Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des minéraux/Des sels



DES SELS

Les matières salines[NdÉ 1] sont celles qui ont de la saveur ; mais d’où leur vient cette propriété qui nous est si sensible, et qui affecte les sens du goût, de l’odorat et même celui

du toucher ? Quel est-ce principe salin ? Comment et quand a-t-il été formé ? Il était certainement contenu et relégué dans l’atmosphère, avec toutes les autres matières volatiles, dans le temps de l’incandescence du globe ; mais, après la chute des eaux et la dépuration de l’atmosphère, la première combinaison qui s’est faite dans cette sphère encore ardente a été celle de l’union de l’air et du feu ; cette union a produit l’acide primitif : toutes les matières aqueuses, terreuses ou métalliques avec lesquelles cet acide primitif a pu se combiner, sont devenues des substances salines ; et comme cet acide s’est formé par la seule union de l’air avec le feu, il me paraît que ce premier acide, le plus simple et le plus pur de tous, est l’acide aérien, auquel les chimistes récents ont donné le nom d’acide méphitique, qui n’est que de l’air fixe[NdÉ 2], c’est-à-dire de l’air fixé par le feu.

Cet acide primitif est le premier principe salin ; il a produit tous les autres acides et alcalis ; il n’a pu se combiner d’abord qu’avec les verres primitifs, puisque les autres matières n’existaient pas encore : par son union avec cette terre vitrifiée, il a pris plus de masse et acquis plus de puissance, et il est devenu acide vitriolique, qui, étant plus fixe et plus fort, s’est incorporé avec toutes les substances qu’il a pu pénétrer ; l’acide aérien, plus volatil, se trouve universellement répandu, et l’acide vitriolique réside principalement dans les argiles et autres détriments des verres primitifs ; il s’y manifeste sous la forme d’alun : ce second acide a aussi saisi dans quelques lieux les substances calcaires et a formé les gypses ; il a saisi la plupart des minéraux métalliques, et leur a causé de grandes altérations ; il en a pour, ainsi dire converti quelques-uns dans sa propre substance, en leur donnant la forme du vitriol.

En second lieu, l’acide primitif, que je désignerai dorénavant par le nom d’acide aérien, s’est uni avec les matières métalliques qui, comme les plus pesantes, sont tombées les premières sur le globe vitrifié ; et en agissant sur ces minerais métalliques, il a formé l’acide arsenical ou l’arsenic, qui, ayant encore plus de masse que le vitriolique, a aussi plus de force, et de tous est le plus corrosif ; il se présente dans la plupart des mines dont il a minéralisé et corrompu les substances.

Ensuite, mais plusieurs siècles après, cet acide primitif, en s’unissant à la matière calcaire, a formé l’acide marin, qui est moins fixe et plus léger que l’acide vitriolique, et qui, par cette raison, s’est plus universellement répandu, et se présente sous la forme de sel gemme dans le sein de la terre, et sous celle de sel marin dans l’eau de toutes les mers ; cet acide marin n’a pu se former qu’après la naissance des coquillages, puisque la matière calcaire n’existait pas auparavant.

Peu de temps après, ce même acide aérien et primitif est entré dans la composition de tous les corps organisés ; et, se combinant avec leurs principes, il a formé par la fermentation les acides animaux et végétaux, et l’acide nitreux par la putréfaction de leurs détriments ; car il est certain que cet acide aérien existe dans toutes les substances animales ou végétales, puisqu’il s’y manifeste sous sa forme primitive d’air fixe ; et comme on peut le retirer sous cette même forme, tant de l’acide nitreux que des acides vitriolique et marin, et même de l’arsenic, on ne peut douter qu’il ne fasse partie constituante de tous ces acides qui ne sont que secondaires, et qui, comme l’on voit, ne sont pas simples, mais composés de cet acide primitif différemment combiné, tant avec la matière brute qu’avec les substances organisées.

Cet acide primitif réside dans l’atmosphère, et y réside en grande quantité sous sa forme active : il est le principe et la cause de toutes les impressions qu’on attribue aux éléments humides ; il produit la rouille du fer, le vert-de-gris du cuivre, la céruse du plomb, etc., par l’action qu’il donne à l’humidité de l’air ; mêlé avec les eaux pures, il les rend acides ou acidules ; il aigrit les liqueurs fermentées ; avec le vin il forme le vinaigre ; enfin, il me paraît être le seul et vrai principe non seulement de tous les acides, mais de tous les alcalis, tant minéraux que végétaux et animaux.

