Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Histoire et théorie de la Terre/Preuves de la théorie de la Terre/Article XIV



ARTICLE XIV

DES VENTS RÉGLÉS



Rien ne paraît plus irrégulier et plus variable que la force et la direction des vents dans nos climats ; mais il y a des pays où cette irrégularité n’est pas si grande, et d’autres où le vent souffle constamment dans la même direction et presque avec la même force.

Quoique les mouvements de l’air dépendent d’un grand nombre de causes, il y en a cependant de principales dont on peut estimer les effets, mais il est difficile de juger des modifications que d’autres causes secondaires peuvent y apporter. La plus puissante de toutes ces causes est la chaleur du soleil, laquelle produit successivement une raréfaction considérable dans les différentes parties de l’atmosphère, ce qui fait le vent d’est, qui souffle constamment entre les tropiques, où la raréfaction est la plus grande.

La force d’attraction du soleil, et même celle de la lune sur l’atmosphère, sont des causes dont l’effet est insensible en comparaison de celle dont nous venons de parler ; il est vrai que cette force produit dans l’air un mouvement semblable à celui du flux et du reflux dans la mer, mais ce mouvement n’est rien en comparaison des agitations de l’air qui sont produites par la raréfaction, car il ne faut pas croire que l’air, parce qu’il a du ressort et qu’il est huit cents fois plus léger que l’eau, doive recevoir par l’action de la lune un mouvement de flux fort considérable : pour peu qu’on y réfléchisse, on verra que ce mouvement n’est guère plus considérable que celui du flux et du reflux des eaux de la mer ; car la distance à la lune étant supposée la même, une mer d’eau ou d’air, ou de telle autre matière fluide qu’on voudra imaginer, aura à peu près le même mouvement, parce que la force qui produit ce mouvement pénètre la matière et est proportionnelle à sa quantité ; ainsi une mer d’eau, d’air ou de vif-argent s’élèverait à peu près à la même hauteur par l’action du soleil et de la lune, et dès lors on voit que le mouvement que l’attraction des astres peut causer dans l’atmosphère n’est pas assez considérable pour produire une grande agitation[1] ; et, quoiqu’elle doive causer un léger mouvement de l’air d’orient en occident, ce mouvement est tout à fait insensible en comparaison de celui que la chaleur du soleil doit produire en raréfiant l’air ; et, comme la raréfaction sera toujours plus grande dans les endroits où le soleil est au zénith, il est clair que le courant d’air doit suivre le soleil et former un vent constant et général d’orient en occident : ce vent souffle continuellement sur la mer dans la zone torride et dans la plupart des endroits de la terre entre les tropiques ; c’est le même vent que nous sentons au lever du soleil, et en général les vents d’est sont bien plus fréquents et bien plus impétueux que les vents d’ouest ; ce vent général d’orient en occident s’étend même au delà des tropiques, et il souffle si constamment dans la mer Pacifique, que les navires qui vont d’Acapulco aux Philippines font cette route, qui est de plus de 2 700 lieues, sans aucun risque, et, pour ainsi dire, sans avoir besoin d’être dirigés : il en est de même de la mer Atlantique entre l’Afrique et le Brésil, ce vent général y souffle constamment ; il se fait sentir aussi entre les Philippines et l’Afrique, mais d’une manière moins constante, à cause des îles et des différents obstacles qu’on rencontre dans cette mer, car il souffle pendant les mois de janvier, février, mars et avril, entre la côte de Mozambique et l’Inde ; mais pendant les autres mois il cède à d’autres vents ; et quoique ce vent d’est soit moins sensible sur les côtes qu’en pleine mer, et encore moins dans le milieu des continents que sur les côtes de la mer, cependant il y a des lieux où il souffle presque continuellement, comme sur les côtes orientales du Brésil, sur les côtes de Loango en Afrique, etc.

Ce vent d’est, qui souffle continuellement sous la ligne, fait que, lorsqu’on part d’Europe pour aller en Amérique, on dirige le cours du vaisseau du nord au sud dans la direction des côtes d’Espagne et d’Afrique jusqu’à 20 degrés en deçà de la ligne, où l’on trouve ce vent d’est qui vous porte directement sur les côtes d’Amérique ; et de même dans la mer Pacifique l’on fait en deux mois le voyage de Callao ou d’Acapulco aux Philippines à la faveur de ce vent d’est, qui est continuel ; mais le retour des Philippines, à Acapulco est plus long et plus difficile. À 28 ou 30 degrés de ce côté-ci de la ligne, on trouve des vents d’ouest assez constants, et c’est pour cela que les vaisseaux qui reviennent des Indes occidentales en Europe ne prennent pas la même route pour aller et pour revenir ; ceux qui viennent de la Nouvelle-Espagne font voile le long des côtes et vers le nord jusqu’à ce qu’ils arrivent à la Havane dans l’île de Cuba, et de là ils gagnent du côté du nord pour trouver les vents d’ouest qui les amènent aux Açores et ensuite en Espagne ; de même, dans la mer du Sud, ceux qui reviennent des Philippines ou de la Chine au Pérou ou au Mexique gagnent le nord jusqu’à la hauteur du Japon, et naviguent sous ce parallèle jusqu’à une certaine distance de Californie, d’où, en suivant la côte de la Nouvelle-Espagne, ils arrivent à Acapulco. Au reste ces vents d’est ne soufflent pas toujours du même point, mais en général ils sont au sud-est depuis le mois d’avril jusqu’au mois de novembre, et ils sont au nord-est depuis novembre jusqu’en avril.

Le vent d’est contribue par son action à augmenter le mouvement général de la mer d’orient en occident ; il produit aussi des courants qui sont constants et qui ont leur direction, les uns de l’est à l’ouest, les autres de l’est au sud-ouest ou au nord-ouest, suivant la direction des éminences et des chaînes de montagnes qui sont au fond de la mer, dont les vallées ou les intervalles qui les séparent servent de canaux à ces courants ; de même les vents alternatifs, qui soufflent tantôt de l’est et tantôt de l’ouest, produisent aussi des courants qui changent de direction en même temps que ces vents en changent aussi.

