Œuvres complètes de Buffon, éd. Lanessan/Époques de la nature/Explication de la carte géographique

Texte établi par J.-L. de LanessanA. Le Vasseur (Tome II, Époques de la naturep. 187-194).



EXPLICATION
DE LA CARTE GÉOGRAPHIQUE



Cette carte représente les deux parties polaires du globe depuis le 45e degré de latitude : on y a marqué les glaces, tant flottantes que fixes, aux points où elles ont été reconnues par les navigateurs.

Dans celle du pôle arctique, on voit les glaces flottantes trouvées par Barents, à 70 degrés de latitude près du détroit de Waigatz, et les glaces immobiles qu’il trouva à 77 et 78 degrés de latitude à l’est de ce détroit qui est aujourd’hui entièrement obstrué par les glaces. On a aussi indiqué le grand banc de glaces immobiles reconnues par Wood, entre le Spitzberg et la Nouvelle-Zemble, et celui qui se trouve entre le Spitzberg et le Groënland, que les vaisseaux de la pêche de la baleine rencontrent constamment à la hauteur de 77 ou 78 degrés, et qu’ils nomment le banc de l’ouest en le voyant s’étendre sans bornes de ce côté, et vraisemblablement jusqu’aux côtes du vieux Groënland qu’on sait être aujourd’hui perdues dans les glaces. La route du capitaine Phipps est marquée sur cette carte avec la continuité des glaces qui l’ont arrêté au nord et à l’ouest de Spitzberg.

On a aussi tracé sur cette carte les glaces flottantes rencontrées par Ellis dès le 58 ou 59e degré, à l’est du cap Farewel ; celles que Frobisher trouva dans son détroit qui est actuellement obstrué, et celles qu’il vit à 62 degrés vers la côte de Labrador ; celles que rencontra Baffin dans la baie de son nom, par les 72 et 73e degrés, et celles qui se trouvent dans la baie d’Hudson dès le 63e degré, selon Ellis, et dont le Welcome est quelquefois couvert ; celles de la baie de Répulse, qui en est remplie selon Middleton. On y voit aussi celles dont presque en tout temps le détroit de Davis est obstrué, et celles qui souvent assiègent celui d’Hudson, quoique plus méridional de 6 ou 7 degrés. L’île Baeren ou île aux Ours, qui est au-dessous du Spitzberg à 74 degrés, se voit ici au milieu des glaces flottantes. L’île de Jean de Mayen, située près du vieux Groënland à 70 1/2 degrés, est engagée dans les glaces par ses côtes occidentales.

On a aussi désigné sur cette carte les glaces flottantes le long des côtes de la Sibérie et aux embouchures de toutes les grandes rivières qui arrivent à cette mer Glaciale, depuis l’Irtisch joint à l’Oby jusqu’au fleuve Kolyma ; ces glaces flottantes incommodent la navigation, et dans quelques endroits la rendent impraticable. Le banc de la glace solide du pôle descend déjà à 76 degrés sur le cap Piasida, et engage cette pointe de terre qui n’a pu être doublée, ni par l’ouest du côté de l’Oby, ni par l’est du côté de la Léna dont les bouches sont semées de glaces flottantes ; d’autres glaces immobiles au nord-est de l’embouchure de la Jana, ne laissent aucun passage ni à l’est ni au nord. Les glaces flottantes devant l’Olenck et le Chatanga descendent jusqu’aux 73e et 74e degrés : on les trouve à la même hauteur devant l’Indigirka et vers les embouchures du Kolyma, qui paraît être le dernier terme où aient atteint les Russes par ces navigations coupées sans cesse par les glaces. C’est d’après leurs expéditions que ces glaces ont été tracées sur notre carte : il est plus que probable que des glaces permanentes ont engagé le cap Szalaginski, et peut-être aussi la côte nord-est de la terre des Tschutschis : car ces dernières côtes n’ont pas été découvertes par la navigation, mais par des expéditions sur terre d’après lesquelles on les a figurées ; les navigations qu’on prétend s’être faites autrefois autour de ce cap et de la terre des Tschutschis ont toujours été suspectes, et vraisemblablement sont impraticables aujourd’hui : sans cela les Russes, dans leurs tentatives pour la découverte des terres de l’Amérique, seraient partis des fleuves de la Sibérie, et n’auraient pas pris la peine de faire par terre la traversée immense de ce vaste pays pour s’embarquer à Kamtschatka, où il est extrêmement difficile de construire des vaisseaux, faute de bois, de fer et de presque tout ce qui est nécessaire pour l’équipement d’un navire.

