Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire naturelle des minéraux/Chrysolithe

CHRYSOLITHE

Les pierres auxquelles on donne aujourd’hui le nom de chrysolithes ne sont que des cristaux-topazes dont le jaune est mêlé d’un peu de vert ; leur pesanteur spécifique est à peu près la même[1] ; elles résistent également à l’action du feu, et leur forme de cristallisation n’est pas fort différente[2]. M. le docteur Demeste a raison de dire qu’il y a très peu de différence entre cette pierre chrysolithe et la topaze de Bohême[3] : elle n’en diffère en effet que par la nuance de vert qui teint faiblement le jaune sans l’effacer[4] : c’est par le plus ou le moins de vert répandu dans le jaune qu’on peut distinguer au premier coup d’œil la chrysolithe du péridot, dans lequel au contraire la couleur verte domine au point d’effacer le jaune presque entièrement ; mais nous verrons que le péridot diffère encore de notre chrysolithe par des caractères bien plus essentiels que ceux de la couleur.

La chrysolithe des anciens était la pierre précieuse que nous nommons aujourd’hui topaze orientale, et à laquelle le nom de chrysolithe ou pierre d’or convenait en effet beaucoup[5] : « La chrysolithe dans sa beauté, dit Pline, fait pâlir l’or lui-même[6] ; aussi a-t-on coutume de la monter en transparent et sans la doubler d’une feuille brillante qui n’aurait rien à ajouter à son éclat. » L’Éthiopie et l’Inde, c’est-à-dire, en général l’Orient, fournissaient ces pierres précieuses aux Romains, et leur luxe, encore plus somptueux que le nôtre, leur faisait rechercher toutes les pierres qui avaient de l’éclat ; ils distinguaient dans les chrysolithes plusieurs variétés, la chrysélectre, à laquelle, dit Pline, il fallait la lumière claire du matin pour briller dans tout son éclat[7] ; la leucochryse, d’un jaune blanc brillant[8] ; la méléchryse, qui, suivant la force du mot, avec un éclat doré, offre la teinte rougeâtre du miel[9] : toutes ces belles pierres sont, comme l’on voit, très différentes de notre chrysolithe moderne, qui n’est qu’un cristal de roche coloré de jaune verdâtre.

Les chrysolithes que l’on a trouvées dans les terrains volcanisés sont de la même nature que les chrysolites ordinaires ; on en rencontre assez souvent dans les laves et dans certains basaltes : elles se présentent ordinairement en grains irréguliers ou en petits fragments qui ont la couleur, la dureté et les autres caractères de la véritable chrysolithe, nous en ferons la comparaison lorsque nous parlerons des matières rejetées par les volcans.


Notes de Buffon
  1. La pesanteur spécifique de la chrysolithe du Brésil est de 26 923, et celle du cristal de roche de 26 548. M. Brisson donne aussi 27 821 pour pesanteur spécifique d’une autre chrysolithe, sans indiquer le lieu où elle se trouve ; mais cette différence de densité n’est pas assez considérable pour faire rejeter cette chrysolithe du nombre des cristaux colorés.
  2. La forme de cristallisation de la chrysolithe ordinaire n’est pas, comme on le croirait au premier coup d’œil, absolument semblable à celle du cristal de roche ; la pyramide est plus obtuse, et les arêtes du prisme hexagone sont souvent tronquées et forment un dodécaèdre. Son tissu est sensiblement lamelleux parallèlement à l’axe du prisme, et elle a plus d’éclat que le cristal de roche le plus pur. Essai de cristallographie, par M. de Romé de Lisle, t. II, p. 272 et suiv.
  3. Lettres de M. Demeste, t. Ier, p. 429.
  4. Robert de Berquen définit très bien la chrysolithe en disant que sa couleur est un vert naissant tirant sur le jaune, ou un vert jaune brillant d’un lustre doré.
  5. Chrisos lithos.
  6. Liv. xxxvii, no 42.
  7. Ibidem, no 43.
  8. Ibidem, no 44.
  9. Ibidem, no 45.