On peut le retirer du natron ou alcali qu’on appelle minéral, ainsi que de l’alcali fixe végétal, et encore plus abondamment de l’alcali volatil, en sorte qu’on doit réduire tous tes acides et tous les alcalis à un seul principe salin ; et ce principe est l’acide aérien qui a été le premier formé, et qui est le plus simple, le plus pur de tous, et le plus universellement répandu : cela me paraît d’autant plus vrai que nous pouvons par notre art rappeler à cet acide tous les autres acides, ou du moins les rapprocher de sa nature, en les dépouillant, par des opérations appropriées, de toutes les matières étrangères avec lesquelles il se trouve combiné dans ces sels ; et que, de même, il n’est pas impossible de ramener les alcalis à l’état d’acide, en les séparant des substances animales et végétales avec lesquelles tout alcali se trouve toujours uni ; car, quoique la chimie ne soit pas encore parvenue à faire cette conversion ou ces réductions, elle en a assez fait pour qu’on puisse juger par analogie de leur possibilité : le plus ingénieux des chimistes, le célèbre Stahl, a regardé l’acide vitriolique comme l’acide universel, et comme le seul principe salin ; c’est la première idée d’après laquelle il a voulu établir sa théorie des sels ; il a jugé que, quoique la chimie n’ait pu jusqu’à ce jour ramener démonstrativement les alcalis à l’acide, c’est-à-dire résoudre ce que la nature a combiné, il ne fallait s’en prendre qu’à l’impuissance de nos moyens. Rien n’est mieux vu : ce grand chimiste a ici consulté la simplicité de la nature ; il a senti qu’il n’y avait qu’un principe salin, et comme l’acide vitriolique est le plus puissant des acides, il s’est cru fondé à le regarder comme l’acide primitif ; c’était ce qu’il pouvait penser de mieux dans un temps où l’on n’avait que des idées confuses de l’acide aérien, qui est non seulement plus simple, mais plus universel que l’acide vitriolique ; mais, lorsque cet habile homme a prétendu que son acide universel et primitif n’est composé que de terre et d’eau, il n’a fait que mettre en avant une supposition dénuée de preuves et contraire à tous les phénomènes, puisque de fait, l’air et le feu entrent peut-être plus que la terre et l’eau dans la substance de tout acide, et que ces deux éléments constituent seuls l’essence de l’acide primitif.

Des quatre éléments qui sont les vrais principes de tous les corps, le feu seul est actif ; et lorsque l’air, la terre et l’eau exercent quelque impression, ils n’agissent que par le feu qu’ils renferment, et qui seul peut leur donner une puissance active : l’air surtout, dont l’essence est plus voisine de celle du feu que celle des deux derniers éléments, est aussi plus actif. L’atmosphère est le réceptacle général de toutes les matières volatiles ; c’est aussi le grand magasin de l’acide primitif, et d’ailleurs tout acide considéré en lui-même, surtout lorsqu’il est concentré, c’est-à-dire séparé autant qu’il est possible de l’eau et de la terre, nous présente les propriétés du feu animé par l’air : la corrosion par les acides minéraux n’est-elle pas une espèce de brûlure ? La saveur acide, amère ou âcre de tous les sels, n’est-elle pas un indice certain de la présence et de l’action d’un feu qui se développe dès qu’il peut, avec l’air, se dégager de la base aqueuse ou terreuse à laquelle il est uni ? Et cette saveur, qui n’est que la mise en liberté de l’air et du feu, ne s’opère-t-elle pas par le contact de l’eau et de toute matière aqueuse, telle que la salive, et même par l’humidité de la peau ? Les sels ne sont donc corrosifs et même sapides que par le feu et l’air qu’ils contiennent. Cette vérité peut se démontrer encore par la grande chaleur que produisent tous les acides minéraux dans leur mélange avec l’eau, ainsi que par leur résistance à l’action de la forte gelée : la présence du feu et de l’air dans le principe salin me paraît donc très évidemment démontrée par les effets, quand même on regarderait, avec Stahl, l’acide vitriolique comme l’acide primitif et le premier principe salin ; car l’air s’en dégage en même temps que le feu par l’intermède de l’eau comme dans la pyrite ; et cette action de l’humidité produit non seulement de la chaleur, mais une espèce de flamme intérieure et de feu réellement actif, qui brûle en corrodant toutes les substances auxquelles l’acide peut s’unir, et ce n’est que par le moyen de l’air que le feu contracte cette union avec l’eau.

L’acide aérien altère aussi tous les sucs extraits des végétaux ; il produit le vinaigre et le tartre ; il forme dans les animaux l’acide auquel on a donné le nom d’acide phosphorique : ces acides des végétaux et des animaux, ainsi que tous ceux qu’on pourrait regarder comme intermédiaires, tels que l’acide des citrons, des grenades, de l’oseille, et ceux des fourmis, de la moutarde, etc., tirent également leur origine de l’acide aérien modifié dans chacune de ces substances par la fermentation, ou par le mélange d’une plus ou moins grande quantité d’huile ; et même les substances dont la saveur est douce, telles que le sucre, le miel, le lait, etc., ne diffèrent de celles qui sont aigres et piquantes, comme les citrons, le vinaigre, etc., que par la quantité et la qualité du mucilage et de l’huile qui enveloppe l’acide ; car leur principe salin est le même, et toutes leurs saveurs, quoique si différentes, doivent se rapporter à l’acide primitif, et a son union avec l’eau, l’huile et la terre mucilagineuse des substances animales et végétales.

