Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des minéraux/Nitre



NITRE

L’acide nitreux est moins fixe que l’acide vitriolique, et moins volatil que l’acide marin ; tous trois sont toujours fluides, et on ne les trouve nulle part dans un état concret, quoiqu’on puisse amener à cet état l’acide vitriolique, en le concentrant par une chaleur violente, mais il se résout bientôt en liqueur dès qu’il est refroidi. Cet acide ne prend point de couleur au feu, et il y reste blanc ; l’acide marin y devient jaune, et l’acide nitreux paraît d’abord vert, mais sa vapeur en se mêlant avec l’air devient rouge, et il prend lui-même cette couleur rouge par une forte concentration : cette vapeur que l’acide nitreux exhale a de l’odeur et colore la partie vide des vaisseaux de verre dans lesquels on le tient renfermé ; comme plus volatil, il est aussi moins pesant que l’acide vitriolique, qui pèse plus du double de l’eau, tandis que la pesanteur spécifique de l’acide nitreux n’est que de moitié plus grande que celle de l’eau pure.

Quoique plus faible à certains égards que l’acide vitriolique, l’acide nitreux ne laisse pas que de le vaincre à la distillation, en le séparant de l’alcali. Or l’acide vitriolique ayant plus d’affinité que l’acide nitreux avec l’alcali, comment se peut-il que cet alcali lui soit enlevé par ce second acide ? Cela ne prouve-t-il pas que l’acide aérien réside en grande quantité dans l’acide nitreux, et qu’il est la cause médiate de cette décomposition opposée à la loi commune des affinités ?

On peut enlever à tous les sels l’eau qui est entrée dans leur cristallisation, et sans laquelle leurs cristaux ne se seraient pas formés ; cette eau, ni la forme en cristaux, ne sont donc point essentielles aux sels, puisque après en avoir été dépouillés, ils ne sont point décomposés, et qu’ils conservent toutes leurs propriétés salines. Le nitre seul se décompose lorsqu’on le prive de cette eau de cristallisation, et cela démontre que l’eau, ainsi que l’acide aérien, entrent dans la composition de ce sel, non seulement comme parties intégrantes de sa masse, mais même comme parties constituantes de sa substance et comme éléments nécessaires à sa formation.

Le nitre[NdÉ 1] est donc de tous les sels le moins simple, et quoique les chimistes aient abrégé sa définition en disant que c’est un sel composé d’acide nitreux et d’alcali fixe végétal, il me paraît que c’est non seulement un composé, mais même un surcomposé de l’acide aérien par l’eau, la terre et le feu fixe des substances animales et végétales exaltées par la fermentation putride ; il réunit les propriétés des acides minéraux, végétaux et animaux : quoique moins fort que l’acide vitriolique par sa qualité dissolvante, il produit d’autres plus grands effets ; il semble même augmenter la force du plus puissant des éléments, en donnant au feu plus de violence et d’activité.

L’acide nitreux attaque presque toutes les matières métalliques ; il dissout avec autant de promptitude que d’énergie toutes les substances calcaires et toutes les terres mêlées des détriments de végétaux et des animaux ; il forme avec presque toutes des sels déliquescents. Il agit aussi très fortement sur les huiles, et même il les enflamme lorsqu’il est bien concentré ; mais en l’affaiblissant avec de l’eau et l’unissant à l’huile, il forme des sels savonneux ; et en le mêlant dans cet état aqueux avec l’esprit-de-vin, il s’adoucit au point de perdre presque toute son acidité, et l’on peut en faire une liqueur éthérée, semblable à l’éther qui se fait avec l’esprit-de-vin et l’acide vitriolique. Ce dernier acide peut prendre une forme concrète à force de concentration ; l’acide nitreux, plus volatil, reste toujours liquide et s’exhale continuellement en vapeurs ; il attire l’humidité de l’air, mais moins fortement que l’acide vitriolique : il en est de même de l’effet que ces deux acides produisent en les mêlant avec l’eau ; la chaleur est plus forte et le bouillonnement plus grand par le vitriolique que par le nitreux ; celui-ci est néanmoins très corrosif, et ce qu’on appelle eau forte[NdÉ 2] n’est que ce même acide nitreux, affaibli par une certaine quantité d’eau.