Ces glaces qui viennent gagner les côtes du nord de l’Asie ; celles qui ont déjà envahi les parages de la Zemble, du Spitzberg et du vieux Groënland ; celles qui couvrent en partie les baies de Baffin, d’Hudson et leurs détroit, ne sont que comme les bords ou les appendices de la glacière de ce pôle qui en occupe toutes les régions adjacentes jusqu’au 80 et 81e degré, comme nous l’avons représenté en jetant une ombre sur cette portion de la terre à jamais perdue pour nous.

La carte du pôle antarctique présente la reconnaissance des glaces faite par plusieurs navigateurs, et particulièrement par le célèbre capitaine Cook dans ses deux voyages, le premier en 1769 et 1770, et le second en 1773, 1774 et 1775 ; la relation de ce second voyage n’a été publiée en français que cette année 1778, et je n’en ai eu connaissance qu’au mois de juin après l’impression de ce volume entièrement achevée ; mais j’ai vu avec la grande satisfaction mes conjectures confirmées par les faits ; on vient de lire dans plusieurs endroits de ce même volume les raisons que j’ai données du froid plus grand dans les régions australes que dans les boréales ; j’ai dit et répété que la portion de sphère, depuis le pôle arctique jusqu’à 9 degrés de distance, n’est qu’une région glacée, une calotte de glace solide et continue, et que, selon toutes les analogies, la portion glacée de même dans les régions australes est bien plus considérable, et s’étend à 18 ou 20 degrés. Cette présomption était donc bien fondée, puisque M. Cook, le plus grand de tous les navigateurs, ayant fait le tour presque entier de cette zone australe, a trouvé partout des glaces, et n’a pu pénétrer nulle part au delà du 71e degré, et cela dans un seul point au nord-ouest de l’extrémité de l’Amérique ; les appendices de cette immense glacière du pôle antarctique s’étendent même jusqu’au 60e degré en plusieurs lieux, et les énormes glaçons qui s’en détachent voyagent jusqu’au 50e et même jusqu’au 48e degré de latitude en certains endroits. On verra que les glaces les plus avancées vers l’équateur se trouvent vis-à-vis les mers les plus étendues et les terres les plus éloignées du pôle ; on en trouve aux 48, 49, 50 et 51e degrés, sur une étendue de dix degrés en longitude à l’ouest, et de 35 de longitude à l’est ; et tout l’espace entre le 50e et le 60e degré de latitude est rempli de glaces brisées, dont quelques-unes forment des îles d’une grandeur considérable ; on voit que sous ces mêmes longitudes les glaces deviennent encore plus fréquentes et presque continues aux 60 et 61e degrés de latitude ; et enfin que tout passage est fermé par la continuité de la glace aux 66 et 67e degrés, où M. Cook a fait une autre pointe, et s’est trouvé forcé de retourner pour ainsi dire sur ses Pas ; en sorte que la masse continue de cette glace solide et permanente, qui couvre le pôle austral et toute la zone adjacente, s’étend dans ces parages jusque au delà du 66e degré de latitude.

On trouve de même des îles et des plaines de glaces, dès le 49e degré de latitude, à 60 degrés de longitude est[1], et en plus grand nombre à 80 et 90 degrés de longitude sous la latitude de 58 degrés ; et encore en plus grand nombre sous le 60 et le 61e degré de latitude, dans tout l’espace compris depuis le 90e jusqu’au 145e degré de longitude est.