Les vents qui soufflent constamment pendant quelques mois sont ordinairement suivis de vents contraires, et les navigateurs sont obligés d’attendre celui qui leur est favorable ; lorsque ces vents viennent à changer, il y a plusieurs jours, et quelquefois un mois ou deux de calme ou de tempêtes dangereuses.

Ces vents généraux, causés par la raréfaction de l’atmosphère, se combinent différemment par différentes causes dans différents climats : dans la partie de la mer Atlantique, qui est sous la zone tempérée, le vent du nord souffle presque constamment pendant les mois d’octobre, novembre, décembre et janvier ; c’est pour cela que ces mois sont les plus favorables pour s’embarquer lorsqu’on veut aller de l’Europe aux Indes, afin de passer la ligne à la faveur de ces vents, et l’on sait par expérience que les vaisseaux qui partent au mois de mars d’Europe n’arrivent quelquefois pas plus tôt au Brésil que ceux qui partent au mois d’octobre suivant. Le vent de nord règne presque continuellement pendant l’hiver dans la Nouvelle-Zemble et dans les autres côtes septentrionales : le vent de midi souffle pendant le mois de juillet au cap Vert, c’est alors le temps des pluies, ou l’hiver de ces climats ; au cap de Bonne-Espérance le vent de nord-ouest souffle pendant le mois de septembre ; à Patna dans l’Inde, ce même vent de nord-ouest souffle pendant les mois de novembre, décembre et janvier, et il produit de grandes pluies ; mais les vents d’est soufflent pendant les neuf autres mois. Dans l’Océan Indien, entre l’Afrique et l’Inde, et jusqu’aux îles Moluques, les vents moussons règnent d’orient en occident depuis janvier jusqu’au commencement de juin, et les vents d’occident commencent aux mois d’août et de septembre, et pendant l’intervalle de juin et de juillet il y a de très grandes tempêtes, ordinairement par des vents de nord ; mais sur les côtes ces vents varient davantage qu’en pleine mer.

Dans le royaume de Guzarate et sur les côtes de la mer voisine, les vents de nord soufflent depuis le mois de mars jusqu’au mois de septembre, et pendant les autres mois de l’année il règne presque toujours des vents de midi. Les Hollandais, pour revenir de Java, partent ordinairement au mois de janvier et de février par un vent d’est qui se fait sentir jusqu’à 18 degrés de latitude australe, et ensuite ils trouvent des vents de midi qui les portent jusqu’à Sainte-Hélène. (Voyez Varen., Geogr. gener., cap. xx.)

Il y a des vents réglés qui sont produits par la fonte des neiges ; les anciens Grecs les ont observés. Pendant l’été les vents de nord-ouest, et pendant l’hiver ceux de sud-est se font sentir en Grèce, dans la Thrace, dans la Macédoine, dans la mer Égée et jusqu’en Égypte et en Afrique ; on remarque des vents de même espèce dans le Congo, à Guzarate, à l’extrémité de l’Afrique, qui sont tous produits par la fonte des neiges. Le flux et le reflux de la mer produisent aussi des vents réglés qui ne durent que quelques heures ; et dans plusieurs endroits on remarque des vents qui viennent de terre pendant la nuit et de la mer pendant le jour, comme sur les côtes de la Nouvelle-Espagne, sur celles de Congo, à la Havane, etc.

Les vents de nord sont assez réglés dans les climats des cercles polaires ; mais plus on approche de l’équateur, plus ces vents de nord sont faibles, ce qui est commun aux deux pôles.

Dans l’Océan Atlantique et Éthiopique, il y a un vent d’est général entre les tropiques, qui dure toute l’année sans aucune variation considérable, à l’exception de quelques petits endroits où il change suivant les circonstances et la position des côtes : 1o auprès de la côte d’Afrique, aussitôt que vous avez passé les îles Canaries, vous êtes sûr de trouver un vent frais de nord-est à environ 28 degrés de latitude nord ; ce vent passe rarement le nord-est ou le nord-nord-est, et il vous accompagne jusqu’à 10 degrés latitude nord, à environ 100 lieues de la côte de Guinée, où l’on trouve au 4e degré latitude nord les calmes et tornades ; 2o ceux qui vont aux îles Caribes trouvent, en approchant de l’Amérique, que ce même vent de nord-est tourne de plus en plus à l’est, à mesure qu’on approche davantage ; 3o les limites de ces vents variables dans cet Océan sont plus grandes sur les côtes d’Amérique que sur celles d’Afrique. Il y a dans cet Océan un endroit où les vents de sud et de sud-ouest sont continuels, savoir, tout le long de la côte de Guinée dans un espace d’environ 500 lieues, depuis Sierra-Leona jusqu’à l’île de Saint-Thomas : l’endroit le plus étroit de cette mer est depuis la Guinée jusqu’au Brésil, où il n’y a qu’environ 500 lieues ; cependant les vaisseaux qui partent de la Guinée ne dirigent pas leur cours droit au Brésil, mais ils descendent du côté du sud, surtout lorsqu’ils partent aux mois de juillet et d’août, à cause des vents de sud-est qui règnent dans ce temps. (Voyez Trans. phil. Abr., t. II, p. 129.)

Dans la mer Méditerranée, le vent souffle de la terre vers la mer au coucher du soleil, et au contraire de la mer vers la terre au lever, en sorte que le matin c’est un vent du levant, et le soir un vent du couchant ; le vent du midi qui est pluvieux, et qui souffle ordinairement à Paris, en Bourgogne et en Champagne au commencement de novembre, et qui cède à une bise douce et tempérée, produit le beau temps qu’on appelle vulgairement l’été de la Saint-Martin. (Voyez le Traité des Eaux de M. Mariotte.)