Cet acide, ainsi que tous les autres, provient originairement de l’acide aérien, et il semble en être plus voisin que les deux autres acides minéraux ; car il est évidemment uni à une grande quantité d’air et de feu : la preuve en est que l’acide nitreux ne se trouve que dans les matières imprégnées des déjections ou des débris putréfiés des végétaux et des animaux, qui contiennent certainement plus d’air et de feu qu’aucun des minéraux ; ce n’est qu’en unissant ces acides minéraux avec l’acide aérien ou avec les substances qui en contiennent, qu’on peut les amener à la forme d’acide nitreux ; par exemple, on peut faire du nitre avec de l’acide vitriolique, et de l’urine[1] ; et de même l’acide sulfureux volatil, qui n’est que l’acide vitriolique uni avec l’air et le feu, approche autant de la nature de l’acide nitreux qu’il s’éloigne de celle de l’acide vitriolique, duquel néanmoins il ne diffère que par ce mélange qui le rend volatil, et lui donne l’odeur du soufre qui brûle. De plus, l’acide nitreux et l’acide sulfureux se ressemblent encore, et diffèrent de l’acide vitriolique en ce qu’ils altèrent beaucoup plus les couleurs des végétaux que l’acide vitriolique, et que les cristallisations des sels qu’ils forment avec l’alcali se ressemblent entre elles autant qu’elles diffèrent de celle du tartre vitriolé[2].

Tout nous porte donc à croire que l’acide nitreux est moins simple et plus surchargé d’air et de feu que tous les autres acides ; que même, comme nous l’avons dit, ce sel est un surcomposé de feu et d’air accumulés et concentrés avec une petite portion d’eau et de terre, par le travail profond et la chaleur intime de l’organisation animale et végétale : qu’enfin ces mêmes éléments y sont exaltés et développés par la fermentation putride.

De tous les sels le nitre est celui qui se dissout, se détruit et s’évanouit le plus complètement et le plus rapidement, et toujours avec une explosion qui démontre le combat intestin et la puissante expansion des fluides élémentaires, qui s’écartent et se fuient à l’instant que leurs liens sont rompus.

En présentant le phlogistique, c’est-à-dire le feu animé par l’air, à l’acide vitriolique, le feu, comme nous l’avons dit, se fixe par cet acide, et il en résulte une nouvelle substance qui est le soufre. En présentant de même le phlogistique à l’acide du nitre, il devrait, suivant l’ingénieuse idée de Stahl, se former un soufre nitreux ; mais tel est l’excès du feu renfermé dans cet acide, que le soufre s’y détruit à l’instant même qu’il se forme, la moindre accession d’un nouveau feu suffisant pour le dégager de ses liens et le mettre en explosion.

Cette détonation du nitre est le plus terrible phénomène que la nature, sollicitée par notre art, ait jusqu’ici manifesté. Si le feu de Prométhée fut dérobé aux cieux, celui-ci semble pris au Tartare, portant partout la ruine et la mort : combiné par un génie funeste, ou plutôt soufflé par le démon de la guerre, il est devenu le grand instrument de la destruction des hommes et de la dévastation de la terre.

Ce redoutable effet du nitre enflammé est causé par la propriété qu’il a de s’allumer en un instant dans toutes les parties de sa masse, dès qu’elles peuvent être atteintes par la flamme. La surabondance de son propre feu n’attend que le plus léger contact de cet élément pour s’y réunir en rompant ses liens avec une force et une violence à laquelle rien ne peut résister. L’inflammation de la première particule communiquant son feu à celles qui l’avoisinent, et ainsi de proche en proche dans toute la masse, avec une inconcevable rapidité, et dans un instant pour ainsi dire indivisible, la somme de toutes ces explosions simultanées forme la détonation totale, d’autant plus redoutable qu’elle est plus renfermée, et que les résistances qu’on lui oppose sont plus grandes ; car c’est encore une des propriétés particulières du nitre, et qui décèle de plus en plus sa nature ignée et aérienne, que de brûler et détoner en vaisseaux clos, et sans avoir besoin, comme toute autre matière combustible, du contact et du ressort de l’air libre.

