Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des minéraux/Perles

PERLES

On peut regarder les perles comme le produit le plus immédiat de la substance coquilleuse, c’est-à-dire de la matière calcaire dans son état primitif ; car cette matière calcaire ayant été formée originairement par le filtre organisé des animaux à coquille, on peut mettre les perles au rang des concrétions calcaires, puisqu’elles sont également produites par une sécrétion particulière d’une substance dont l’essence est la même que celle de la coquille, et qui n’en diffère en effet que par la texture et l’arrangement des parties constituantes. Les perles, comme les coquilles, se dissolvent dans les acides ; elles peuvent également se réduire en chaux qui bouillonne avec l’eau ; elles ont à très peu près la même densité, la même dureté, le même orient que la nacre intérieure et polie des coquilles à laquelle elles adhèrent souvent. Leur production paraît être accidentelle ; la plupart sont composées de couches concentriques autour d’un très petit noyau qui leur sert de centre et qui souvent est d’une substance différente de celle des couches[1] ; cependant, il s’en faut bien qu’elles prennent toutes une forme régulière : les plus parfaites sont sphériques, mais le plus grand nombre, surtout quand elles sont un peu grosses, se présente en forme un peu aplatie d’un côté et plus convexe de l’autre, ou en ovale assez irrégulier ; il y a même des perles longues, et leur formation, qui dépend en général de l’extravasation du suc coquilleux, dépend souvent d’une cause extérieure que M. Faujas de Saint-Fond a très bien observée, et que l’on peut démontrer aux yeux dans plusieurs coquilles du genre des huîtres. Voici la note que ce savant naturaliste a bien voulu me communiquer sur ce sujet :

« Deux sortes d’ennemis attaquent les coquilles à perles : l’un est un ver à tarière d’une très petite espèce, qui pénètre dans la coquille par les bords en ouvrant une petite tranchée longitudinale entre les diverses couches ou lames qui composent la coquille ; et cette tranchée, après s’être prolongée à un pouce et quelquefois jusqu’à dix-huit lignes de longueur, se replie sur elle-même et forme une seconde ligne parallèle qui n’est séparée de la première que par une cloison très mince de matière coquilleuse : cette cloison sépare les deux tranchées dans lesquelles le ver a fait sa route en allant et revenant, et on en voit l’entrée et la sortie au bord de la coquille. On peut insinuer de longues épingles dans chacun de ces orifices, et la position parallèle de ces épingles démontre que les deux tranchées faites par le ver sont également parallèles ; il y a seulement au bout de ces tranchées une petite portion circulaire qui forme le pli dans lequel le ver a commencé à changer de route pour retourner vers les bords de la coquille. Comme ces petits chemins couverts sont pratiqués dans la partie la plus voisine du têt intérieur, il se forme bientôt un épanchement du suc nacré qui produit une protubérance dans cette partie : cette espèce de saillie peut être regardée comme une perle longitudinale adhérente à la nacre ; et lorsque plusieurs de ces vers travaillent à côté les uns des autres, et qu’ils se réunissent à peu près au même endroit, il en résulte une espèce de loupe nacrée avec des protubérances irrégulières. Il existe au Cabinet du Roi une de ces loupes de perle : on y distingue plusieurs issues qui ont servi de passage à ces vers.

» Un autre animal beaucoup plus gros, et qui est de la classe des coquillages multivalves, attaque avec beaucoup plus de dommage les coquilles à perles : celui-ci est une pholade de l’espèce des dattes de mer. Je possède dans mon Cabinet une huître de la côte de Guinée, percée par ces pholades qui existent encore en nature dans le talon de la coquille : ces pholades ont leur charnière formée en bec croisé.

» La pholade perçant quelquefois la coquille en entier, la matière de la nacre s’épanche dans l’ouverture et y forme un noyau plus ou moins arrondi, qui sert à boucher le trou ; quelquefois le noyau est adhérent, d’autres fois il est détaché.

» J’ai fait pêcher moi-même, au mois d’octobre 1784, dans le lac Tay, situé à l’extrémité de l’Écosse, un grand nombre de moules d’eau douce dans lesquelles on trouve souvent de belles perles ; et en ouvrant toutes celles qui avaient la coquille percée, je ne les ai jamais trouvées sans perles, tandis que celles qui étaient saines n’en avaient aucune ; mais je n’ai jamais pu trouver des restes de l’animal qui attaque les moules du lac Tay pour pouvoir déterminer à quelle classe il appartient.