On adoucit tous les acides et même l’acide vitriolique, en les mêlant aux substances huileuses, et particulièrement à l’esprit-de-vin ; et c’est dans cet état huileux, mucilagineux et doux, que l’acide aérien se trouve dans plusieurs substances végétales, et dans les fruits dont l’acidité ou la saveur plus douce ne dépend que de la quantité d’eau, d’huile et de terre atténuée et mucilagineuse dans lesquelles cet acide se trouve combiné ; l’acide animal appartient aux végétaux comme aux animaux, car on le tire de la moutarde et de plusieurs autres plantes, aussi bien que des insectes et autres animaux ; on doit donc en inférer que les acides animaux et les acides végétaux sont les mêmes, et qu’ils ne diffèrent que par la quantité ou la qualité des matières avec lesquelles ils sont mêlés ; et, en les examinant en particulier, on verra bien que le vinaigre, par exemple, et le tartre étant tous deux des produits du vin, leurs acides ne peuvent différer essentiellement ; la fermentation a seulement plus développé celui du vinaigre, et l’a même rendu volatil et presque spiritueux : ainsi tous les acides des animaux ou des végétaux, et même les acerbes, qui ne sont que des acides mêlés d’une huile amère, tirent leur première origine de l’acide aérien.

Les acides minéraux sont beaucoup plus forts que les acides animaux et végétaux. « Ces derniers acides, dit M. Macquer, retiennent toujours de l’huile, au lieu que les acides minéraux n’en contiennent point du tout[1]. » Il me semble que cette dernière assertion doit être interprétée ; car il faut reconnaître que, si les acides minéraux dans leur état de pureté ne contiennent aucune huile, ils peuvent en passant à l’état de sel, par leur union avec diverses terres, se charger en même temps de parties huileuses ; et en effet, la matière grasse des sels, dans les eaux mères, paraît être une substance huileuse, puisqu’elle se réduit à l’état charbonneux par la combustion[2] : les sels minéraux contiennent donc une huile qui paraît leur être essentielle, et celle qui se trouve de plus dans les acides tirés des animaux et des végétaux ne leur est qu’accessoire ; c’est probablement par l’affinité de cette matière grasse avec les huiles végétales et les graisses animales que l’acide minéral peut se combiner dans les végétaux et dans les animaux.

Les acides et les alcalis sont des principes salins, mais ne sont pas des sels : on ne les trouve nulle part dans leur état pur et simple, et ce n’est que quand ils sont unis à quelque matière qui puisse leur servir de base qu’ils prennent la forme de sel, et qu’ils doivent en porter le nom ; cependant les chimistes les ont appelés sels simples, et ils ont nommé sels neutres les vrais sels. Je n’ai pas cru devoir employer cette dénomination, parce qu’elle n’est ni nécessaire ni précise ; car, si l’on appelle sel neutre tout sel dont la base est une et simple, il faudra donner le nom d’hépar aux sels dont la base n’est pas simple, mais composée de deux matières différentes, et donner un troisième, quatrième, cinquième nom, etc., à ceux dont la base est composée de deux, trois, quatre, etc., matières différentes : c’est là le défaut de toutes les nomenclatures méthodiques ; elles sont forcées de disparaître dès que l’on veut les appliquer aux objets réels de la nature.

Nous donnerons donc le nom de sel à toutes les matières dans lesquelles le principe salin est entré, et qui ont une saveur sensible ; et nous ne présenterons d’abord que les sels qui sont formés par la nature, soit en masses solides dans le sein de la terre, soit en dissolution dans l’air et dans l’eau : on peut appeler sels fossiles ceux qu’on tire de la terre ; les vitriols, l’alun, la sélénite, le natron, l’alcali fixe végétal, le sel marin, le nitre, le sel ammoniac, le borax, et même le soufre et l’arsenic, sont tous des sels formés par la nature ; nous tâcherons de reconnaître leur origine et d’expliquer leur formation, en nous aidant des lumières que la chimie a répandues sur cet objet plus que sur aucun autre, et les réunissant aux faits de l’histoire naturelle qu’on ne doit jamais en séparer.

La nature nous offre en stalactites les vitriols du fer, du cuivre et du zinc ; l’alun en filets cristallisés ; la sélénite en gypse aussi cristallisé ; le natron en masse solide et pure, ou simplement mêlé de terre ; le sel marin en cristaux cubiques et en masses immenses ; le nitre en efflorescences cristallisées ; le sel ammoniac en poudre sublimée par les feux souterrains ; le borax en eau gélatineuse, et l’arsenic en terre métallique ; elle a d’abord formé l’acide aérien par la seule et simple combinaison de l’air et du feu ; cet acide primitif, s’étant ensuite combiné avec toutes les matières terreuses et métalliques, a produit l’acide vitriolique avec la terre vitrifiable, l’arsenic avec les matières métalliques, l’acide marin avec les substances calcaires, l’acide nitreux avec les détriments putréfiés des corps organisés : il a de même produit les alcalis par la végétation ; l’acide du tartre et du vinaigre par la fermentation ; enfin, il est entré sous sa propre forme dans tous les corps organisés : l’air fixe que l’on tire des matières calcaires, celui qui s’élève par la première fermentation de tous les végétaux, ou qui se forme par la respiration des animaux, n’est que ce même acide aérien, qui se manifeste aussi par sa saveur dans les eaux acidules, dans les fruits, les légumes et les herbes ; il a donc produit toutes les substances salines, il s’est étendu sur tous les règnes de la nature ; il est le premier principe de toute saveur, et, relativement à nous, il est pour l’organe du goût ce que la lumière et les couleurs sont pour le sens de la vue.