De l’autre côté, c’est-à-dire à 30 degrés environ de longitude ouest, M. Cook a fait la découverte de la terre de Sandwich à 59 degrés de latitude, et de l’île de Géorgie sous le 55e ; et il a reconnu des glaces au 59e degré de latitude, dans une étendue de dix ou douze degrés de longitude ouest, avant d’arriver à la terre Sandwich, qu’on peut regarder comme le Spitzberg des régions australes, c’est-à-dire comme la terre la plus avancée vers le pôle antarctique ; il trouvé de pareilles glaces en beaucoup plus grand nombre aux 60e et 61e degrés de latitude, depuis le 29e degré de longitude ouest jusqu’au 51e, et le capitaine Furneaux en a trouvé sous le 63e degré, à 65 et 70 degrés de longitude ouest.

On a aussi marqué les glaces immobiles, que Davis a vues sous les 65 et 66e degrés de latitude, vis-à-vis du cap Horn, et celles dans lesquelles le capitaine Cook a fait une pointe jusqu’au 71e degré de latitude ; ces glaces s’étendent depuis le 110e degré de longitude ouest jusqu’au 120e ; ensuite on voit les glaces flottantes depuis le 130e degré de longitude ouest jusqu’au 170e, sous les latitudes de 60 à 70 degrés ; en sorte que dans toute l’étendue de la circonférence de cette grande zone polaire antarctique, il n’y a qu’environ 40 ou 45 degrés en longitude dont l’espace n’ai pas été reconnu, ce qui ne fait pas la huitième partie de cette immense calotte de glace : tout le reste de ce circuit a été vu et bien reconnu par M. Cook, dont nous ne pourrons jamais louer assez la sagesse, l’intelligence et le courage : car le succès d’une pareille entreprise suppose toutes ces qualités réunies.

On vient d’observer que les glaces les plus avancées du côté de l’équateur, dans ces régions australes, se trouvent sur les mers les plus éloignées des terres, comme dans la mer des grandes Indes et vis-à-vis le cap de Bonne-Espérance ; et qu’au contraire les glaces les moins avancées se trouvent dans le voisinage des terres, comme à la pointe de l’Amérique et des deux côtés de cette pointe, tant dans la mer Atlantique que dans la mer Pacifique : ainsi la partie la moins froide de cette grande zone antarctique est vis-à-vis l’extrémité de l’Amérique qui s’étend jusqu’au 56e degré de latitude, tandis que la partie la plus froide de cette même zone est vis-à-vis de la pointe de l’Afrique qui ne s’avance qu’au 34e degré, et vers la mer de l’Inde où il n’y a point de terre : or s’il en est de même du côté du pôle arctique, la région la moins froide serait celle de Spitzberg et du Groënland, dont les terres s’étendent à peu près jusqu’au 80e degré ; et la région la plus froide serait celle de la partie de mer entre l’Asie et l’Amérique, en supposant que cette région soit en effet une mer.

De toutes les reconnaissances faites par M. Cook, on doit inférer que la portion du globe envahie par les glaces depuis le pôle antarctique jusqu’à la circonférence de ces régions glacées est en superficie au moins cinq ou six fois plus étendue que l’espace envahi par les glaces autour du pôle arctique, ce qui provient de deux causes assez évidentes : la première est le séjour du soleil plus court de sept jours trois quarts par an dans l’hémisphère austral que dans le boréal ; la seconde et plus puissante cause est la quantité de terres infiniment plus grande dans cette portion de l’hémisphère boréal que dans la portion égale et correspondante de l’hémisphère austral : car les continents de l’Europe, de l’Asie et de l’Amérique s’étendent jusqu’au 70e degré et au delà vers le pôle arctique, tandis que dans les régions australes il n’existe aucune terre, depuis le 30e ou même le 45e degré, que celle de la pointe de l’Amérique qui ne s’étend qu’au 56e avec les îles Falkland, la petite île Géorgie et celle de Sandwich, qui est moitié terre et moitié glace ; en sorte que cette grande zone australe étant entièrement maritime et aqueuse, et la boréale presque entièrement terrestre, il n’est pas étonnant que le froid soit beaucoup plus grand, et que les glaces occupent une bien plus vaste étendue dans ces régions australes que dans les boréales.