» Cette observation, qui a été faite probablement par d’autres que par moi, a donné peut-être l’idée à quelques personnes qui s’occupent de la pêche des perles de percer les coquilles pour y produire des perles ; car j’ai vu, au Muséum de Londres, des coquilles avec des perles, percées par un petit fil de laiton rivé à l’extérieur, qui pénétrait jusqu’à la nacre dans des parties sur lesquelles il s’est formé des perles. » On voit, par cette observation de M. Faujas de Saint-Fond et par une note que M. Broussonnet, professeur à l’École vétérinaire, a bien voulu me donner sur ce sujet[2], qu’il doit se former des perles dans les coquilles nacrées lorsqu’elles sont percées par des vers ou coquillages à tarière, et il se peut qu’en général la production des perles tienne autant à cette cause extérieure qu’à la surabondance et l’extravasation du suc coquilleux qui sans doute est fort rare dans le corps du coquillage ; en sorte que la comparaison des perles aux bézoards des animaux n’a peut-être de rapport qu’à la texture de ces deux substances, et point du tout à la cause de leur formation.

La couleur des perles varie autant que leur figure ; et dans les perles blanches, qui sont les plus belles de toutes, le reflet apparent qu’on appelle l’eau ou l’orient de la perle est plus ou moins brillant et ne luit pas également sur leur surface entière.

Et cette belle production, qu’on pourrait prendre pour un écart de la nature, est non seulement accidentelle, mais très particulière ; car, dans la multitude d’espèces d’animaux à coquilles, on n’en connaît que quatre, les huîtres, les moules, les patelles et les oreilles de mer qui produisent des perles[3], et encore n’y a-t-il ordinairement que les grands individus qui, dans ces espèces, nous offrent cette production. On doit même distinguer deux sortes de perles en histoire naturelle, comme on les a séparées dans le commerce où les perles de moules n’ont aucune valeur en comparaison des perles d’huîtres : celles des moules sont communément plus grosses, mais presque toujours défectueuses, sans orient, brunes ou rougeâtres, et de couleurs ternes ou brouillées. Ces moules habitent les eaux douces et produisent des perles dans les étangs et les rivières[4], sous tous les climats chauds, tempérés ou froids[5]. Les huîtres, les patelles et les oreilles de mer, au contraire, ne produisent des perles que dans les climats les plus chauds ; car dans la Méditerranée, qui nourrit de très grandes huîtres, non plus que dans les autres mers tempérées et froides, ces coquillages ne forment point de perles. La production des perles a donc besoin d’une dose de chaleur de plus ; elles se trouvent très abondamment dans les mers chaudes du Japon[6], où certaines patelles produisent de très belles perles. Les oreilles de mer, qui ne se trouvent que dans les mers des climats méridionaux, en fournissent aussi ; mais les huîtres sont l’espèce qui en fournit le plus.

On en trouve aux îles Philippines[7], à celle de Ceylan[8], et surtout dans les îles du golfe Persique[9]. La mer qui baigne les côtes de l’Arabie du côté de Moka en fournit aussi[10] ; et la baie du cap Comorin, dans la presqu’île occidentale de l’Inde, est l’endroit de la terre le plus fameux pour la recherche et l’abondance des belles perles[11]. Les Orientaux et les commerçants d’Europe ont établi en plusieurs endroits de l’Inde des troupes de pêcheurs, ou, pour mieux dire, de petites compagnies de plongeurs qui, chargés d’une grosse pierre, se laissent aller au fond de la mer pour en détacher les coquillages au hasard et les rapporter à ceux qui les payent assez pour leur faire courir le risque de leur vie[12]. Les perles que l’on tire des mers chaudes de l’Asie méridionale sont les plus belles et les plus précieuses, et probablement les espèces de coquillages qui les produisent ne se trouvent que dans ces mers, ou, s’ils se trouvent ailleurs dans des climats moins chauds, ils n’ont pas la même faculté et n’y produisent rien de semblable ; et c’est peut-être parce que les vers à tarière qui percent ces coquilles n’existent pas dans les mers froides ou tempérées.