Et les odeurs qui ne sont que des saveurs plus fines, et qui agissent sur l’odorat qui n’est qu’un sens de goût plus délicat, proviennent aussi de ce premier principe salin, qui s’exhale en parfums agréables dans la plupart des végétaux, et en mauvaises odeurs dans certaines plantes et dans presque tous les animaux ; il s’y combine avec leurs huiles grossières ou volatiles, il s’unit à leur graisse, à leurs mucilages ; il s’élabore avec leur sève et leur sang, il se transforme en acides aigres, acerbes ou doux, en alcalis fixes ou volatils, par le travail de l’organisation auquel il a grande part ; car, c’est après le feu le seul agent de la nature, puisque c’est par ce principe salin que tous les corps acquièrent leurs propriétés actives, non seulement sur nos sens vivants du goût et de l’odorat, mais encore sur les matières brutes et mortes, qui ne peuvent être attaquées et dissoutes que par le feu ou par ce principe salin. C’est le ministre secondaire de ce grand et premier agent qui, par sa puissance sans bornes, brûle, fond ou vitrifie toutes les substances passives, que le principe salin, plus faible et moins puissant, ne peut qu’attaquer, entamer et dissoudre, et cela parce que le feu y est tempéré par l’air auquel il est uni et que, quand il produit de la chaleur ou d’autres effets semblables à ceux du feu, c’est qu’on sépare cet élément de la base passive dans laquelle il était renfermé.

Tous les sels dissous dans l’eau se cristallisent en forme assez régulière, par une évaporation lente et tranquille ; mais, lorsque l’évaporation de l’eau se fait trop promptement, ou qu’elle est troublée par quelque mouvement extérieur, les cristaux salins ne se forment qu’imparfaitement et se groupent confusément. Les différents sels donnent des cristaux de figures différentes ; ils se produisent principalement à la surface du liquide, à mesure qu’il s’évapore, ce qui prouve que l’air contribue à leur formation, et qu’elle ne dépend pas uniquement du rapprochement des parties salines qui s’unissent, à la vérité, par leur attraction mutuelle, mais qui ont besoin pour cela d’être mises en liberté parfaite : or elles n’obtiennent cette liberté entière qu’à la surface du liquide, parce que sa résistance augmente avec sa densité par l’évaporation ; en sorte que les parties salines se trouvent, à la vérité, plus voisines par la diminution du volume du liquide, mais elles ont en même temps plus de peine à vaincre sa résistance, qui augmente dans la même proportion que ce volume diminue ; et c’est par cette raison que toutes les cristallisations des sels s’opèrent plus efficacement et plus abondamment à la surface qu’à l’intérieur du liquide en évaporation.

Lorsque l’on a tiré par ce moyen tout le sel en cristaux que le liquide chargé de sel peut fournir, il en reste encore dans l’eau mère, mais ce sel y est si fort engagé avec la matière grasse qu’il n’est plus susceptible de rapprochement de cristallisation ; et même si cette matière grasse est en très grande quantité, l’eau ne peut plus en dissoudre le sel ; cela prouve que la solubilité dans l’eau n’est pas une propriété inhérente et essentielle aux substances salines.

Il en est du caractère de la cristallisation comme de celui de la solubilité : la propriété de se cristalliser n’est pas plus essentielle aux sels que celle de se dissoudre dans l’eau, et l’un de nos plus judicieux physiciens, M. de Morveau, a eu raison de dire « que la saveur est le seul caractère distinctif des sels, et que les autres propriétés, qu’on a voulu ajouter à celle-ci pour perfectionner leur définition, n’ont servi qu’à rendre plus incertaines les limites que l’on voulait fixer…, la solubilité par l’eau ne convenant pas plus aux sels qu’à la gomme et à d’autres matières : il en est de même de la cristallisation, puisque tous les corps sont susceptibles de se cristalliser en passant de l’état liquide à l’état solide ; et il en est encore de même, ajoute-t-il, de la qualité qu’on suppose aux sels de n’être point combustibles par eux-mêmes ; car, dans ce cas, le nitre ammoniacal ne serait plus un sel[3]. »

Nos définitions, qui pèchent si souvent par défaut, pèchent aussi, comme l’on voit, quelquefois par excès : l’un nuit au complément, et l’autre à la précision de l’idée qui représente la chose, et les énumérations qu’on se permet de faire en conséquence de cette extension des définitions nuisent encore plus à la netteté de nos vues, et s’opposent au libre exercice de l’esprit en le surchargeant de petites idées particulières, souvent précaires, en lui présentant des méthodes arbitraires qui l’éloignent de l’ordre réel des choses, et enfin, en l’empêchant de s’élever au point de pouvoir généraliser les rapports que l’on doit en tirer. Quoiqu’on puisse donc réduire tous les sels de la nature à un seul principe salin, et que ce principe primitif soit, selon moi, l’acide aérien, la nombreuse énumération qu’on a faite des sels sous différents noms ne pouvait manquer de s’opposer à cette vue générale ; on a cru jusqu’au temps de Stahl, et plusieurs chimistes croient encore, que les principes salins, dans l’acide nitreux et dans l’acide marin, sont très différents de celui de l’acide vitriolique, et que ces mêmes principes sont non seulement différents, mais opposés et contraires dans les acides et dans les alcalis ; or n’est-ce pas admettre autant de causes qu’il y a d’effets dans un même ordre de choses ? C’est donner la nomenclature pour la science, et substituer la méthode au génie.