La plus grande force de la poudre à canon tient donc à ce que tout son nitre s’enflamme, et s’enflamme à la fois, ou dans le plus petit temps possible : or, cet effet dépend d’abord de la pureté du nitre, et ensuite de la proportion et de l’intimité de son mélange avec le soufre et le charbon, destinés à porter l’inflammation sur toutes les parties du nitre. L’expérience a fait connaître que la meilleure proportion de ce mélange pour faire la poudre à canon est de soixante-quinze parties de nitre, sur quinze parties et demie de soufre et neuf parties et demie de charbon ; néanmoins, le charbon et le soufre ne contribuent pas par eux-mêmes à l’explosion du nitre ; ils ne servent dans la composition de la poudre qu’à porter et communiquer subitement le feu à toutes les parties de sa masse ; et même l’on pourrait dans le mélange supprimer le charbon et ne se servir que du soufre pour porter la flamme sur le nitre ; car M. Baumé dit avoir fait de très bonne poudre à canon par cette seule mixtion du soufre et du nitre.

Comme cet usage du nitre ou salpêtre n’est malheureusement que trop universel, et que la nature semble s’être refusée à nous offrir ce sel en grande quantité, on a cherché des moyens de s’en procurer par l’art, et ce n’est que de nos jours qu’on a tâché de perfectionner la pratique de ces procédés : c’est l’objet du prix annoncé pour l’année prochaine[3] par l’Académie des sciences sur les nitrières artificielles. Ces recherches auront sans doute pour point de vue d’exposer au libre contact de l’air, sous le plus de surface possible et dans un degré de température et d’humidité convenables à la fermentation, un mélange proportionné de matières végétales et animales en putréfaction. Les substances animales produisent à la vérité du nitre en plus grande abondance que les matières végétales ; mais ce nitre formé par la putréfaction des animaux est à base terreuse et sans alcali fixe, et les végétaux putréfiés, ou les résidus de leur combustion, peuvent seuls fournir au nitre cette base d’alcali fixe.

On obtiendra donc du bon nitre toutes les fois qu’on exposera au contact et à l’impression de l’air des matières végétales et animales en putréfaction, soit en les mêlant avec des terres et pierres poreuses, suivant le procédé que nous indique la nature, en nous offrant le nitre produit dans les plâtras et les craies, soit en projetant ces matières sur des fagots ou fascines, ainsi que le propose M. Macquer, supposé néanmoins que ce mélange soit entretenu dans le degré de température et d’humidité nécessaires pour soutenir la fermentation putride ; car cette dernière circonstance n’est pas moins essentielle que le concours de l’air pour la production du nitre, même de celui qui se forme naturellement.

La nature n’a point produit de nitre en masse ; il semble qu’elle ait, comme nous, besoin de tout son art pour former ce sel ; c’est par la végétation qu’elle le travaille et le développe dans quelques plantes, telles que les boraginées, les soleils, etc., et il est à présumer que ces plantes dans lesquelles le nitre est tout formé le tirent de la terre et de l’air avec la sève ; car l’acide aérien réside dans l’atmosphère et s’étend à la surface de la terre ; il devient acide nitreux en s’unissant aux éléments des matières animales et végétales putréfiées, et il se formerait du nitre presque partout, si les pluies ne le dissolvaient pas à mesure qu’il se produit : aussi l’on ne trouve du nitre en nature et en quantité sensible que dans quelques endroits des climats secs et chauds, comme en Espagne et en Orient[4], et dans le nouveau continent au Pérou[5], sur des terrains de tout temps incultes où la putréfaction des corps organisés s’est opérée sans trouble, et a été aidée de la chaleur et maintenue par la sécheresse. Ces terres sont quelquefois couvertes d’une couche de salpêtre de deux ou trois lignes d’épaisseur ; il est semblable à celui que l’on recueille sur les parois des vieux murs en les balayant légèrement avec un houssoir, d’où lui vient le nom de salpêtre de houssage ; c’est par la même raison que l’on trouve des couches de salpêtre naturel sur la craie et sur le tuf calcaire dans les endroits caverneux, où ces terres sont à l’abri des pluies, et j’en ai moi-même recueilli sous des voûtes et dans les cavités des carrières de pierre calcaire où l’eau avait pénétré et entraîné ce sel qui s’était formé à la surface du terrain. Mais rien ne prouve mieux la nécessité du concours de l’acide aérien pour la formation du nitre que les observations de M. le duc de La Rochefoucauld, l’un de nos plus illustres et plus savants académiciens ; il les a faites sur le terrain de la montagne de la Roche-Guyon, située entre Mantes et Vernon ; cette montagne n’est qu’une masse de craie, dans laquelle on a pratiqué quelques habitations où l’on a trouvé et recueilli du nitre en efflorescence et quelquefois cristallisé : cela n’a rien d’extraordinaire, puisque ces lieux étaient habités par les hommes et les animaux ; aussi M. le duc de La Rochefoucauld s’est-il attaché à reconnaître si la craie de l’intérieur de la montagne contenait du nitre comme en contiennent ses cavités et sa surface, et il s’est convaincu, par des observations exactes et appuyées d’expériences décisives, que ni le nitre ni l’acide nitreux n’existent dans la craie qui n’a pas été exposée aux impressions de l’air, et il prouve par d’autres expériences que cette seule impression de l’air suffit pour produire l’acide nitreux dans la craie. Voilà donc évidemment l’acide nitreux ramené à l’acide aérien ; car l’alcali végétal, qui sert de base au nitre, est tout aussi évidemment produit par la décomposition putride des végétaux, et c’est par cette raison qu’on trouve du nitre tout formé dans la terre végétale et sur la surface spongieuse de la craie, des tufs et des autres substances calcaires[6] ; mais, en général, le salpêtre naturel n’est nulle part assez abondant pour qu’on puisse en ramasser une grande quantité, et pour y suppléer on est obligé d’avoir recours à l’art : une simple lessive suffit pour le tirer de ces terres où il se forme naturellement ; les matières qui en contiennent le plus sont les terres crétacées et surtout les débris des mortiers et des plâtres qui ont été employés dans les bâtiments, et cependant on n’en extrait guère qu’une livre par quintal ; et, comme il s’en fait une prodigieuse consommation, on a cherché à combiner les matières et les circonstances nécessaires pour augmenter et accélérer la formation de ce sel.