On trouve aussi d’assez belles perles dans les mers qui baignent les terres les plus chaudes de l’Amérique méridionale, et surtout près des côtes de Californie, du Pérou et de Panama[13] ; mais elles sont moins parfaites et moins estimées que les perles orientales. Enfin, on en a rencontré autour des îles de la mer du Sud[14], et ce qui a paru digne de remarque, c’est qu’en général les vraies et belles perles ne sont produites que dans les climats chauds, autour des îles et près des continents, et toujours à une médiocre profondeur ; ce qui semblerait indiquer qu’indépendamment de la chaleur du globe, celle du soleil serait nécessaire à cette production, comme à celle de toutes les autres pierres précieuses. Mais peut-être ne doit-on l’attribuer qu’à l’existence des vers qui percent les coquilles, dont les espèces ne se trouvent probablement que dans les mers chaudes, et point du tout dans les régions froides et tempérées : il faudrait donc un plus grand nombre d’observations pour prononcer sur les causes de cette belle production, qui peuvent dépendre de plusieurs accidents dont les effets n’ont pas été assez soigneusement observés.


Notes de Buffon
  1. Les perles sont une concrétion contre nature, produite par la surabondance de l’humeur destinée à la formation de la coquille et à la nutrition de l’animal qu’elle contient, qui, après avoir été stagnante dans quelque partie, acquiert de la dureté avec le temps, et augmente en volume par des couches successives, comme les bézoards des animaux : souvent dans le centre des perles, comme dans le centre des bézoards, on trouve une matière d’un autre genre qui sert de point d’appui et de noyau aux couches concentriques dont elles sont formées. Collection académique, partie étrangère, t. III, pag. 593 et suiv. — La seule différence qui se trouve entre les lames dont sont composées les perles, et celles dont sont composées les petites couches de la nacre, c’est que les premières sont presque planes, et les autres courbes et concentriques ; car une perle que j’ouvris chez le grand-duc de Toscane (dit Stenon), et qui était blanche à l’extérieur, contenait intérieurement un petit corps noir de même couleur et de même volume qu’un grain de poivre ; on y reconnaissait évidemment la situation des petits filets composants, leurs circonvolutions sphériques, leurs différentes couches concentriques formées par ces circonvolutions, et la direction de l’une de leurs extrémités vers le centre… Certaines perles inégales ne le sont que parce que c’est un groupe de petites perles renfermées sous une enveloppe commune… Un grand nombre de perles jaunes à la surface le sont encore dans tous les points de leur substance ; par conséquent, ce vice de couleur doit être attribué à l’altération des humeurs de l’animal, et ne peut être enlevé que lorsque les perles ne sont jaunes que pour avoir été longtemps portées, ou lorsque les couches intérieures ont été formées avant que les humeurs de l’animal s’altérassent, et pussent altérer la couleur des perles. De tout cela l’auteur conclut à l’impossibilité de faire des perles artificielles qui égalent l’éclat des naturelles, parce que cet éclat dépend de leur structure qui est trop compliquée pour être imitée par l’art. Idem, t. IV, p. 406.
  2. On voit à Londres des coquilles fluviatiles apportées de la Chine, sur lesquelles on voit des perles de différentes grosseurs ; elles sont formées sur un morceau de fil de cuivre avec lequel on a percé la coquille, et qui est rivé en dehors. On ne trouve ordinairement qu’un seul morceau de fil de cuivre dans une coquille ; on en voit rarement deux dans la même. On racle une petite plaque de la face interne des coquilles fluviatiles vivantes, en ayant soin de les ouvrir avec la plus grande attention, pour ne point endommager l’animal : on place, sur l’endroit de la nacre qu’on a raclée, un très petit morceau sphérique de nacre ; cette petite boule, grosse comme du plomb à tirer, sert de noyau à la perle. On croit qu’on a fait des expériences à ce sujet en Finlande : et il paraît qu’elles ont été répétées avec succès en Angleterre. Note communiquée par M. Broussonnet à M. de Buffon, 20 avril 1785.
