Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des minéraux/Du nickel

DU NICKEL

Il se trouve assez souvent, dans les mines de cobalt, un minéral qui ne ressemble à aucun autre et qui n’a été reconnu que dans ce dernier temps : c’est le nickel. M. Demeste dit « que, quand le cuivre et l’arsenic se trouvent joints au fer dans la mine de cobalt, il en résulte un minéral singulier qui, dans sa fracture, est d’un gris rougeâtre et qui a pour ainsi dire son régule propre, parce que, dans ce régule, le cobalt adhère tellement aux substances métalliques étrangères dont il est mêlé, qu’on n’a pas hésité d’en faire sous le nom de nickel un demi-métal particulier[1]. » Mais cette définition du nickel n’est point exacte, car le cuivre n’entre pas comme partie essentielle dans sa composition, et même il ne s’y trouve que très rarement. M. Bergman est de tous les chimistes celui qui a répandu le plus de lumière sur la nature de ce minéral qu’il a soumis à des épreuves aussi variées que multipliées. Voici les principaux résultats de ses recherches et de ses expériences.

Hierne, dit-il, est le premier qui ait parlé du kupfer-nickel, dans un ouvrage sur les minéraux, publié en suédois en 1694.

Henckel l’a regardé comme une espèce de cobalt ou d’arsenic mêlé de cuivre (Pyritol., ch. VII et VIII).

Cramer a aussi placé le kupfer-nickel dans les mines de cuivre (Docimast., § 371 et 418), et néanmoins, on n’en a jamais tiré un atome de cuivre. Je dois cependant observer que M. Bergman dit ensuite que le nickel est quelquefois uni au cuivre.

Cronstedt est le premier qui en ait tiré un régule nouveau en 1751 (Actes de Stockholm).

M. Sage le regarde comme du cobalt mêlé de fer, d’arsenic et de cuivre (Mémoires de chimie, 1772).

M. Monnet pense aussi que c’est du cobalt impur (Traité de la dissolution des métaux).

Le kupfer-nickel perd à la calcination près d’un tiers, et quelquefois moitié de son poids par la dissipation de l’arsenic et du soufre : ce minéral devient d’autant plus vert qu’il est plus riche. Si on le pulvérise et qu’on le pousse à la fusion dans un creuset avec trois parties de flux noir, on trouve sous les scories noirâtres et quelquefois bleues un culot métallique du poids du dixième, du cinquième ou même près de moitié de la mine crue : ce régule n’est pas pur, il tient encore un peu de soufre et une plus grande quantité d’arsenic, de cobalt et encore plus de fer magnétique.

L’arsenic adhère tellement à ce régule, que M. Bergman l’ayant successivement calciné et réduit cinq fois, il donnait encore l’odeur d’ail à une sixième calcination quand on y ajoutait de la poussière de charbon pour favoriser l’évaporation de l’arsenic.

À chaque réduction, il passe un peu de fer dans les scories : à la sixième, le régule avait une demi-ductilité, et était toujours sensible à l’aimant.

Dans les différentes opérations faites par M. Bergman pour parvenir à purifier le nickel, soit par les calcinations, soit en le traitant avec le soufre, il a obtenu des régules dont la densité variait depuis 70 828, jusqu’à 88 751[2]. Ces régules étaient quelquefois très cassants, quelquefois assez ductiles pour qu’un grain d’une ligne de diamètre formât une plaque de trois lignes sur l’enclume ; ils étaient plus ou moins fusibles, et souvent aussi réfractaires que le fer forgé, et tous étaient non seulement attirables à l’aimant, mais même il a observé qu’un de ces régules attirait toutes sortes de fer, et que ses parties s’attiraient réciproquement : ce même régule donne, par l’alcali volatil, une dissolution de couleur bleue.

M. Bergman a aussi essayé de purifier le nickel par le foie de soufre, qui a une plus grande affinité avec le cobalt qu’avec le nickel ; et il est parvenu à séparer ainsi la plus grande partie de ce dernier : le régule de nickel, obtenu après cette dissolution par le foie de soufre, ne conserve guère son magnétisme ; mais on le lui rend en séparant les matières hétérogènes qui, dans cet état, couvrent le fer.

Il a de même traité le nickel avec le nitre, le sel ammoniac, l’alcali volatil, et par la dissolution dans l’acide nitreux et la calcination par le nitre, il l’a privé de presque tout son cobalt ; le sel ammoniac en a séparé un peu de fer ; mais le nickel retient toujours une certaine quantité de ce métal ; et M. Bergman avoue avoir épuisé tous les moyens de l’art, sans pouvoir le séparer entièrement du fer.

Le régule de nickel contient quelquefois du bismuth ; mais on les sépare aisément en faisant dissoudre ce régule dans l’acide nitreux, et précipitant le bismuth par l’eau.