Le docteur Lister, d’ailleurs bon observateur, prétend que le vent d’est général qui se fait sentir entre les tropiques pendant toute l’année n’est produit que par la respiration de la plante appelée lentille de mer, qui est extrêmement abondante dans ces climats, et que la différence des vents sur la terre ne vient que de la différente disposition des arbres et des forêts, et il donne très sérieusement cette ridicule imagination pour cause des vents, en disant qu’à l’heure de midi le vent est plus fort, parce que les plantes ont plus chaud et respirent l’air plus souvent, et qu’il souffle d’orient en occident, parce que toutes les plantes font un peu le tournesol, et respirent toujours du côté du soleil. (Voyez Trans. philos., no 156.)

D’autres auteurs, dont les vues étaient plus saines, ont donné pour cause de ce vent constant le mouvement de la terre sur son axe ; mais cette opinion n’est que spécieuse, et il est facile de faire comprendre aux gens, même les moins initiés en mécanique, que tout fluide qui environnerait la terre ne pourrait avoir aucun mouvement particulier en vertu de la rotation du globe, que l’atmosphère ne peut avoir d’autre mouvement que celui de cette même rotation, et que, tout tournant ensemble et à la fois, ce mouvement de rotation est aussi insensible dans l’atmosphère qu’il l’est à la surface de la terre.

La principale cause de ce mouvement constant est, comme nous l’avons dit, la chaleur du soleil : on peut voir sur cela le Traité de Halley dans les Trans. philos. ; et, en général, toutes les causes qui produiront dans l’air une raréfaction, ou une condensation considérable, produiront des vents dont les directions seront toujours directes ou opposées aux lieux où sera la plus grande raréfaction ou la plus grande condensation.

La pression des nuages, les exhalaisons de la terre, l’inflammation des météores, la résolution des vapeurs en pluies, etc., sont aussi des causes qui toutes produisent des agitations considérables dans l’atmosphère : chacune de ces causes, se combinant de différentes façons, produit des effets différents ; il me paraît donc qu’on tenterait vainement de donner une théorie des vents, et qu’il faut se borner à travailler à en faire l’histoire : c’est dans cette vue que j’ai rassemblé des faits qui pourront y servir.

Si nous avions une suite d’observations sur la direction, la force et la variation des vents dans les différents climats, si cette suite d’observations était exacte et assez étendue pour qu’on pût voir d’un coup d’œil le résultat de ces vicissitudes de l’air dans chaque pays, je ne doute pas qu’on n’arrivât à ce degré de connaissance dont nous sommes encore si fort éloignés, à une méthode par laquelle nous pourrions prévoir et prédire les différents états du ciel et la différence des saisons ; mais il n’y a pas assez longtemps qu’on fait des observations météorologiques ; il y en a beaucoup moins qu’on les fait avec soin, et il s’en écoulera peut-être beaucoup avant qu’on sache en employer les résultats, qui sont cependant les seuls moyens que nous ayons pour arriver à quelque connaissant positive sur ce sujet.

Sur la mer les vents sont plus réguliers que sur la terre, parce que la mer est un espace libre, et dans lequel rien ne s’oppose à la direction du vent ; sur la terre, au contraire, les montagnes, les forêts, les villes, etc., forment des obstacles qui font changer la direction des vents, et qui souvent produisent des vents contraires aux premiers. Ces vents réfléchis par les montagnes se font sentir dans toutes les provinces qui en sont voisines, avec une impétuosité souvent aussi grande que celle du vent direct qui les produit ; ils sont aussi très irréguliers, parce que leur direction dépend du contour, de la hauteur et de la situation des montagnes qui les réfléchissent. Les vents de mer soufflent avec plus de force et plus de continuité que les vents de terre ; ils sont aussi beaucoup moins variables et durent plus longtemps : dans les vents de terre, quelque violents qu’ils soient, il y a des moments de rémission et quelquefois des instants de repos ; dans ceux de mer, le courant d’air est constant et continuel sans aucune interruption : la différence de ces effets dépend de la cause que nous venons d’indiquer.

En général, sur la mer, les vents d’est et ceux qui viennent des pôles sont plus forts que les vents d’ouest et que ceux qui viennent de l’équateur ; dans les terres, au contraire, les vents d’ouest et de sud sont plus ou moins violents que les vents d’est et de nord, suivant la situation des climats. Au printemps et en automne, les vents sont plus violents qu’en été ou en hiver, tant sur mer que sur terre ; on peut en donner plusieurs raisons : 1o le printemps et l’automne sont les saisons des plus grandes marées, et par conséquent, les vents que ces marées produisent, sont plus violents dans ces deux saisons ; 2o le mouvement que l’action du soleil et de la lune produit dans l’air, c’est-à-dire le flux et le reflux de l’atmosphère, est aussi plus grand dans la saison des équinoxes ; 3o la fonte des neiges au printemps, et la résolution des vapeurs que le soleil a élevées pendant l’été, qui retombent en pluies abondantes pendant l’automne, produisent, ou du moins augmentent les vents ; 4o le passage du chaud au froid, ou du froid au chaud, ne peut se faire sans augmenter et diminuer considérablement le volume de l’air, ce qui seul doit produire de très grands vents.

On remarque souvent dans l’air des courants contraires : on voit des nuages qui se meuvent dans une direction, et d’autres nuages, plus élevés ou plus bas que les premiers, qui se meuvent dans une direction contraire ; mais cette contrariété de mouvement ne dure pas longtemps, et n’est ordinairement produite que par la résistance de quelque nuage à l’action du vent et par la répulsion du vent direct, qui règne seul dès que l’obstacle est dissipé.