  3. Marc-Paul et d’autres voyageurs assurent qu’on trouve au Japon des perles rouges de figure ronde. Kæmpfer décrit cette coquille que les Japonais nomment awabi ; elle est d’une seule pièce presque ovale, assez profonde, ouverte d’un côté, par lequel elle s’attache aux rochers et au fond de la mer, ornée d’un rang de trous qui deviennent plus grands à mesure qu’ils s’approchent de sa plus grande largeur. La surface extérieure est rude et gluante ; il s’y attache souvent des coraux, des plantes de mer et d’autres coquilles : elle renferme une excellente nacre, brillante, d’où il s’élève quelquefois des excroissances de perles blanchâtres, comme dans les coquilles ordinaires de Perse. Cependant une grosse masse de chair, qui remplit sa cavité, est le principal attrait qui la fasse rechercher des pêcheurs : ils ont des instruments faits exprès pour la déraciner des rochers. Histoire générale des Voyages ; Paris, 1749, t. IV, p. 322 et suiv.
  4. Dans l’intérieur de la coquille de quelques grandes moules d’eau douce, qu’on nomme communément moules d’étang, il s’est trouvé plusieurs petites perles de différentes grosseurs ; il y en avait même une assez grosse ; mais celle-ci avait pour noyau une petite pierre recouverte par une couche de nacre. On sait que les perles ne sont qu’une espèce d’extravasation du suc destiné à former la nacre, et qui est vraisemblablement causée par une maladie de l’animal ; quelques Asiatiques, voisins des pêcheries de perles, ont l’adresse d’insérer dans les coquilles des huîtres à perles de petits ouvrages qui se revêtissent, avec le temps, de la matière qui forme les perles. Les moules en question, qui ont une espèce de nacre, peuvent être sujettes à quelques maladies semblables ; et, puisqu’une petite pierre s’était incrustée dans une moule, pourquoi ne tenterait-on pas de se procurer de petits ouvrages incrustés de même ? Ces moules avaient été pêchées dans les fossés du château de Maulette près de Houdan. Académie des sciences, année 1769. Observation de physique générale, p. 23.
  5. La rivière de Vologne sort du lac de Longemer, situé dans les montagnes des Vosges ; cette rivière nourrit des moules depuis le village de Jussarupt jusqu’à son embouchure dans la Moselle ; cet espace peut être de quatre à cinq lieues de longueur ; quelques endroits de cet espace sont si abondants en moules que le fond de la rivière semble en être pavé ; leur longueur est de quatre pouces sur deux pouces de large environ. Les coquilles de ces moules sont fortes, épaisses d’une ligne environ, lisses et noires à l’extérieur, ternes à leur intérieur. Pour distinguer celles qui donnent des perles d’avec celles qui n’en ont point, il faut faire attention à certaines convexités qui se manifestent à l’extérieur ; cette marque désigne qu’il y a ou qu’il y a eu une ou plusieurs perles ; car il arrive quelquefois que la perle se perd lorsque l’animal ouvre sa coquille. Je me suis assuré que les coquilles lisses n’en contiennent aucune : ne pourrait-on pas dire, pour expliquer la formation de ces pierres, que, lorsque l’animal travaille à sa coquille, il fait sortir du réservoir la matière qui doit la former, que lorsqu’il applique sur les parois intérieures cette espèce de couche de vernis, s’il vient à être heurté par des corps durs ou par des secousses un peu fortes, cette liqueur, alors environnée par l’eau qui est entrée par l’ouverture, forme, pour ainsi dire, un corps étranger ; ce corps étranger suit tous les mouvements du fluide qui l’environne, et même ceux que l’animal lui imprime, ce qui, par un frottement continuel, lui donne de la rondeur, et un beau poli…