En Prusse et en Suède, on fait du salpêtre en amoncelant par couches alternatives du gazon, des cendres, de la chaux et du chaume[7] ; on délaie ces trois premières matières avec de l’urine et de l’eau mère de salpêtre ; on arrose de temps en temps d’urine les couches qui forment ce monceau qu’on établit sous un hangar à l’abri de la pluie ; le salpêtre se forme et se cristallise à la surface du tas en moins d’un an, et on assure qu’il s’en produit ordinairement pendant dix ans. Nous avons suivi cette méthode en France, et on pourra peut-être la perfectionner[8] ; mais jusqu’à ce jour on a cherché le salpêtre dans toutes les habitations des hommes et des animaux, dans les caves, les écuries, les étables et dans les autres lieux humides et couverts ; c’est une grande incommodité pour les habitants de la campagne et même pour ceux des villes, et il est fort à désirer que les nitrières artificielles puissent suppléer à cette recherche, plus vexatoire qu’un impôt.

Après avoir recueilli les débris et les terres où le salpêtre se manifeste, on mêle ces matières avec des cendres, et on lessive le mélange par une grande quantité d’eau ; on fait passer cette eau, déjà chargée de sel, sur de nouvelles terres toujours mêlées de cendres, jusqu’à ce qu’elle contienne douze livres de matière saline sur cent livres d’eau ; ensuite on fait bouillir ces eaux pour les réduire par l’évaporation, et on obtient le nitre qui se cristallise par le refroidissement. Au lieu de cendres on pourrait mêler de la potasse avec les terres nitreuses, car la cendre des végétaux n’agit ainsi que par son sel, et la potasse n’est que le sel de cette cendre.

Au reste, la première saline dont les eaux sont chargées jusqu’à douze pour cent[9] est un mélange de plusieurs sels, et particulièrement de sel marin combiné avec différentes bases ; mais, comme ce sel se précipite et se cristallise le premier, on l’enlève aisément, et on laisse le nitre qui est encore en dissolution se cristalliser lentement ; il prend alors une forme concrète, et on le sépare du reste de la liqueur ; mais comme, après cette première cristallisation, elle contient encore du nitre, on la fait évaporer et refroidir une seconde fois pour obtenir le surplus de ce sel, qui se manifeste de même en cristaux, après quoi il ne reste que l’eau mère, dont les sels ne peuvent plus se cristalliser[10] ; mais ce nitre n’est pas encore assez pur pour en faire de la poudre à canon, il faut le dissoudre et le faire cristalliser une seconde et même une troisième fois pour lui donner toute la pureté et la blancheur qu’il doit avoir avant d’être employé à cet usage.