Et comme ces glaces ne feront qu’augmenter par le refroidissement successif de la terre, il sera dorénavant plus inutile et plus téméraire qu’il ne l’était ci-devant, de chercher à faire des découvertes au delà du 80e degré vers le pôle boréal, et au delà du 55e vers le pôle austral. La Nouvelle-Zélande, la pointe de la Nouvelle-Hollande et celles des terres Magellaniques, doivent être regardées comme les seules et dernières terres habitables dans cet hémisphère austral.

J’ai fait représenter toutes les îles et plaines de glaces reconnues par les différents navigateurs, et notamment par les capitaines Cook et Furneaux, en suivant les points de longitude et de latitude indiqués dans leurs cartes de navigation ; toutes ces reconnaissances des mers australes ont été faites dans les mois de novembre, décembre, janvier et février, c’est-à-dire dans la saison d’été de cet hémisphère austral : car quoique ces glaces ne soient pas toutes permanentes, et qu’elles voyagent selon qu’elles sont entraînées par les courants ou poussées par les vents, il est néanmoins presque certain que, comme elles ont été vues dans cette saison d’été, elles s’y trouveraient de même et en bien plus grande quantité dans les autres saisons, et par conséquent on doit les regarder comme permanentes, quoiqu’elles ne soient stationnaires aux mêmes points.

Au reste, il est indifférent qu’il y ait des terres ou non dans cette vaste région australe, puisqu’elle est entièrement couverte de glaces depuis le 60e degré de latitude jusqu’au pôle, et l’on peut concevoir aisément que toutes les vapeurs aqueuses qui forment les brumes et les neiges se convertissant en glaces, elles se gèlent et s’accumulent sur la surface de la mer comme sur celle de la terre. Rien ne peut donc s’opposer à la formation ni même à l’augmentation successive de ces glacières polaires, et, au contraire, tout s’oppose à l’idée qu’on avait ci-devant de pouvoir arriver à l’un ou à l’autre pôle par une mer ouverte ou par des terres praticables.

Toute la partie des côtes du pôle boréal a été réduite et figurée d’après les cartes les plus étendues, les plus nouvelles et les plus estimées. Le nord de l’Asie depuis la Nouvelle-Zemble et Archangel au cap Szalaginski, la côte des Tschutschis et du Kamtschatka, ainsi que les îles Aleutes, ont été réduites sur la grande carte de l’empire de Russie, publiée l’année dernière, 1777. Les îles aux Renards[2] ont été relevées sur la carte manuscrite de l’expédition du pilote Otcheredin en 1774, qui m’a été envoyée par M. de Domascheneff, président de l’Académie de Saint-Pétersbourg, celles d’Anadir, ainsi que la Stachta nitada, grande terre à l’est où les Tschutschis commercent, et les pointes des côtes de l’Amérique reconnues par Tschirikow et Behring, qui ne sont pas représentées dans la grande carte de l’empire de Russie, le sont ici d’après celle que l’Académie de Pétersbourg a publiée en 1773 ; mais il faut avouer que la longitude de ces points est encore incertaine, et que cette côte occidentale de l’Amérique est bien peu connue au delà du cap Blanc qui gît environ sous le 43e degré de latitude. La position du Kamtschatka est aujourd’hui bien déterminée dans la carte russe de 1777 ; mais celle des terres de l’Amérique vis-à-vis Kamtschatka, n’est pas aussi certaine ; cependant on ne peut guère douter que la grande terre désignée sous le nom de Stachta nitada, et les terres découvertes par Behring et Tschirikow, ne soient des portions du continent de l’Amérique ; on assure que le roi d’Espagne a envoyé nouvellement quelques personnes pour reconnaître cette côte occidentale de l’Amérique depuis le cap Mandocin jusqu’au 56e degré de latitude ; ce projet me paraît bien conçu, car c’est depuis le 43e au 56e degré qu’il est à présumer qu’on trouvera une communication de la mer Pacifique avec la baie d’Hudson.