Les vents sont plus violents dans les lieux élevés que dans les plaines ; et plus on monte dans les hautes montagnes, plus la force du vent augmente jusqu’à ce qu’on soit arrivé à la hauteur ordinaire des nuages, c’est-à-dire à environ un quart ou un tiers de lieue de hauteur perpendiculaire ; au delà de cette hauteur, le ciel est ordinairement serein, au moins pendant l’été, et le vent diminue : on prétend même qu’il est tout à fait insensible au sommet des plus hautes montagnes ; cependant la plupart de ces sommets, et même les plus élevés, étant couverts de glace et de neige, il est naturel de penser que cette région de l’air est agitée par les vents dans le temps de la chute de ces neiges ; ainsi ce ne peut être que pendant l’été que les vents ne s’y font pas sentir : ne pourrait-on pas dire qu’en été les vapeurs légères qui s’élèvent au sommet de ces montagnes retombent en rosée, au lieu qu’en hiver elles se condensent, se gèlent et retombent en neige ou en glace, ce qui peut produire en hiver des vents au-dessus de ces montagnes, quoiqu’il n’y en ait point en été ?

Un courant d’air augmente de vitesse comme un courant d’eau lorsque l’espace de son passage se rétrécit ; le même vent, qui ne se fait sentir que médiocrement dans une plaine large et découverte devient violent en passant par une gorge de montagne, ou seulement entre deux bâtiments élevés, et le point de la plus violente action du vent est au-dessus de ces mêmes bâtiments ou de la gorge de la montagne ; l’air, étant comprimé par la résistance de ces obstacles, a plus de masse, plus de densité, et, la même vitesse subsistant, l’effort ou le coup de vent, le momentum en devient beaucoup plus fort. C’est ce qui fait qu’auprès d’une église ou d’une tour, les vents semblent être beaucoup plus violents qu’ils ne le sont à une certaine distance de ces édifices. J’ai souvent remarqué que le vent réfléchi par un bâtiment isolé, ne laissait pas d’être bien plus violent que le vent direct qui produisait ce vent réfléchi, et, lorsque j’en ai cherché la raison, je n’en ai pas trouvé d’autre que celle que je viens de rapporter : l’air chassé se comprime contre le bâtiment et se réfléchit, non seulement avec la vitesse qu’il avait auparavant, mais encore avec plus de masse, ce qui rend en effet son action beaucoup plus violente.

À ne considérer que la densité de l’air, qui est plus grande à la surface de la terre que dans tout autre point de l’atmosphère, on serait porté à croire que la plus grande action du vent devrait être aussi à la surface de la terre, et je crois que cela est en effet ainsi toutes les fois que le ciel est serein ; mais lorsqu’il est chargé de nuages, la plus violente action du vent est à la hauteur de ces nuages, qui sont plus denses que l’air, puisqu’ils tombent en forme de pluie ou de grêle. On doit donc dire que la force du vent doit s’estimer, non seulement par sa vitesse, mais aussi par la densité de l’air, de quelque cause que puisse provenir cette densité, et qu’il doit arriver souvent qu’un vent qui n’aura pas plus de vitesse qu’un autre vent, ne laissera pas de renverser des arbres et des édifices, uniquement parce que l’air poussé par ce vent sera plus dense. Ceci fait voir l’imperfection des machines qu’on a imaginées pour mesurer la vitesse du vent.

Les vents particuliers, soit qu’ils soient directs ou réfléchis, sont plus violents que les vents généraux. L’action interrompue des vents de terre dépend de cette compression de t’air, qui rend chaque bouffée beaucoup plus violente qu’elle ne le serait si le vent soufflait uniformément ; quelque fort que soit un vent continu, il ne causera jamais les désastres que produit la fureur de ces vents qui soufflent, pour ainsi dire, par accès : nous en donnerons des exemples dans l’article qui suit.

On pourrait considérer les vents et leurs différentes directions sous des points de vue généraux, dont on tirerait peut-être des inductions utiles : par exemple, il me paraît qu’on pourrait diviser les vents par zones, que le vent d’est, qui s’étend à environ 25 ou 30 degrés de chaque côté de l’équateur, doit être regardé comme exerçant son action tout autour du globe dans la zone torride ; le vent de nord souffle presque aussi constamment dans la zone froide que le vent d’est dans la zone torride, et on a reconnu qu’à la Terre-de-Feu et dans les endroits les moins éloignés du pôle austral où l’on est parvenu, le vent vient aussi du pôle ; ainsi l’on peut dire que, le vent d’est occupant la zone torride, les vents de nord occupent les zones froides ; et à l’égard des zones tempérées, les vents qui y règnent ne sont, pour ainsi dire, que des courants d’air, dont le mouvement est composé de ceux de ces deux vents principaux qui doivent produire tous les vents dont la direction tend à l’occident ; et à l’égard des vents d’ouest, dont la direction tend à l’orient, et qui règnent souvent dans la zone tempérée, soit dans la mer Pacifique, soit dans l’Océan Atlantique, on peut les regarder comme des vents réfléchis par les terres de l’Asie et de l’Amérique, mais dont la première origine est due aux vents d’est et de nord.

Quoique nous ayons dit que, généralement parlant, le vent d’est règne tout autour du globe à environ 25 ou 30 degrés de chaque côté de l’équateur, il est cependant vrai que dans quelques endroits il s’étend à une bien moindre distance, et que sa direction n’est pas partout de l’est à l’ouest ; car en deçà de l’équateur, il est un peu est-nord-est, et au-delà de l’équateur il est sud-sud-est, et plus on s’éloigne de l’équateur, soit au nord, soit au sud, plus la direction du vent est oblique : l’équateur est la ligne sous laquelle la direction du vent de l’est à l’ouest est le plus exacte ; par exemple, dans l’Océan Indien, le vent général d’orient en occident ne s’étend guère au delà de 15 degrés : en allant de Goa au cap de Bonne-Espérance, on ne trouve ce vent d’est qu’au delà de l’équateur, environ au 12e degré de latitude sud, et il ne se fait pas sentir en deçà de l’équateur ; mais lorsqu’on est arrivé à ce 12e degré de latitude sud, on a ce vent jusqu’au 28e degré latitude sud. Dans la mer qui sépare l’Afrique de l’Amérique, il y a un intervalle qui est depuis le 4e degré de latitude nord jusqu’au 10e ou 11e degré de latitude nord, où ce vent général n’est pas sensible ; mais au delà de ce 10e ou 11e degré, ce vent règne et s’étend jusqu’au 11e degré.