Le nitre s’enflamme sur les charbons ardents avec un bruit de sifflement, et lorsqu’on le fait fondre dans un creuset il fait explosion et détone dès qu’on lui offre quelque matière inflammable, et particulièrement du charbon réduit en poudre. Ce sel purifié est transparent ; il n’attire que faiblement l’humidité de l’air ; il n’a que peu ou point d’odeur ; sa saveur est désagréable ; néanmoins on l’emploie dans les salaisons pour donner aux viandes une couleur rouge. La forme de ses cristaux varie beaucoup ; ils se présentent tantôt en prismes rayés dans leur longueur, tantôt en rhombes, tantôt en parallélipipèdes rectangles ou obliques. M. le docteur Demeste a scrupuleusement examiné toutes ces variétés de figure[11], et il pense qu’on pourrait les réduire au parallélipipède, qui est, dit-il, la forme primitive de ce sel.

La plupart des sels peuvent perdre leur forme cristallisée et être privés de leur eau de cristallisation sans être décomposés et sans que leur essence saline en soit altérée ; le nitre seul se décompose par le concours de l’air lorsqu’il est en fusion ; son eau de cristallisation se réduit en vapeurs et enlève avec elle l’acide, en sorte qu’il ne reste au fond du creuset que de l’alcali fixe, preuve évidente que l’acide du nitre est le même que l’acide aérien : au reste, comme le nitre se dissout bien plus parfaitement et en plus grande quantité dans l’eau bouillante que dans l’eau froide, il se cristallise plus par le refroidissement que par l’évaporation, et les cristaux seront d’autant plus gros que le refroidissement aura été plus lent.

La saveur du nitre n’est pas agréable comme celle du sel marin ; elle est cependant plus fraîche, mais elle laisse ensuite une impression répugnante au goût. Ce sel se conserve à l’air : comme il est chargé d’acide aérien, il n’attire pas celui de l’atmosphère, il ne perd pas même sa transparence dans un air sec, et ne devient déliquescent que par une surcharge d’humidité ; il se liquéfie très aisément au feu, et à un degré de chaleur bien inférieur à celui qui est nécessaire pour le faire rougir ; ils se fond sans grand mouvement intérieur et sans boursouflement à l’extérieur, lors même qu’on pousse la fonte jusqu’au rouge. En laissant refroidir ce nitre fondu, il forme une masse solide et demi-transparente, à laquelle on a donné le nom impropre de cristal minéral, car ce n’est que du nitre qui n’est plus cristallisé et qui, du reste, a conservé toutes ses propriétés.

L’acide vitriolique et l’arsenic, qui ont encore plus d’affinité que l’acide nitreux avec l’alcali, décomposent le nitre en lui enlevant l’alcali sans toucher à son acide, ce qui fournit le moyen de retirer cet acide du nitre par la distillation. L’acide qui reste retient une certaine quantité d’arsenic, et c’est ce qu’on appelle nitre fixé par l’arsenic ; c’est un très bon fondant, et duquel on peut se servir avantageusement pour la vitrification : nous ne parlerons pas des autres combinaisons de l’acide nitreux, et nous nous réservons de les indiquer dans les articles où nous traiterons de la dissolution des métaux.