La position et la figure du Spitzberg sont tracées sur notre carte d’après celle du capitaine Philipps ; le Groënland, les baies de Baffin et d’Hudson et les grands lacs de l’Amérique le sont d’après les meilleures cartes des différents voyageurs qui ont découvert ou fréquenté ces parages. Par cette réunion, on aura sous les yeux les gisements relatifs de toutes les parties des continents polaires et des passages tentés pour tourner par le nord et à l’est de l’Asie ; on y verra les nouvelles découvertes qui se sont faites dans cette partie de mer, entre l’Asie et l’Amérique jusqu’au cercle polaire ; et l’on remarquera que la terre avancée de Szalaginski s’étendant jusqu’au 73e ou 74e degré de latitude, il n’y a nulle apparence qu’on puisse doubler ce cap, et qu’on le tenterait sans succès, soit en venant par la mer Glaciale le long des côtes septentrionales de l’Asie, soit en remontant du Kamtschatka et tournant autour de la terre des Tschutschis, de sorte qu’il est plus que probable que toute cette région au delà du 74e degré est actuellement glacée et inabordable : d’ailleurs tout nous porte à croire que les deux continents de l’Amérique et de l’Asie peuvent être contigus à cette hauteur, puisqu’ils sont voisins aux environs du cercle polaire, n’étant séparés que par des bras de mer, entre les îles qui se trouvent dans cet espace, et dont l’une paraît être d’une très grande étendue.

J’observerai encore qu’on ne voit pas sur la nouvelle carte de l’empire de Russie la navigation faite en 1646 par trois vaisseaux russes, dont on prétend que l’un est arrivé au Kamtschatka par la mer Glaciale : la route de ce vaisseau est même tracée par des points dans la carte publiée par l’Académie de Pétersbourg en 1773 ; j’ai donné ci-devant les raisons qui faisaient regarder comme très suspecte cette navigation, et aujourd’hui ces mêmes raisons me paraissent bien confirmées, puisque dans la nouvelle carte russe faite en 1777, on a supprimé la route de ce vaisseau, quoique donnée dans la carte de 1773 ; et quand même, contre toute apparence, ce vaisseau unique aurait fait cette route en 1646, l’augmentation des glaces depuis cent trente-deux ans pourrait bien la rendre impraticable aujourd’hui, puisque dans le même espace de temps le détroit de Waigatz s’est entièrement glacé, et que la navigation de la mer du nord de l’Asie, à commencer de l’embouchure de l’Oby jusqu’à celle du Kolyma, est devenue bien plus difficile qu’elle ne l’était alors, au point que les Russes l’ont pour ainsi dire abandonnée, et que ce n’est qu’en partant de Kamtschatka qu’ils ont tenté des découvertes sur les côtes occidentales de l’Amérique. Ainsi nous présumons que, si l’on a pu passer autrefois de la mer Glaciale dans celle du Kamtschatka, ce passage doit être aujourd’hui fermé par les glaces. On assure que M. Cook a entrepris un troisième voyage, et que ce passage est l’un des objets de ses recherches : nous attendons avec impatience le résultat de ces découvertes, quoique je sois persuadé d’avance qu’il ne reviendra pas en Europe par la mer Glaciale de l’Asie ; mais ce grand homme de mer fera peut-être la découverte du passage au nord-ouest depuis la mer Pacifique à la baie d’Hudson.