De la même manière qu’on a fait et compté trois sortes d’acides relativement aux trois règnes, les acides minéraux, végétaux et animaux, on compte aussi trois sortes d’alcalis, le minéral, le végétal et l’animal ; et néanmoins ces trois alcalis doivent se réduire à un seul, et même l’alcali peut aussi se ramener à l’acide, puisqu’ils paraissent opposés, et qu’ils agissent violemment l’un contre l’autre.

Nous ne suivrons donc pas, en traitant des sels, l’énumération très nombreuse qu’on en a faite en chimie, d’autant que chaque jour ce nombre peut augmenter, et que les combinaisons qui n’ont pas encore été tentées pourraient donner de nouveaux résultats salins dont la formation, comme celle de la plupart des autres sels, ne serait due qu’à notre art ; nous nous contenterons de présenter les divisions générales, en nous attachant particulièrement aux sels que nous offre la nature, soit dans le sein et à la surface de la terre, soit au sommet de ses volcans[4].

Nous venons de voir que la première division des acides et des alcalis en minéraux, végétaux et animaux, est plutôt une partition nominale qu’une division réelle, puisque tous ne sont au fond que la même substance saline, qui, seule et sans secours, entre dans les végétaux et les animaux, et qui attaque aussi la plupart des matières vitrifiables, calcaires et métalliques ; ce n’est que relativement à ce dernier effet qu’on lui a donné le nom d’acide minéral ; et, comme cette division en acides minéraux, végétaux et animaux, a été universellement adoptée, je ne sais pourquoi l’on n’a pas rappelé l’acide nitreux à l’acide végétal et animal, puisqu’il n’est produit que par la putréfaction des corps organisés : cependant on le compte parmi les acides minéraux, parce qu’il est le plus puissant après l’acide vitriolique ; mais cette puissance même et ses autres propriétés me semblent démontrer que c’est toujours le même acide, c’est-à-dire l’acide aérien, qui a passé par les végétaux et par les animaux dans lesquels il s’est exalté avec la matière du feu, par la fermentation putride de leurs corps, et que c’est par ces combinaisons multipliées qu’il a pris tous les caractères particuliers qui le distinguent des autres acides.

Dans les végétaux, lorsque l’acide aérien se trouve mêlé d’huile douce ou enveloppé de mucilage, la saveur est agréable et sucrée : l’acide des fruits, du raisin, par exemple, ne prend de l’aigreur que par la fermentation, et néanmoins tous les sels tirés des végétaux contiennent de l’acide, et ils ne diffèrent entre eux que par les qualités qu’ils acquièrent en fermentant et qu’ils empruntent de l’air en se joignant à l’acide qu’il contient ; et de même que tous les acides végétaux aigres ou doux, acerbes ou sucrés, ne prennent ces saveurs différentes que par les premiers effets de la fermentation, l’acide nitreux n’acquiert ses qualités caustiques et corrosives que par cette même fermentation portée au dernier degré, c’est-à-dire à la putréfaction : seulement nous devons observer que l’acide animal entre peut-être autant et plus que le végétal dans le nitre ; car, comme cet acide subit encore de nouvelles modifications en passant du végétal à l’animal, et que tous deux se trouvent réunis dans les matières putréfiées, ils s’y rassemblent, s’exaltent ensemble, et se combinant avec l’alcali fixe végétal, ils forment le nitre dont l’acide, malgré toutes ces transformations, n’en est pas moins essentiellement le même que l’acide aérien.

Tous les acides tirent donc leur première origine de l’acide aérien, et il me semble qu’on ne pourra guère en douter si l’on pèse toutes les raisons que je viens d’exposer, et auxquelles je n’ajouterai qu’une considération qui est encore de quelque poids. On conserve tous les acides, même les plus forts et les plus concentrés, dans des flacons ou vaisseaux de verre ; ils entameraient toute autre matière : or, dans les premiers temps, le globe entier n’était qu’une masse de verre sur laquelle les acides minéraux, s’ils eussent existé, n’auraient pu faire aucune impression, puisqu’ils n’en font aucune sur notre verre : l’acide aérien au contraire agit sur le verre, et peu à peu l’entame, l’exfolie, le décompose et le réduit en terre ; par conséquent, cet acide est le premier et le seul qui ait agi sur la masse vitreuse du globe, et, comme il était alors aidé d’une forte chaleur, son action en était d’autant plus prompte et plus pénétrante ; il a donc pu, en se mêlant intimement avec la terre vitrifiée, produire l’acide vitriolique qui n’a plus d’action sur cette même terre, parce qu’il en contient et qu’elle lui sert de base : dès lors cet acide, le plus fort et le plus puissant de tous, n’est néanmoins ni le plus simple de tous, ni le premier formé, il est le second dans l’ordre de formation, l’arsenic est le troisième, l’acide marin le quatrième, etc., parce que l’acide primitif aérien n’a d’abord pu saisir que la terre vitrifiée, ensuite la terre métallique[5], puis la terre calcaire, etc., à mesure et dans le même ordre que ces matières se sont établies sur la masse du globe vitrifié : je dis à mesure et dans le même ordre, parce que les matières métalliques sont tombées les premières de l’atmosphère où elles étaient reléguées et étendues en vapeurs ; elles ont rempli les interstices et les fentes du quartz et des autres verres primitifs, où l’acide aérien les ayant saisies a produit l’acide arsenical ; ensuite, après la production et la multiplication des coquillages, les matières calcaires, formées de leurs débris, se sont établies, et l’acide aérien les ayant pénétrées a produit l’acide marin, et successivement les autres acides et les alcalis après la naissance des animaux et des végétaux ; enfin, la production des acides et des alcalis a nécessairement précédé la formation des sels, qui tous supposent la combinaison de ces mêmes acides ou alcalis avec une matière terreuse ou métallique, laquelle leur sert de base et contient toujours une certaine quantité d’eau qui entre dans la cristallisation de tous les sels ; en sorte qu’ils sont beaucoup moins simples que les acides ou alcalis, qui seuls sont les principes de leur essence saline.