    Mais les perles sont rares, et sur vingt mille moules à peine en trouve-t-on quelques-unes qui aient les signes caractéristiques dont j’ai parlé ; les grosses et de belle eau sont très rares, celles de couleur brune le sont moins.

    Presque toutes les autres rivières de la Lorraine fournissent des moules à perles, entre autres l’étang de Saint-Jean près Nancy ; mais elles sont beaucoup plus petites et plus colorées que celles de la Vologne. M. Villemet, doyen des apothicaires de Nancy, qui est l’auteur de cet écrit, a envoyé quatre perles de cette rivière, dont trois de la grosseur d’un pois, deux parfaitement rondes, lisses, polies, de belle eau ; une plus grosse, ovale ; la quatrième, du quart de grosseur des premières, a une couleur noire très foncée et très luisante, et elle a le même poli que celles de l’étang Saint-Jean de Nancy, et les autres n’excèdent pas en grosseur une tête d’épingle, quelques-unes celle d’un petit grain de plomb, et il y en a deux réunies l’une à l’autre ; leur couleur ne peut être comparée à celles de la Vologne.

    « Nous sommes convaincus, dit M. l’abbé Rozier, que, si l’on observait plus attentivement les moules d’eau douce qu’on rencontre dans différents endroits, on y trouverait des perles ; quelques moules des rivières d’Écosse et de Suède en fournissent. » Rolfincius parle de celles du Nil ; Kriger, de celles de Bavière ; Welsch, de celles des marais près d’Augsbourg. Journal de physique de M. l’abbé Rozier, mois d’août 1775, p. 145 et suiv. — « Les perles des fleuves de Laponie, dit Schœffer, n’acquièrent une exacte rondeur qu’à mesure qu’elles se perfectionnent : lorsqu’elles ne sont pas mûres, une partie est ronde et l’autre partie est plate. Ce dernier côté est pâle ou d’une couleur rousse, morte et obscure, tandis que l’autre qui est rond a toute la beauté et la netteté d’une perle parfaite. Elles ne viennent pas, comme en Orient, dans des coquillages larges, plats et presque ronds, telles que sont ordinairement les écailles d’huîtres ; mais les coquilles qui les contiennent sont comme celles des moules, et c’est dans les rivières qu’on les pêche. Les perles imparfaites, c’est-à-dire qui ne sont pas absolument formées, sont inhérentes aux coquilles, et on ne les détache qu’avec peine, au lieu que celles qui ont acquis leur perfection ne tiennent à rien, et tombent d’elles-mêmes dès qu’on ouvre l’écaille qui les contient. — La rivière de Saghalian, dans le pays des Tartares Mantchoux, reçoit celle de San-pira, celle de Kafin-pira, et plusieurs autres qui sont renommées pour la pêche des perles. Les pêcheurs se jettent dans ces petites rivières et prennent la première moule qui se trouve sous leur main. — On pêche aussi des perles dans les rivières qui se jettent dans la Nonninla et dans le Sangari, telles que l’Arom et le Nemer, sur la route de Tsitsckar à Merghen. On assure qu’il ne s’en trouve jamais dans les rivières qui coulent à l’ouest du Sanghalian-ula, vers les terres des Russes. Quoique ces perles soient beaucoup vantées par les Tartares, il y a apparence qu’elles seraient peu estimées en Europe, parce qu’elles ont des défauts considérables dans la forme et dans la couleur. L’empereur en a plusieurs cordons de cent perles ou plus, toutes semblables et d’une grosseur considérable ; mais elles sont choisies entre des milliers, parce qu’elles lui appartiennent toutes. » Histoire générale des Voyages, t. VI, p. 562. — À l’est de la province de Tebeth est la province de Kaindu, qui porte le nom de sa capitale, où il y a un lac salé qui produit tant de perles qu’elles n’auraient aucune valeur s’il était libre de les prendre, mais la loi défend, sous peine de mort, d’y toucher sans la permission du grand-khan. Voyage de Marc-Paul en 1272, dans l’Histoire générale des Voyages, t. VII, p. 331.

  6. Les côtes de Saikokf (au Japon) sont couvertes d’huîtres et d’autres coquillages qui renferment des perles. Les plus grosses et les plus belles se trouvent dans une huître qui est à peu près de la largeur de la main, mince, frêle, unie et luisante au dehors, un peu raboteuse et inégale en dedans, d’une couleur blanchâtre, aussi éclatante que la nacre ordinaire, et difficile à ouvrir. On ne voit de ces coquilles qu’aux environs de Satsuma et dans le golfe d’Omura. Histoire générale des Voyages, t. IV, p. 322 et suiv.
  7. Les mers voisines de Mindanao produisent de grosses perles. Histoire générale des Voyages, t. X, p. 399.
  8. Idem, t. VII, p. 534.
  9. L’île de Garack, une des plus considérables du golfe Persique, regarde vers le midi l’île de Baharem, où se pêchent les plus belles perles de l’Orient. Idem, t. IX, p. 9. — Cette île de Garack fournit elle-même de très belles perles qui se pêchent sur ses côtes, et qui se transportent dans toute l’Asie et en Europe ; les connaisseurs conviennent qu’il y en a peu d’aussi belles. La pêche des perles, dans l’île de Garack, commence au mois d’avril et dure six mois entiers.