Il y a aussi beaucoup d’exceptions à faire au sujet des vents moussons dont le mouvement est alternatif : les uns durent plus ou moins longtemps, les autres s’étendent à de plus grandes ou à de moindres distances, les autres sont plus ou moins réguliers, plus ou moins violents. Nous rapporterons ici, d’après Varénius, les principaux phénomènes de ces vents. « Dans l’Océan Indien, entre l’Afrique et l’Inde jusqu’aux Moluques, les vents d’est commencent à régner au mois de janvier, et durent jusqu’au commencement de juin ; au mois d’août ou de septembre commence le mouvement contraire, et les vents d’ouest règnent pendant trois ou quatre mois ; dans l’intervalle de ces moussons, c’est-à-dire à la fin de juin, au mois de juillet ou au commencement d’août, il n’y a sur cette mer aucun vent fait, et on éprouve de violentes tempêtes qui viennent du septentrion.

» Ces vents sont sujets à de plus grandes variations en approchant des terres, car les vaisseaux ne peuvent partir de la côte de Malabar, non plus que des autres ports de la côte occidentale de la presqu’île de l’Inde, pour aller en Afrique, en Arabie, en Perse, etc., que depuis le mois de janvier jusqu’au mois d’avril ou de mai ; car dès la fin de mai et pendant les mois de juin, de juillet et d’août, il se fait de si violentes tempêtes par les vents de nord ou de nord-est, que les vaisseaux ne peuvent tenir à la mer ; au contraire, de l’autre côté de cette presqu’île, c’est-à-dire, sur la mer qui baigne la côte de Coromandel, on ne connaît point ces tempêtes.

» On part de Java, de Ceylan et de plusieurs endroits au mois de septembre pour aller aux îles Moluques, parce que le vent d’occident commence alors à souffler dans ces parages ; cependant lorsqu’on s’éloigne de l’équateur à 15 degrés de latitude australe, on perd ce vent d’ouest et on retrouve le vent général, qui est dans cet endroit un vent de sud-est. On part de même de Cochin, pour aller à Malaca, au mois de mars, parce que les vents d’ouest commencent à souffler dans ce temps : ainsi ces vents d’occident se font sentir en différents temps dans la mer des Indes ; on part, comme l’on voit, dans un temps pour aller de Java aux Moluques, dans un autre temps pour aller de Cochin à Malaca, dans un autre pour aller de Malaca à la Chine, et encore dans un autre pour aller de la Chine au Japon.

» À Banda, les vents d’occident finissent à la fin de mars, il règne des vents variables et des calmes pendant le mois d’avril, au mois de mai les vents d’orient recommencent avec une grande violence ; à Ceylan, les vents d’occident commencent vers le milieu du mois de mars et durent jusqu’au commencement d’octobre que reviennent les vents d’est, ou plutôt d’est-nord-est ; à Madagascar, depuis le milieu d’avril jusqu’à la fin de mai, on a des vents de nord et de nord-ouest, mais aux mois de février et de mars, ce sont des vents d’orient et de midi ; de Madagascar au cap de Bonne-Espérance, le vent du nord et les vents collatéraux soufflent pendant les mois de mars et d’avril ; dans le golfe de Bengale, le vent de midi se fait sentir avec violence après le 20 d’avril, auparavant il règne dans cette mer des vents de sud-ouest ou de nord-ouest ; les vents d’ouest sont aussi très violents dans la mer de la Chine pendant les mois de juin et de juillet, c’est aussi la saison la plus convenable pour aller de la Chine au Japon ; mais, pour revenir du Japon à la Chine, ce sont les mois de février et de mars qu’on préfère, parce que les vents d’est ou de nord-est règnent alors dans cette mer.

» Il y a des vents qu’on peut regarder comme particuliers à de certaines côtes : par exemple, le vent du sud est presque continuel sur les côtes du Chili et du Pérou ; il commence au 46e degré ou environ de latitude sud, et il s’étend jusqu’au delà de Panama, ce qui rend le voyage de Lima à Panama beaucoup plus aisé à faire et plus court que le retour. Les vents d’occident soufflent presque continuellement, ou du moins très fréquemment, sur les côtes de la terre Magellanique, aux environs du détroit de Le Maire ; sur la côte de Malabar, les vents de nord et de nord-ouest règnent presque continuellement ; sur la côte de Guinée, le vent de nord-ouest est aussi fort fréquent, et à une certaine distance de cette côte en pleine mer on retrouve le vent de nord-est ; les vents d’occident régnent sur les côtes du Japon aux mois de novembre et de décembre. »

Les vents alternatifs ou périodiques dont nous venons de parler sont des vents de mer ; mais il y a aussi des vents de terre qui sont périodiques et qui reviennent, ou dans une certaine saison, où à de certains jours, ou même à de certaines heures ; par exemple, sur la côte de Malabar, depuis le mois de septembre jusqu’au mois d’avril, il souffle un vent de terre qui vient du côté de l’orient ; ce vent commence ordinairement à minuit et finit à midi, et il n’est plus sensible dès qu’on s’éloigne à 12 ou 15 lieues de la côte, et depuis midi jusqu’à minuit il règne un vent de mer qui est fort faible et qui vient de l’occident : sur la côte de la Nouvelle-Espagne en Amérique, et sur celle du Congo en Afrique, il règne des vents de terre pendant la nuit et des vents de mer pendant le jour ; à la Jamaïque, les vents soufflent de tous côtés à la fois pendant la nuit, et les vaisseaux ne peuvent alors y arriver sûrement, ni en sortir avant le jour.