Notes de Buffon
  1. M. Pietch, dans une dissertation couronnée par l’Académie de Berlin en 1749, assure qu’ayant imbibé d’urine et d’acide vitriolique une pierre calcaire, et l’ayant laissée exposée quelque temps à l’air, il l’a trouvée après cela toute remplie de nitre. Éléments de chimie, par M. de Morveau, t. II, p. 126.
  2. Dictionnaire de chimie, par M. Macquer, t. Ier, article Acide nitreux.
  3. Ceci a été écrit dans l’année 1781.
  4. En revenant du mont Sinaï à Suez, nous fûmes coucher dans un vallon dont toute la terre était si couverte de nitre qu’il semblait qu’il eût neigé : au milieu passait un ruisseau dont les eaux en avaient le goût. Voyages de Monconys ; Lyon, 1645, p. 248. — La plupart du salpêtre qui se vend à Guzarate vient d’un endroit à soixante lieues d’Agra, et on le tire des terres qui ont été longtemps en friche. La terre noire et grasse est celle qui en rend le plus, quoique l’on en tire aussi d’autres terres, et on le fait en la manière suivante : ils font des fosses qu’ils remplissent de terre salpêtreuse, et y font couler par une rigole autant d’eau qu’il faut pour la détremper, à quoi ils emploient les pieds, en la démêlant jusqu’à ce qu’elle devienne comme de la bouillie ; quand ils croient que l’eau a attiré à elle tout le salpêtre qui était dans la terre, ils en prennent la partie la plus claire et la mettent dans une autre fosse, où elle s’épaissit, et alors ils le font cuire dans des poêles, comme le sel, en l’écumant incessamment ; et après cela ils le mettent dans des pots de terre, où le reste de la lie va au fond : et quand l’eau commence à se geler, ils la tirent de ces pots pour la faire sécher au soleil, où il achève de se durcir et de prendre la forme en laquelle on l’apporte en Europe. Voyages de Mandeslo, suite d’Oléarius, t. II, p. 230. — Le salpêtre vient en quantité d’Agra et de Patna, ville de Bengala, et le raffiné coûte trois fois plus que celui qui ne l’est pas. Les Hollandais ont établi un magasin à Choupar, à quatorze lieues au-dessus de Patna, et leurs salpêtres y étant raffinés, ils les font transporter par la rivière jusqu’à Ongueli. Ils avaient fait venir des chaudières de Hollande, et pris des raffineurs pour raffiner eux-mêmes leurs salpêtres ; mais cela ne leur a pas réussi, parce que les gens du pays, voyant que les Hollandais leur voulaient ôter le gain du raffinement, ne leur fournirent plus de petit-lait, sans quoi le salpêtre ne se peut blanchir, car il n’est point du tout estimé s’il n’est fort blanc et transparent. Voyages de Tavernier, t. II, p. 366.
  5. Sur les côtes de la mer Pacifique, près de Lima, on rencontre une grande quantité de salpêtre que l’on pourrait ramasser avec la pelle, et dont on ne fait aucun usage : c’est principalement sur les terres qui servent de pâturage, et qui ne produisent que des graminées, que l’on trouve le plus abondamment ce sel. M. Dombay, Journal de Physique, mars 1780, p. 212.
  6. En Normandie, du côté d’Évreux, près du château de M. le duc de Bouillon, il y a une fabrique de salpêtre entretenue par la lixiviation des raclures de la craie des rochers, que l’on ratisse sept à huit fois par an.
  7. Sur quoi un physicien (M. Tronson du Coudray, Journal de Physique, mai 1772) a remarqué que l’addition de la chaux produisait un mauvais effet dans cette extraction du salpêtre, des particules calcaires se mêlant dans sa cristallisation, et le rendant moins pur et plus déliquescent ; mais nous ne serons pas également du même avis que ce physicien sur l’inutilité prétendue des cendres dans la lessive des plâtras, puisqu’il déclare lui-même que la quantité de sels obtenue de plus, en soustrayant les cendres, n’était que des sels déliquescents. Voyez le Journal de Physigue cité.
  8. Il y a quatorze ou quinze nitrières artificielles nouvellement établies en Franche-Comté, plusieurs en Bourgogne, et quelques-unes dans d’autres provinces.
  9. La quantité de salpêtre tenue en dissolution est absolument relative au degré de température de l’eau, et même avec des différences très considérables. Il résulte des expériences de M. Tronson du Coudray qu’il faut huit livres d’eau pour dissoudre à froid une livre de salpêtre à la température de trois degrés au-dessus de la glace, mais que trois livres d’eau suffisent pour dissoudre ce même poids dans un air tempéré : par les grandes chaleurs de l’été, deux livres d’eau peuvent tenir dix livres de salpêtre en dissolution… Une eau déjà saturée de sel marin dissout néanmoins encore, dans un air tempéré, les deux tiers de salpêtre que dissoudrait un pareil poids d’eau pure, etc. Journal de Physique, mai 1772, p. 233 et 234.
  10. Éléments de Chimie par M. de Morveau, t. II, p. 132 et suiv.
  11. Lettres de M. Demeste à M. le docteur Bernard, t. Ier, p. 225 et suiv.
Notes de l’éditeur
  1. Azotate de potasse [Note de Wikisource : appelé aujourd’hui nitrate de potassium ; c’est ce qu’on appelle plus couramment le salpêtre]. Encore un chapitre qui n’a d’intérêt qu’au point de vue historique, dans toute sa partie chimique.
  2. Acide azotique [Note de Wikisource : plus couramment appelé acide nitrique, aujourd’hui].