    Aussitôt que la saison est arrivée, les principaux Arabes achètent des gouverneurs, pour une somme d’argent, la permission de pêcher. Il se trouve des marchands qui emploient jusqu’à vingt ou trente barques. Ces barques sont fort petites et n’ont que trois hommes, deux rameurs et un plongeur ; lorsqu’ils sont arrivés sur un fond de dix à douze brasses, ils jettent leurs ancres. Le plongeur se pend au cou un petit panier qui lui sert à mettre les nacres : on lui passe sous les bras et on lui attache au milieu du corps une corde de longueur égale à la profondeur de l’eau ; il s’assied sur une pierre qui pèse environ cinquante livres, attachée par une autre corde de même longueur, qu’il serre avec les deux mains pour se soutenir et ne la pas quitter lorsqu’elle tombe avec toute la violence que lui donne son poids. Il prend soin d’arrêter le cours de sa respiration par le nez avec une sorte de lunette qui le lui serre. Dans cet état, les deux hommes le laissent tomber dans la mer avec la pierre sur laquelle il est assis et qui le porte rapidement au fond. Ils retirent aussitôt la pierre, et le plongeur demeure au fond de l’eau pour y ramasser toutes les nacres qui se trouvent sous sa main ; il les met dans le panier à mesure qu’elles se présentent, sans avoir le temps de faire un grand choix, qui serait d’ailleurs difficile, parce qu’elles n’ont aucune marque à laquelle on puisse distinguer celles qui contiennent des perles ; la respiration lui manque bientôt, il tire une corde qui sert de signal à ses compagnons, et revenant en haut, dans l’état qu’on peut s’imaginer, il y respire quelques moments. On lui fait recommencer le même exercice, et toute la journée se passe à monter et à descendre. Cette fatigue épuise tôt ou tard les plongeurs les plus robustes. Il s’en trouve néanmoins qui résistent longtemps, mais le nombre en est petit, au lieu qu’il est fort ordinaire de les voir périr dès les premières épreuves.

    C’est le hasard qui fait trouver les perles dans les nacres ; cependant on est toujours sûr de tirer, pour fruit du travail, une huître d’excellent goût et quantité de beaux coquillages. Le pêcheur, comme ayant plus de peine que les autres, a la plus grande part au profit de la pêche. Idem, t. IX, p. 9 et 10. — Il vient d’Ormus à Goa des perles fines qui se pêchent dans ce détroit, et qui sont les plus grosses, les plus nettes et les plus précieuses de l’univers. Idem, t. VII, p. 230.

  10. Sur les côtes des îles Alfas, les Maures viennent faire la pêche des perles. Idem, t. Ier, p. 146. — La côte de Zabid, à trois journées de Moka, fournit un grand nombre de perles orientales. Idem, ibid., p. 152.
  11. C’est précisément au cap Comorin, dans la presqu’île occidentale de l’Inde, que commence la côte de la pêche des perles. Elle forme une espèce de baie qui a plus de quarante lieues, depuis le cap Comorin jusqu’à la pointe de Romanaçar, où l’île de Ceylan est unie à la terre ferme par une chaîne de rochers que quelques Européens appellent le Pont-d’Adam. Toute la côte de la Pêcherie, qui appartient au roi de Maduré et au prince de Marava, est inabordable aux vaisseaux d’Europe.

    La Compagnie de Hollande ne fait pas pêcher les perles pour son compte, mais elle permet à chaque habitant du pays d’avoir autant de bateaux que bon lui semble : chaque bateau lui paye soixante écus, et il s’en présente quelquefois jusqu’à six ou sept cents.

    Vers le commencement de l’année, la Compagnie envoie dix ou douze bateaux au lieu où l’on a dessein de pêcher. Les plongeurs apportent sur le rivage quelques milliers d’huîtres ; on ouvre chaque millier à part, et on met aussi à part les perles qu’on en tire ; si le prix de ce qui se trouve dans un millier monte à un écu ou au delà, c’est une marque que la pêche sera riche et abondante en ce lieu, mais si ce qu’on peut tirer d’un millier ne va qu’à trente sous, il n’y a pas de pêche cette année, parce que le profit ne payerait pas la peine. Lorsque la pêche est publiée, le peuple se rend sur la côte en grand nombre avec des bateaux. Les commissaires hollandais viennent de Colombo, capitale de l’île de Ceylan, pour présider à la pêche.