Ceci était écrit, ainsi que la suite de cette histoire naturelle des sels, et j’étais sur le point de livrer cette partie de mon ouvrage à l’impression, lorsque j’ai reçu (au mois de juillet de cette année 1782), de la part de M. le chevalier Marsilio Landriani, de Milan, le troisième volume de ses opuscules physico-chimiques, dans lequel j’ai vu, avec toute satisfaction, que cet illustre et savant physicien a pensé comme moi sur l’acide primitif. Il dit expressément « que l’acide universel, élémentaire, primitif, dans lequel peuvent se résoudre tous les acides connus jusqu’à ce jour, est l’acide méphitique, cet acide qui, étant combiné avec la chaux vive, l’adoucit et la neutralise, qui, mêlé avec les eaux, les rend acidulés et pétillantes ; c’est l’air fixe de Black, le gaz méphitique de Macquer, l’acide atmosphérique de Bergman. «

M. le chevalier Landriani prouve son assertion par des expériences ingénieuses[6] : il a pensé avec notre savant académicien, M. Lavoisier, que l’air fixe ou l’acide méphitique se forme par la combinaison de l’air et du feu, et il conclut par dire : « Il me paraît hors de doute : 1o que l’air déphlogistiqué, au moment qu’il s’élève des corps capables de le produire, se change en air fixe, s’il est surpris par le phlogistique dans le moment de sa formation ;

» 2o Que, comme il résulte des expériences que les acides nitreux, vitriolique, marin, phosphorique, arsenical, unis à certaines terres, peuvent se changer en air déphlogistiqué, lequel de son côté peut aisément se convertir en air fixe ; et comme d’autre part l’acide du sucre, celui de la crème de tartre, celui du vinaigre, celui des fourmis, etc., peuvent aussi aisément se convertir en air fixe, par le moyen de la chaleur, il est assez démontré que tous les acides peuvent être convertis en air fixe, et que cet air fixe est peut-être l’acide universel, comme étant le plus commun et se rencontrant le plus fréquemment dans les diverses productions de la nature. »

Je suis sur tout cela du même avis que M. le chevalier Landriani, et je n’ai d’autre mérite ici que d’avoir reconnu, d’après mon système général sur la formation du globe, que le plus pur et le plus simple des acides avait dû se former le premier par la combinaison de l’air et du feu, et que par conséquent on devait le regarder comme l’acide primitif dont tous les autres ont tiré leur origine ; mais je n’étais pas en état de démontrer par les faits, comme ce savant physicien vient de le faire, que tous les acides, de quelque espèce qu’ils soient, peuvent être convertis en cet acide primitif, ce qui confirme victorieusement mon opinion ; car cette conversion des acides doit être réciproque et commune, en sorte que tous les acides ont pu être formés par l’acide aérien, puisque tous peuvent être ramenés à la nature de cet acide.

Il me paraît donc plus certain que jamais, tant par ma théorie que par les expériences de M. Landriani, que l’acide aérien, c’est-à-dire l’air fixe ou fixé par le feu, est vraiment l’acide primitif, et le premier principe salin dont tous les autres acides et alcalis tirent leur origine, et cet acide uniquement composé d’air et de feu n’a pu former les autres substances salines qu’en se combinant avec la terre et l’eau : aussi tous les autres acides contiennent de la terre et de l’eau ; et la quantité de ces deux éléments est plus grande dans tous les sels que celle de l’air et du feu ; ils prennent différentes formes selon les doses respectives des quatre éléments, et selon la nature de la terre qui leur sert de base ; et comme la proportion de la quantité des quatre éléments dans les principes salins, et la qualité différente de la terre qui sert de base à chaque sel, peuvent toutes se combiner les unes avec les autres, le nombre des substances salines est si grand qu’il ne serait guère possible d’en faire une exacte énumération ; d’ailleurs toutes les combinaisons salines, faites par l’art de la chimie, ne doivent pas être mises sur le compte de la nature ; nos premières considérations doivent donc tomber sur les sels qui se forment naturellement soit à la surface, soit à l’intérieur de la terre : nous les examinerons séparément, et les présenterons successivement en commençant par les sels vitrioliques.