En hiver, le port de Cochin est inabordable, et il ne peut en sortir aucun vaisseau, parce que les vents y soufflent avec une telle impétuosité, que les bâtiments ne peuvent pas tenir à la mer, et que d’ailleurs le vent d’ouest, qui y souffle avec fureur, amène à l’embouchure du fleuve de Cochin une si grande quantité de sable, qu’il est impossible aux navires, et même aux barques, d’y entrer pendant six mois de l’année ; mais les vents d’est qui soufflent pendant les six autres mois repoussent ces sables dans la mer et rendent libre l’entrée de la rivière. Au détroit de Babel-Mandel, il y a des vents du sud-est qui y règnent tous les ans dans la même saison, et qui sont toujours suivis de vents de nord-ouest. À Saint-Domingue, il y a deux vents différents qui s’élèvent régulièrement presque chaque jour : l’un, qui est un vent de mer, vient du côté de l’orient et il commence à 10 heures du matin ; l’autre, qui est un vent de terre et qui vient de l’occident, s’élève à six ou sept heures du soir et dure toute la nuit. Il y aurait plusieurs autres faits de cette espèce à tirer des voyageurs, dont la connaissance pourrait peut-être nous conduire à donner une histoire des vents, qui serait un ouvrage très utile pour la navigation et pour la physique.





ADDITIONS

À L’ARTICLE QUI A POUR TITRE : DES VENTS RÉGLÉS.



I. — Sur le vent réfléchi.

Je dois rapporter ici une observation qui me paraît avoir échappé à l’attention des physiciens, quoique tout le monde soit en état de la vérifier : c’est que le vent réfléchi est plus violent que le vent direct, et d’autant plus qu’on est plus près de l’obstacle qui le renvoie. J’en ai fait nombre de fois l’expérience, en approchant d’une tour qui a près de cent pieds de hauteur et qui se trouve située au nord, à l’extrémité de mon jardin, à Montbard. Lorsqu’il souffle un grand vent de midi, on se sent fortement poussé jusqu’à trente pas de la tour ; après quoi il y a un intervalle de cinq ou six pas où l’on cesse d’être poussé et où le vent, qui est réfléchi par la tour, fait pour ainsi dire équilibre avec le vent direct. Après cela, plus on approche de la tour et plus le vent qui en est réfléchi est violent ; il vous repousse en arrière avec beaucoup plus de force que le vent direct ne vous poussait en avant. La cause de cet effet, qui est général, et dont on peut faire l’épreuve contre tous les grands bâtiments, contre les collines coupées à plomb, etc., n’est pas difficile à trouver. L’air, dans le vent direct, n’agit que par sa vitesse et sa masse ordinaire ; dans le vent réfléchi, la vitesse est un peu diminuée, mais la masse est considérablement augmentée par la compression que l’air souffre contre l’obstacle qui le réfléchit ; et, comme la quantité de tout mouvement est composée de la vitesse multipliée par la masse, cette quantité est bien plus grande après la compression qu’auparavant. C’est une masse d’air ordinaire qui vous pousse dans le premier cas, et c’est une masse d’air une ou deux fois plus dense qui vous repousse dans le second cas.


II. — Sur l’état de l’air au-dessus des hautes montagnes.

Il est prouvé, par des observations constantes et mille fois réitérées, que plus on s’élève au-dessus du niveau de la mer ou des plaines, plus la colonne du mercure des baromètres descend, et que par conséquent le poids de la colonne d’air diminue d’autant plus qu’on s’élève plus haut ; et comme l’air est un fluide élastique et compressible, tous les physiciens ont conclu de ces expériences du baromètre que l’air est beaucoup plus comprimé et plus dense dans les plaines qu’il ne l’est au-dessus des montagnes. Par exemple, si le baromètre, étant à 27 pouces dans la plaine, tombe à 18 pouces au haut de la montagne, ce qui fait un tiers de différence dans le poids de la colonne d’air, on a dit que la compression de cet élément, étant toujours proportionnelle au poids incombant, l’air du haut de la montagne est en conséquence d’un tiers moins dense que celui de la plaine, puisqu’il est comprimé par un poids moindre d’un tiers. Mais de fortes raisons me font douter de la vérité de cette conséquence, qu’on a regardée comme légitime et même naturelle.

Faisons pour un moment abstraction de cette compressibilité de l’air que plusieurs causes peuvent augmenter, diminuer, détruire ou compenser : supposons que l’atmosphère soit également dense partout ; si son épaisseur n’était que de trois lieues, il est sûr qu’en s’élevant à une lieue, c’est-à-dire de la plaine au haut de la montagne, le baromètre, étant chargé d’un tiers de moins, descendrait de 27 pouces à 18. Or l’air, quoique compressible, me paraît être également dense à toutes les hauteurs[NdÉ 1], et voici les faits et les réflexions sur lesquels je fonde cette opinion :

1o Les vents sont aussi puissants, aussi violents au-dessus des plus hautes montagnes que dans les plaines les plus basses ; tous les observateurs sont d’accord sur ce fait. Or si l’air y était d’un tiers moins dense, leur action serait d’un tiers plus faible, et tous les vents ne seraient que des zéphyrs à une lieue de hauteur, ce qui est absolument contraire à l’expérience.

2o Les aigles et plusieurs autres oiseaux, non seulement volent au sommet des plus hautes montagnes, mais même ils s’élèvent encore au-dessus à de grandes hauteurs. Or je demande s’ils pourraient exécuter leur vol ni même se soutenir dans un fluide qui serait une fois moins dense, et si le poids de leur corps, malgré tous leurs efforts, ne les ramènerait pas en bas ?