    L’ouverture s’en fait de grand matin par un coup de canon. Dans ce moment, tous les bateaux partent et s’avancent dans la mer, précédés de deux grosses chaloupes hollandaises, pour marquer à droite et à gauche les limites de la pêche. Un bateau a plusieurs plongeurs qui vont à l’eau tour à tour ; aussitôt que l’un vient, l’autre s’enfonce. Ils sont attachés à une corde dont le bout tient à la vergue du petit bâtiment, et qui est tellement disposée, que les matelots du bateau, par le moyen d’une poulie, la peuvent aisément lâcher ou tirer, selon le besoin qu’on en a. Celui qui plonge a une grosse pierre attachée au pied afin d’enfoncer plus vite, et une espèce de sac à la ceinture pour mettre les huîtres qu’il pêche. Dès qu’il est au fond de la mer, il ramasse promptement ce qui trouve sous ses mains et le met dans son sac. Quand il trouve plus d’huîtres qu’il n’en peut emporter, il en fait un monceau, et, revenant sur l’eau pour prendre haleine, il retourne ou envoie un de ses compagnons les ramasser. Il est faux que ces plongeurs se mettent dans des cloches de verre pour plonger : comme ils s’accoutument à plonger et à retenir leur haleine de bonne heure, ils se rendent habiles à ce métier qui est si fatigant qu’ils ne peuvent plonger que sept ou huit fois par jour, encore les requins sont-ils fort à craindre. Bibliothèque raisonnée, mois d’avril, mai et juin 1749. Recueil d’observations curieuses sur les mœurs, coutumes, etc., des différents peuples de l’Asie, etc. ; Paris, en 4 volumes, 1749.

  12. Les principales pêcheries des perles sont : 1o celle de Bahren dans le golfe Persique ; elle appartient au roi de Perse, qui entretient dans l’île de ce nom une garnison de trois cents hommes pour le soutien de ses droits ; 2o celle de Catifa, vis-à-vis de Bahren, sur la côte de l’Arabie Heureuse. La plupart des perles de ces deux endroits se vendent aux Indes, et les Indiens étant moins difficiles qu’on ne l’est en Europe, tout y passe aisément. — On en porte aussi à Bassora. Celles qui vont en Perse et en Moscovie se vendent à Bender-Abassi. Dans toute l’Asie, on aime autant les perles jaunes que les blanches, parce que l’on croit que celles dont l’eau est un peu dorée conservent toujours leur vivacité, au lieu que les blanches ne durent pas trente ans sans la perdre, et que la chaleur du pays ou la sueur de ceux qui les portent leur fait prendre un vilain jaune ; 3o la pêcherie de Manor, dans l’île de Ceylan ; ses perles sont les plus belles qu’on connaisse pour l’eau et la rondeur, mais il est rare qu’elles passent trois ou quatre carats ; 4o celle du cap de Camorin, qui se nomme simplement pêcherie, comme par excellence, quoique moins célèbre aujourd’hui que celles du golfe Persique et de Ceylan ; 5o enfin celles du Japon, qui donnent des perles assez grosses et de fort belle eau, mais ordinairement baroques.

    Ceux qui pourraient s’étonner de ce qu’on porte des perles en Orient, d’où il en vient un si grand nombre, doivent apprendre que, dans les pêcheries d’Orient, il ne s’en trouve point de si grand prix que dans celles d’Occident, sans compter que les monarques et les seigneurs de l’Asie payent bien mieux que les Européens, non seulement les perles, mais encore tous les joyaux qui ont quelque chose d’extraordinaire, à l’exception du diamant. Quoique les perles de Bahren et de Catifa tirent un peu sur le jaune, on n’en fait pas moins de cas que de celles de Manor, parce que tous les Orientaux prétendent qu’elles sont mûres ou cuites, et que leur couleur ne change jamais. On a fait une remarque importante sur la différence de l’eau des perles, qui est fort blanche dans les unes et jaunâtre ou tirant sur le noir ou plombeuses dans les autres. La couleur jaune vient, dit-on, de ce que les pêcheurs vendant les huîtres par monceaux, et les marchands attendant quelquefois pendant quinze jours qu’elles s’ouvrent d’elles-mêmes pour en tirer les perles, une partie de ces huîtres, qui perdent leur eau dans cet intervalle, s’altèrent jusqu’à devenir puantes, et la perle est jaunie par l’infection ; ce qu’il y a de vrai, c’est que, dans les huîtres qui ont conservé leur eau, les perles sont toujours blanches. On attend qu’elles s’ouvrent d’elles-mêmes, parce qu’en y employant la force on pourrait endommager et fendre la perle. Les huîtres du détroit de Manor s’ouvrent naturellement cinq ou six jours plus tôt que celles du golfe Persique, ce qu’il faut attribuer à la chaleur qui est beaucoup plus grande à Manor, c’est-à-dire au 10e degré de latitude nord, qu’à l’île de Bahren qui est presque au 27e. Aussi se trouve-t-il fort peu de perles jaunes entre celles qui viennent de Manor.