M. Bergman a encore observé que le nickel donne au verre la couleur d’hyacinthe, et il conclut de ses expériences :

1o Qu’il est possible de séparer tout l’arsenic du nickel ;

2o Que, quoiqu’il tienne quelquefois du cuivre, il est également facile de le purifier de ce mélange ; et que, quoiqu’il donne la couleur bleue avec l’alcali volatil, cette propriété ne prouve pas plus l’identité du cuivre et du nickel, que la couleur jaune des dissolutions d’or et de fer dans l’eau régale ne prouve l’identité de ces métaux ;

3o Que le cobalt n’est pas plus essentiel au nickel, puisqu’on parvient à l’en séparer, et même que le cobalt précipite le nickel de sa dissolution par le foie de soufre ;

4o Qu’il n’est pas possible de le priver de tout son fer, et que plus on multiplie les opérations pour l’en dépouiller, plus il devient magnétique et difficile à fondre ; ce qui le porte à penser qu’il n’est, comme le cobalt et le manganèse, qu’une modification particulière du fer. Voici ses termes :

« Solum itaque jam ferrum restat, et sanè variæ eædemque non exigui momenti rationes suadent niccolum et cobaltum et magnesiam forsan non aliter ac diversissimas ferri modificationes esse considerandas[3]. » On voit, par ce dernier passage, que ce grand chimiste a trouvé par l’analyse ce que j’avais présumé par les analogies, et qu’on effet le cobalt, le nickel et le manganèse ne sont pas des demi-métaux purs, mais des alliages de différents minéraux mélangés, et si intimement unis au fer qu’on ne peut les séparer.

Le cobalt, le nickel et le manganèse, ne pouvant être dépouillés de leur fer, restent donc tous trois attirables à l’aimant : ainsi, de la même manière qu’après les six métaux, il se présente une matière nouvellement découverte à laquelle on donne le nom de platine, et qui ne paraît être qu’un alliage d’or, ou d’une matière aussi pesante que l’or avec le fer dans l’état magnétique, il se trouve de même, après les trois substances demi-métalliques, de l’antimoine, du bismuth et du zinc, il se trouve, dis-je, trois substances minérales, qui, comme le platine, sont toujours attirables a l’aimant et qui, dès lors, doivent être considérées comme des alliages naturels du fer avec d’autres minéraux ; et il me semble que, par cette raison, il serait à propos de séparer le cobalt[4], le nickel et le manganèse des demi-métaux simples, comme le platine doit l’être des métaux purs, puisque ces quatre minéraux ne sont pas des substances simples[NdÉ 1], mais des composés ou alliages qui ne peuvent être mis au nombre des métaux ou des demi-métaux dont l’essence, comme celle de toute autre matière pure, consiste dans l’unité de substance.

Le nickel peut s’unir avec tous les métaux et demi-métaux ; cependant le régule non purifié ne s’allie point avec l’argent, mais le régule pur s’unit à parties égales avec ce métal, et n’altère ni sa couleur ni sa ductilité. Le nickel s’unit aisément avec l’or, plus difficilement avec le cuivre, et le composé qui résulte de ces alliages est moins ductile que ces métaux, parce qu’ils sont devenus aigres par le fer, qui, dans le nickel, est toujours attirable à l’aimant. Il s’allie facilement avec l’étain et lui donne aussi de l’aigreur ; il s’unit plus difficilement avec le plomb, et rend le zinc presque fragile ; le fer forgé devient au contraire plus ductile lorsqu’on l’allie avec le nickel ; si on le fond avec le soufre, il se cristallise en aiguilles[5] ; enfin, le nickel ne s’amalgame pas plus que le cobalt et le fer avec le mercure[6], même par le secours de la chaleur et de la trituration.

Au reste, le minerai du nickel diffère de celui du cobalt en ce qu’étant exposé à l’air il se couvre d’une efflorescence verte, au lieu que celle du cobalt est d’un rouge rosacé. Le nickel se dissout dans tous les acides minéraux et végétaux ; toutes ses dissolutions sont vertes et il donne avec le vinaigre des cristaux d’un beau vert.

Le régule du nickel est un peu jaunâtre à l’extérieur, mais, dans l’intérieur, sa substance est d’un beau blanc ; elle est composée de lames minces comme celles du bismuth. La dissolution de ce régule par l’acide nitreux ou par l’acide marin est verte comme les cristaux de son minerai, et ces deux acides sont les seuls qui puissent dissoudre ce régule ; car l’acide vitriolique, non plus que les acides végétaux, n’ont aucune action sur lui.

Mais, comme nous l’avons dit, ce régule n’est pas un minéral pur ; il est toujours mêlé de fer, et, comme ses efflorescences sont vertes, et que les cristaux de sa dissolution conservent cette même couleur, on y a supposé du cuivre qu’on n’y a pas trouvé, tandis que le fer paraît être une substance toujours inhérente dans sa composition : au reste, ce régule, lorsqu’il est pur, c’est-à-dire purgé de toute autre matière étrangère, résiste au plus grand feu de calcination, et il prend seulement une couleur noire, sans se convertir en verre.


Notes de Buffon
  1. Lettres du docteur Demeste, t. II, p. 139.
  2. La pesanteur spécifique du régule de nickel, suivant M. Brisson, est de 78 070, ce qui est un terme moyen entre les pesanteurs spécifiques 70 828 et 88 751, données par M. Bergman.
  3. Dissert. de niccolo. Opuscul., t. II, p. 260.
  4. M. Brandt, chimiste suédois, est le premier qui ait placé le cobalt au rang des demi-métaux ; auparavant, on ne le regardait que comme une terre minérale plus ou moins friable.
  5. M. Bergman, Dissert. de niccolo. — M. de Morveau, Éléments de chimie, t. Ier, p. 232.
  6. Idem, t. III, p. 447.
Notes de l’éditeur
  1. Buffon se trompe ; ces quatre substances ont tous les caractères des corps dits simples.