3o Tous les observateurs qui ont grimpé au sommet des plus hautes montagnes conviennent qu’on y respire aussi facilement que partout ailleurs, et que la seule incommodité qu’on y ressent est celle du froid, qui augmente à mesure qu’on s’élève plus haut. Or si l’air était d’un tiers moins dense au sommet des montagnes, la respiration de l’homme et des oiseaux, qui s’élèvent encore plus haut, serait non seulement gênée, mais arrêtée, comme nous le voyons dans la machine pneumatique dès qu’on en a pompé le quart ou le tiers de la masse de l’air contenu dans le récipient.

4o Comme le froid condense l’air autant que la chaleur le raréfie, et qu’à mesure qu’on s’élève sur les hautes montagnes, le froid augmente d’une manière très sensible, n’est-il pas nécessaire que les degrés de la condensation de l’air suivent le rapport du degré du froid ? et cette condensation peut égaler et même surpasser celle de l’air des plaines où la chaleur qui émane de l’intérieur de la terre est bien plus grande qu’au sommet des montagnes, qui sont les pointes les plus avancées et les plus refroidies de la masse du globe. Cette condensation de l’air par le froid dans les hautes régions de l’atmosphère doit donc compenser la diminution de densité produite par la diminution de la charge ou poids incombant, et par conséquent l’air doit être aussi dense sur les sommets froids des montagnes que dans les plaines. Je serais même porté à croire que l’air y est plus dense, puisqu’il semble que les vents y soient plus violents et que les oiseaux qui volent au-dessus de ces sommets de montagnes semblent se soutenir dans les airs d’autant plus aisément qu’ils s’élèvent plus haut.

De là je pense qu’on peut conclure que l’air libre est à peu près également dense à toutes les hauteurs, et que l’atmosphère aérienne ne s’étend pas à beaucoup près aussi haut qu’on l’a déterminé, en ne considérant l’air que comme une masse élastique, comprimée par le poids incombant : ainsi l’épaisseur totale de notre atmosphère pourrait bien n’être que de trois lieues[NdÉ 2] au lieu de quinze ou vingt comme l’ont dit les physiciens[2].

Nous concevons alentour de la terre une première couche de l’atmosphère, qui est remplie de vapeurs qu’exhale ce globe, tant par sa chaleur propre que par celle du soleil. Dans cette couche, qui s’étend à la hauteur des nuages, la chaleur que répandent les exhalaisons du globe produit et soutient une raréfaction qui fait équilibre à la pression de la masse d’air supérieur, de manière que la couche basse de l’atmosphère n’est point aussi dense qu’elle le devrait être à proportion de la pression qu’elle éprouve ; mais à la hauteur où cette raréfaction cesse, l’air subit toute la condensation que lui donne le froid de cette région où la chaleur émanée du globe est fort atténuée, et cette condensation paraît même être plus grande que celle que peut imprimer sur les régions inférieures, soutenues par la raréfaction, le poids des couches supérieures : c’est du moins ce que semble prouver un autre phénomène qui est la condensation et la suspension des nuages dans la couche élevée où nous les voyons se tenir. Au-dessous de cette moyenne région, dans laquelle le froid et la condensation commencent, les vapeurs s’élèvent sans être visibles, si ce n’est dans quelques circonstances où une partie de cette couche froide paraît se rabattre jusqu’à la surface de la terre, et où la chaleur émanée de la terre, éteinte pendant quelques moments par des pluies, se ranimant avec plus de force, les vapeurs s’épaississent alentour de nous en brumes et en brouillards ; sans cela elles ne deviennent visibles que lorsqu’elles arrivent à cette région où le froid les condense en flocons, en nuages, et par là même arrête leur ascension : leur gravité, augmentée à proportion qu’elles sont devenues plus denses, les établissant dans un équilibre qu’elles ne peuvent plus franchir. On voit que les nuages sont généralement plus élevés en été et constamment encore plus élevés dans les climats chauds : c’est que dans cette saison et dans ces climats la couche de l’évaporation de la terre a plus de hauteur ; au contraire, dans les plages glaciales des pôles, où cette évaporation de la chaleur du globe est beaucoup moindre, la couche dense de l’air paraît toucher à la surface de la terre et y retenir les nuages qui ne s’élèvent plus, et enveloppent ces parages d’une brume perpétuelle.


III. — Sur quelques vents qui varient régulièrement.

Il y a de certains climats et de certaines contrées particulières où les vents varient, mais constamment et régulièrement, les uns au bout de six mois, les autres après quelques semaines, et enfin d’autres du jour à la nuit, ou du soir au matin. J’ai dit, p. 255, « qu’à Saint-Domingue il y a deux vents différents qui s’élèvent régulièrement presque chaque jour, que l’un est un vent de mer qui vient de l’orient, et que l’autre est un vent de terre qui vient de l’occident. » M. Fresnaye m’a écrit que je n’avais pas été exactement informé. « Les deux vents réguliers, dit-il, qui soufflent à Saint-Domingue, sont tous deux des vents de mer, et soufflent l’un de l’est le matin et l’autre de l’ouest le soir, qui n’est que le même vent renvoyé. Comme il est évident que c’est le soleil qui le cause, il y a un moment de bourrasque que tout le monde remarque entre une heure et deux de l’après-midi. Lorsque le soleil a décliné, raréfiant l’air de l’ouest, il chasse dans l’est les nuages que le vent du matin avait confinés dans la partie opposée. Ce sont ces nuages renvoyés qui, depuis avril et mai jusque vers l’automne, donnent dans la partie du Port-au-Prince les pluies réglées qui viennent constamment de l’est. Il n’y a pas d’habitant qui ne prédise la pluie du soir entre six et neuf heures, lorsque, suivant leur expression, la brise a été renvoyée. Le vent d’ouest ne dure pas toute la nuit, il tombe régulièrement vers le soir, et c’est lorsqu’il a cessé que les nuages poussés à l’orient ont la liberté de tomber, dès que leur poids excède un pareil volume d’air : le vent que l’on sent la nuit est exactement un vent de terre qui n’est ni de l’est ni de l’ouest, mais dépend de la projection de la côte. Au Port-au-Prince, ce vent du midi est d’un froid intolérable dans les mois de janvier et de février : comme il traverse la ravine de la rivière froide, il y est modifié[3]. »


