature du vrai lapis qu’il regarde, ainsi que la pierre arménienne, comme des mines de cuivre, et il paraît même les confondre dans la description qu’il en donne : « Le lapis-lazuli d’Allemagne se trouve, dit-il, non seulement dans ce royaume, mais aussi en Espagne, en Italie, dans les mines de différents métaux, et particulièrement dans celles de cuivre ; la couleur qu’on en tire est sujette à changer par plusieurs accidents, et par la suite des temps elle devient verte : quel que soit l’endroit où cette pierre se trouve, elle a toujours la même figure et la même apparence, excepté que l’orientale est plus dure que les autres espèces ; elle est toujours composée de trois substances qui se trouvent quelquefois mêlées à une quatrième, laquelle est une espèce de marcassite d’un jaune brillant, qui se sublime durant la calcination, laissant une odeur de soufre comme celle des pyrites. Les trois autres substances, dont elle est constamment composée, sont de beaux spaths cristallins et durs, souillés de particules de cuivre qui leur donnent une belle couleur bleue foncée : ce sont donc ces spaths qui en font la base, et qui sont comme marbrés ou mélangés d’une matière cristalline blanche et d’un talc jaune foliacé, mais les écailles en sont si petites que le tout paraît en forme de poudre. » Hill, p. 111.
  2. On ne remarque dans la pierre arménienne aucune particule de pyrite ni d’or ; on la vend quelquefois pour du vrai lapis : cependant elle en diffère en ce qu’elle se calcine au feu, qu’elle y entre facilement en fusion, et que sa couleur s’y détruit ; la poudre bleue qu’on en retire est encore bien inférieure en beauté et en dureté à l’outremer, mais elle est la pierre colorée en bleu dont on retire le plus abondamment du cuivre et de la meilleure espèce, en ce qu’elle est pour ainsi dire privée de fer, d’arsenic et de soufre. C’est avec cette pierre qu’on fait le bleu de montagne artificiel des boutiques.

    On s’en sert aussi en peinture et en teinture, après qu’elle a été préparée sous le nom de cendre verte, pour suppléer aux vraies ocres bleues de montagne. Sa préparation se fait comme celle de l’outremer. Minéralogie de Bomare, t. Ier, p. 282 et suiv.

  3. La pierre arménienne est de couleur de bleu céleste, bien unie, friable néanmoins, ce qui la distingue du lazuli ; elle n’a point de taches d’or et perd sa couleur au feu, et sa couleur bleue tire un peu sur le vert ; elle n’a pas la dureté du lazuli, et même sa substance paraît être grenue comme du sable : elle ressemble à la chrysocolle, elle a seulement un peu plus de couleur, et on les trouve souvent ensemble, et l’un voit souvent de l’une et de l’autre dans le même morceau. On la trouve en différentes contrées, comme dans le Tyrol et autres lieux où se trouvent des mines de cuivre, d’argent, etc., et aussi en Hongrie, en Transylvanie, etc. ; quelquefois on trouve de la malachite et de la pierre arménienne dans le même morceau. Pour faire durer la couleur que l’on tire de la pierre arménienne, les peintres ne se servent pas de l’huile de lin, mais de pétrole ; et, lorsque sa couleur est belle et semblable à celle de l’outremer, l’once ne se vend cependant qu’un demi-thaler ou un thaler. Boëce de Boot, p. 294 et 295. (Voyez, pour la manière de tirer la couleur de cette pierre, le même auteur, p. 296.)
  4. La pierre arménienne est un jaspe dont la couleur bleue, souvent mêlée de taches vertes et blanches, est l’effet de l’azur de cuivre, plus ou moins altéré, qui s’y trouve interposé ; outre que la couleur bleue de ce jaspe est rarement aussi belle que celle du lapis-lazuli, les taches vertes dont elle est mêlée, et que l’azur de cuivre produit en passant à l’état de malachite, suffisent pour empêcher de confondre ces deux pierres : quant aux taches blanches, elles indiquent les parties de ce quartz où la matière colorante ne s’est point insinuée. Lettres de M. Demeste, t. Ier, p. 462.
Notes de l’éditeur
  1. C’est un carbonate de cuivre.