Notes de Buffon
  1. Dictionnaire de chimie, par M. Macquer, article Sel.
  2. Lettres de M. Desmeste, t. Ier, p. 51.
  3. Éléments de chimie, t. Ier, p. 127.
  4. Si l’on veut se satisfaire à cet égard, on peut consulter la table ci-jointe, que mon illustre ami, M. de Morveau, vient de publier. Cette nomenclature, quoique très abrégée, paraîtra néanmoins encore assez nombreuse.
    TABLEAU DE NOMENCLATURE CHIMIQUE
    Contenant les principales dénominations analogiques, et des exemples de formation des noms composés.
    RÈGNES. ACIDES. Les sels formés de ces acides prennent les noms génériques de
    des trois règnes. Méphitique ou air fixe. Méphites.
    Minéral
    Vitriolique. Vitriols.
    Nitreux. Nitres.
    Muriatique, ou du sel marin. Muriates.
    Régalin. Régaltes.
    Arsenical. Arséniates.
    Boracin ou sel sédatif. Borax.
    Fluorique ou du spath fluor. Fluors.
    Végétal
    Acéteux ou vinaigre. Acètes.
    Tartareux ou du tartre. Tartres.
    Oxalin ou de l’oseille. Oxaltes.
    Saccharin ou du sucre. Sacchartes.
    Citrin ou du citron. Citrates.
    Lignique ou du bois. Lignites.
    Animal
    Phosphorique. Phosphates.
    Formicin ou des fourmis. Formiates.
    Sébacés ou du suif. Sébates.
    Galactique ou du lait. Galactes.
    BASES OU SUBSTANCES
    qui s’unissent aux acides.
    EXEMPLES
    pour la classe des vitriols.
    EXEMPLES
    pris de diverses classes.
    Phlogistique. Soufre vitriolique ou soufre commun. Soufre méphitique ou plombagine.
    Alumine ou terre de l’argile. Vitriol alumineux ou alun. Nitre alumineux.
    Calce ou terre calcaire. Vitriol calcaire ou sélénite. Muriate calcaire.
    Magnésie. Vitriol magnésien ou sel d’Epsom. Acète de magnésie.
    Barote ou terre du spath pesant. Vitriol barotique ou spath pesant. Tartre barotique.
    Potasse ou alcali fixe végétal. Vitriol de potasse ou tartre vitriolé. Arséniate de potasse.
    Soude ou alcali fixe minéral. Vitriol de soude ou sel de Glaubert. Borax de soude ou borax commun.
    Ammoniac ou alcali volatil. Vitriol ammoniacal. Fluor ammoniacal.
    Or. Vitriol d’or. Régalte d’or.
    Argent. Vitriol d’argent. Oxalte d’argent.
    Platine. Vitriol de platine. Saccharte de platine.
    Mercure. Vitriol de mercure. Citrate de mercure.
    Cuivre. Vitriol de cuivre ou vitriol de Chypre. Lignite de cuivre.
    Plomb. Vitriol de plomb. Phosphate de plomb.
    Étain. Vitriol d’étain. Formiate d’étain.
    Fer. Vitriol de fer ou couperose verte. Sébaste martial.
    Antimoine (au lieu de régule d’). Vitriol antimonial. Muriate antimonial ou beurre d’antimoine.
    Bismuth. Vitriol de bismuth. Galacte de Bismuth.
    Zinc. Vitriol de zinc ou couperose blanche. Borax de zinc.
    Arsenic. Vitriol d’arsenic. Muriate d’arsenic.
    Cobalt. Vitriol de cobalt. Saccharte de cobalt.
    Nickel. Vitriol de nickel. Formiate de nickel.
    Manganèse. Vitriol de manganèse. Oxalte de manganèse.
    Esprit-de-vin. Éther vitriolique. Éther lignique ou éther de Goettling, etc., etc.

    Les dix-huit acides, les vingt-quatre bases et les produits de leur union forment ainsi quatre cent soixante-quatorze dénominations claires et méthodiques, indépendamment des hépars, ou composés à trois parties, dont les noms viennent encore dans ce système, comme hépar de soude, hépar ammoniacal, pyrite d’argent, etc., etc. Voyez le Journal de physique, t. XIX, mai 1782, p. 382.

  5. Les mines spathiques et les malachites contiennent notamment une très grande quantité d’acide aérien.
  6. « Que l’on prenne une certaine quantité d’acide vitriolique, qu’on y mêle une quantité donnée d’esprit-de-vin rectifié, comme pour faire l’éther vitriolique, qu’on en recueille les produits aériformes au moyen de l’appareil pneumatique, on obtiendra une quantité notable d’air fixe, de tout point semblable à celui qui se tire de la pierre calcaire, des substances alcalines, de celles qui sont en fermentation, etc. ; que l’on répète l’expérience avec d’autres acides, tels que le marin, le nitreux, avec les précautions nécessaires pour éviter les explosions et autres accidents, il se développera toujours dans la distillation une quantité notable d’air fixe.