IV. — Sur les lavanges.

Dans les hautes montagnes il y a des vents accidentels qui sont produits par des causes particulières, et notamment par les lavanges. Dans les Alpes, aux environs des glacières, ou distingue plusieurs espèces de lavanges : les unes sont appelées lavanges venteuses, parce qu’elles produisent un grand vent ; elles se forment lorsqu’une neige nouvellement tombée vient à être mise en mouvement, soit par l’agitation de l’air, soit en fondant par-dessous au moyen de la chaleur intérieure de la terre : alors la neige se pelotonne, s’accumule et tombe en coulant en grosses masses vers le vallon, ce qui cause une grande agitation dans l’air, parce qu’elle coule avec rapidité et en très grand volume ; et les vents que ces masses produisent sont si impétueux, qu’ils renversent tout ce qui s’oppose à leur passage, jusqu’à rompre de gros sapins. Ces lavanges couvrent d’une neige très fine tout le terrain auquel elles peuvent atteindre, et cette poudre de neige voltige dans l’air au caprice des vents, c’est-à-dire sans direction fixe, ce qui rend ces neiges dangereuses pour les gens qui se trouvent alors en campagne, parce qu’on ne sait pas trop de quel côté tourner pour les éviter, car en peu de moments on se trouve enveloppé et même entièrement enfoui dans la neige.

Une autre espèce de lavanges, encore plus dangereuses que la première, sont celles que les gens du pays appellent schlaglauwen, c’est-à-dire lavanges frappantes ; elles ne surviennent pas aussi rapidement que les premières et néanmoins elles renversent tout ce qui se trouve sur leur passage, parce qu’elles entraînent avec elles une grande quantité de terres, de pierres, de cailloux, et même des arbres tout entiers, en sorte qu’en passant et en arrivant dans le vallon, elles tracent un chemin de destruction en écrasant tout ce qui s’oppose à leur passage. Comme elles marchent moins rapidement que les lavanges qui ne sont que de neige, on les évite plus aisément : elles s’annoncent de loin, car elles ébranlent pour ainsi dire les montagnes et les vallons par leur poids et leur mouvement qui causent un bruit égal à celui du tonnerre.

Au reste, il ne faut qu’une très petite cause pour produire ces terribles effets ; il suffit de quelques flocons de neige tombés d’un arbre ou d’un rocher, ou même du son des cloches, du bruit d’une arme à feu, pour que quelques portions de neige se détachent du sommet, se pelotonnent et grossissent en descendant jusqu’à devenir une masse aussi grosse qu’une petite montagne.

Les habitants des contrées sujettes aux lavanges ont imaginé des précautions pour se garantir de leurs effets ; ils placent leurs bâtiments contre quelques petites éminences qui puissent rompre la force de la lavange ; ils plantent aussi des bois derrière leurs habitations. On peut voir au mont Saint-Gothard une forêt de forme triangulaire, dont l’angle aigu est tourné vers le mont, et qui semble plantée exprès pour détourner les lavanges et les éloigner du village d’Urseren et des bâtiments situés au pied de la montagne ; et il est défendu sous de grosses peines de toucher à cette forêt, qui est, pour ainsi dire, la sauvegarde du village. On voit de même, dans plusieurs autres endroits, des murs de précaution dont l’angle aigu est opposé à la montagne, afin de rompre et détourner les lavanges. Il y a une muraille de cette espèce à Davis, au pays des Grisons, au-dessus de l’église du milieu, comme aussi vers les bains de Leuk ou Louèche en Valais. On voit dans ce même pays des Grisons, et dans quelques autres endroits, dans les gorges de montagne, des voùtes de distance en distance, placées à côté du chemin et taillées dans le roc, qui servent aux passagers de refuge contre les lavanges[4].




Notes de Buffon.
  1. L’effet de cette cause a été déterminé géométriquement dans différentes hypothèses et calculé par M. d’Alembert. (Voyez Réflexions sur la cause générale des vents, Paris, 1747.)
  2. Alhazen, par la durée des crépuscules, a prétendu que la hauteur de l’atmosphère est de 44 331 toises. Képler, par cette même durée, lui donne 41 110 toises.

    M. de la Hire, en parlant de la réfraction horizontale de 32 minutes, établit le terme moyen de la hauteur de l’atmosphère à 34 585 toises.

    M. Mariotte, par ses expériences sur la compressibilité de l’air, donne à l’atmosphère plus de 30 mille toises.

    Cependant, en ne prenant pour l’atmosphère que la partie de l’air où s’opère la réfraction ou du moins presque la totalité de la réfraction, M. Bouguer ne trouve que 5 158 toises, c’est-à-dire deux lieues et demie ou trois lieues ; et, je crois ce résultat plus certain et mieux fondé que tous les autres.

  3. Note communiquée à M. de Buffon par M. Fresnaye, conseiller au conseil de Saint-Domingue, en date du 10 mars 1777.
  4. Histoire naturelle Helvétique, par Scheuchzer, t. Ier, p. 155 et suiv.
Notes de l’éditeur.
  1. Buffon commet une erreur. La densité de l’air diminue de plus en plus à mesure qu’on s’élève dans l’atmosphère.
  2. On admet que aujourd’hui l’atmosphère terrestre a 64 kilomètres environ d’épaisseur.