    Dans les mers orientales, la pêche des perles se fait deux fois l’an ; la première aux mois de mars et d’avril, la seconde en août et septembre. La vente des perles se fait depuis juin jusqu’en novembre. Histoire générale des Voyages, t. II, p. 682 et suiv.

  13. La côte de Californie, celle du Pérou et celle de Panama produisent aussi de grosses perles ; mais elles n’ont pas l’eau des perles orientales, et sont outre cela noirâtres et plombeuses. On trouve quelquefois dans une seule huître jusqu’à sept ou huit perles de différentes grosseurs. Bibliothèque raisonnée, mois d’avril, etc., 1749. — Quoique les huîtres perlières soient communes dans toute la baie de Panama en Amérique, elles ne sont nulle part en aussi grande abondance qu’à Quibo : il ne faut que se baisser dans la mer et les détacher du fond. Celles qui donnent le plus de perles sont à plus de profondeur. On assure que la qualité de la perle dépend de la qualité du fond où l’huitre s’est nourrie ; si le fond est vaseux, la perle est d’une couleur obscure et de mauvaise eau. Les plongeurs qu’on emploie pour cette pêche sont des esclaves nègres dont les habitants de Panama et de la côte voisine entretiennent un grande nombre, et qui doivent être dressés avec un soin extrême à cet exercice. Idem, p. 156. — Un des plus grands avantages de Panama est la pêche des perles qui se fait aux îles de son golfe. Il y a peu d’habitants qui n’emploient un certain nombre de nègres à cette pêche.

    La méthode n’en est pas différente de celle du golfe Persique et du cap Camorin, mais elle est plus dangereuse ici, par la multitude des monstres marins qui font la guerre aux pêcheurs : les requins et les teinturières dévorent en un instant les plongeurs qu’ils peuvent saisir. Cependant ils ont l’art de les envelopper de leur corps et de les étouffer, ou de les écraser contre le fond en se laissant tomber sur eux de toute leur pesanteur, et pour se défendre d’une manière plus sûre, chaque plongeur est armé d’un couteau pointu fort tranchant ; dès qu’il aperçoit un de ces montres, il l’attaque par quelque endroit qui ne puisse pas résister à la blessure, et lui enfonce son couteau dans le corps. Le monstre ne se sent pas plus tôt blessé qu’il prend la fuite. Les caporaux nègres, qui ont l’inspection sur les autres esclaves, veillent de leurs barques à l’approche de ces cruels animaux, et ne manquent point d’avertir les plongeurs en secouant une corde qu’ils ont autour du corps ; souvent un caporal se jette lui-même dans les flots, armé d’un couteau, pour secourir le plongeur qu’il voit en danger ; mais ces précautions n’empêchent pas qu’il n’en périsse toujours quelques-uns, et que d’autres ne reviennent estropiés d’un bras ou d’une jambe. Jusqu’à présent tout ce qu’on a pu inventer pour mettre les pêcheurs à couvert a mal réussi. Les perles de Panama sont ordinairement de très belle eau ; il s’en trouve de remarquables par leur grosseur et leur figure. Une partie est transportée en Europe, mais la plus considérable passe à Lima, où elles sont extrêmement recherchées, ainsi que dans les provinces intérieures du Pérou. Histoire générale des Voyages, t. XIII, p. 277. — Autrefois il y avait dans le golfe de Manta, dans le corrégiment de Guayaquil au Pérou, une pêche de perles, mais la quantité de monstres marins qui s’y trouvent a fait abandonner la pêche de ces perles. Idem, ibidem, p. 366.

  14. On trouve des perles et des huîtres sur les côtes de l’île d’Otaïti. Voyage autour du monde, par le commodore Byron, etc., t. Ier, p. 137. — Les femmes d’Uliétéa paraissent faire cas des perles, car on vit une fille qui avait un pendant d’oreille de trois perles, dont l’une était très grosse, mais si terne qu’elle était de peu de valeur ; les deux autres, qui étaient de la grosseur d’un pois moyen, étaient d’une belle forme ; ce qui fait présumer qu’il se trouve des huîtres à perles près de leurs côtes. Voyages du capitaine Cook, etc., t. III, p. 10.