    » J’ai tenté la même expérience, avec le même succès, avec l’acide de l’arsenic (*), le phosphorique, le vinaigre radical ; j’ai toujours obtenu une quantité notable d’air fixe, ayant les mêmes propriétés que celui que l’on obtient par les procédés du docteur Priestley, et je ne doute pas que l’on n’en tirât tout autant de l’acide spathique, de celui du sucre et du tartareux, puisque le sucre seul, décomposé par le feu, donne beaucoup d’air inflammable et d’air fixe, tel qu’on le tire aussi de l’acide du sucre, traité à la manière du célèbre Bergman. (Voyez les Opuscules choisis de Milan, t. II) Quant à l’acide tartareux découvert par Bergman, sans prendre la peine de le combiner avec l’esprit-de-vin, on sait, par les expériences de M. Berthollet, que la crème de tartre donne une prodigieuse quantité d’air fixe, et je ne doute pas que l’acide tartareux pur n’en produisit autant.

    » À l’extrémité d’un tube de verre ouvert des deux bouts, que l’on adapte avec de la cire d’Espagne un gros fil de fer dont une portion entrera dans le tube, l’autre restera dehors et sera terminée par une petite boule de métal ; que l’on remplisse le tube de mercure, et que l’on y introduise une certaine quantité d’air déphlogistiqué, tiré du précipité rouge, et une petite colonne d’eau de chaux, et que l’on décharge une grosse bouteille de Leyde plusieurs fois de suite à travers la colonne d’air, l’eau de chaux prendra de la blancheur, et déposera sur la superficie du mercure une quantité sensible de poudre blanche : si, au lieu d’eau de chaux, on avait introduit dans le tube de la teinture de tournesol, elle aurait rougi par la précipitation de l’air fixe que l’air déphlogistiqué tire du précipité rouge ; que l’on substitue de l’air déphlogistiqué, tiré du turbith minéral qu’on aura bien lavé, afin de le dépouiller de tout acide surabondant, et que cet air soit phlogistiqué par des décharges réitérées de la bouteille de Leyde, toujours il s’engendrera de l’air fixe. La même production d’air fixe aura lieu si l’on emploie de l’air déphlogistiqué tiré, ou du précipité couleur de brique obtenu par la solution du sublimé corrosif décomposé avec l’alcali caustique, ou de l’air déphlogistiqué, tiré des fleurs de zinc, saturées d’acide arsenical, ou du sel mercuriel acéteux, lavé dans beaucoup d’eau pour le dépouiller de tout acide surabondant, et qui n’aurait point été intimement combiné ; en un mot, tout air déphlogistiqué quelconque, obtenu par un acide quelconque, est en partie convertible en air fixe par les décharges réitérées de la bouteille de Leyde. » Opuscules physico-chimiques de M. le chevalier Landriani ; Milan, 1781, p. 62 et suiv.

    (*) La découverte de cet acide arsenical est due au célèbre Schéele ; cet acide se tire aisément en distillant de l’acide nitreux sur de l’acide cristallin, qui met à découvert l’acide arsenical. Voyez, dans les Opuscules choisis de Milan, t. II, le procédé commode et sûr de l’illustre Fabroni pour tirer ce nouvel acide ; et la dissertation de Bergman, qui renferme tout ce qui est su sur cet acide. (Note de M. de Morveau.)

Notes de l’éditeur
  1. Les erreurs fourmillent dans cet article comme dans le précédent. Il me paraît inutile de les relever, car le chapitre ne peut offrir d’intérêt qu’à des chimistes de profession, au point de vue historique. [Note de Wikisource : Il peut être utile, parmi ces erreurs, d’en signaler les principales, puisqu’elles grèvent tous les articles suivants.

    1o Les idées de Buffon sur la formation et la conversion des acides les uns dans les autres sont totalement erronées : il n’y a pas d’acide primaire dont tous les autres découlent, et il est impossible de convertir un acide en un quelconque autre, sauf cas particuliers. Idem pour les alcalis.

    2o Les acides et les alcalis ne sont pas, comme il le prétend, de même nature : bien au contraire, ils s’avèrent de nature opposée, l’un étant donneur, l’autre receveur de proton.

    3o Il est faux de dire avec Buffon que les sels sont composés d’acides et d’alcalis, qui imprègnent les solutions salines. Par exemple, pour Buffon, l’eau de mer est salée parce qu’elle contient de l’acide chlorhydrique et de la soude, qui précipiteraient en sel marin lors de l’évaporation. En réalité, il n’y a ni acide chlorhydrique ni soude dans l’eau de mer, qui tient en dissolution le sel sous forme d’atomes électriquement chargés, dits ions, libres, et non pas inclus dans des molécules d’acide ou d’alcali. Par ailleurs, il est bien possible de produire du sel en mélangeant acide chlorhydrique (HCl) et soude (NaOH), au cours d’une réaction qui, outre du sel (NaCl), produit de l’eau (H2O) ; mais, ainsi que le montrent les formules chimiques, le sel marin ne contient ni acide ni soude.

    4o Enfin, Buffon considère certaines espèces chimiques comme des sels, alors qu’elles ne le sont plus aujourd’hui ; ces espèces, telles le sucre, ne sont pas le produit de réactions entre acides et alcalis.

    Il faudra attendre la fin du xixe siècle pour que les chimistes disposent d’une théorie satisfaisante de l’acidité et de la dissociation des sels, grâce aux travaux d’Arrhenius, exactement contemporains de cette édition.]

  2. C’est l’acide carbonique [Note de Wikisource : soit le dioxyde de carbone (CO2), dans la nomenclature actuelle].