Nous avons ci-devant exposé les raisons qui semblent prouver que les eaux de la baie d’Hudson communiquent avec cette mer : les grandes marées venant de l’ouest dans cette baie suffisent pour le démontrer ; il ne s’agit donc que de trouver l’ouverture de cette baie vers l’ouest ; mais on a jusqu’à ce jour vainement tenté cette découverte par les obstacles que les glaces opposent à la navigation dans le détroit d’Hudson et dans la baie même. Je suis donc persuadé que M. Cook ne la tentera pas de ce côté-là, mais qu’il se portera au-dessus de la côte de Californie, et qu’il trouvera le passage sur cette côte au delà du 43e degré : dès l’année 1592, Juan de Fuca, pilote espagnol, trouva une grande ouverture sur cette côte sous les 47 et 48e degrés, et y pénétra si loin qu’il crut être arrivé dans la mer du Nord. En 1602, d’Aguilar trouva cette côte ouverte sous le 43e degré, mais il ne pénétra pas bien avant dans ce détroit ; enfin on voit, par une relation publiée en anglais, qu’en 1640 l’amiral de Fonte, Espagnol, trouva sous le 54e degré un détroit ou large rivière, et qu’en la remontant il arriva à un grand archipel, et ensuite à un lac de cent soixante lieues de longueur aboutissant à un détroit de deux ou trois lieues de largeur, où la marée portant à l’est était très violente, et où il rencontra un vaisseau venant de Boston ; quoique l’on ait regardé cette relation comme très suspecte, nous ne la rejetterons pas en entier, et nous avons cru devoir présenter ici ces reconnaissances d’après la carte de M. de l’Isle, sans prétendre les garantir ; mais en réunissant la probabilité de ces découvertes de de Fonte avec celles de d’Aguilar et de Juan de Fuca, il en résulte que la côte occidentale de l’Amérique septentrionale au-dessus du cap Blanc est ouverte par plusieurs détroits ou bras de mer, depuis le 43e degré jusqu’au 54e ou 55e, et que c’est dans cet intervalle où il est presque certain que M. Cook trouvera la communication avec la baie d’Hudson, et cette découverte achèverait de le combler de gloire.

Ma présomption à ce sujet est non seulement fondée sur les reconnaissances faites par d’Aguilar, Juan de Fuca et de Fonte, mais encore sur une analogie physique qui ne se dément dans aucune partie du globe : c’est que toutes les grandes côtes des continents sont, pour ainsi dire, hachées et entamées du midi au nord, et qu’ils finissent tous en pointe vers le midi. La côte nord-ouest de l’Amérique présente une de ces hachures, et c’est la mer Vermeille ; mais, au-dessus de la Californie, nos cartes ne nous offrent sur une étendue de quatre cents lieues qu’une terre continue, sans rivières et sans autres coupures que les trois ouvertures reconnues par d’Aguilar, Fuca et de Fonte ; or, cette continuité des côtes, sans anfractuosités ni baies ni rivières, est contraire à la nature ; et cela seul suffit pour démontrer que ces côtes n’ont été tracées qu’au hasard sur toutes nos cartes, sans avoir été reconnues, et que, quand elles le seront, on y trouvera plusieurs golfes et bras de mer par lesquels on arrivera à la baie d’Hudson, ou dans les mers intérieures qui la précèdent du côte de l’ouest.


Notes de Buffon
  1. Ces positions données par le capitaine Cook, sur le méridien de Londres, sont réduites sur la carte à celui de Paris, et doivent s’y rapporter, par le changement facile de deux degrés et demi en moins du côté de l’est, et en plus du côté de l’ouest.
  2. Il est aussi fait mention de ces îles aux Renards, dans un voyage fait en 1776 par les Russes, sous la conduite de M. Solowiew : il nomme Unataschka l’une de ces îles, et dit qu’elle est à dix-huit cents werstes de Kamtschatka, et qu’elle est longue d’environ deux cents werstes ; la seconde de ces îles s’appelle Umnack, elle est longue d’environ cent cinquante werstes ; une troisième, Akuten, a environ quatre-vingt werstes de longueur ; enfin, une quatrième, qui s’appelle Radjack ou Kadjak, est la plus voisine de l’Amérique. Ces quatre îles sont accompagnées de quatre autres îles plus petites ; ce voyageur dit aussi qu’elles sont toutes assez peuplées, et il décrit les habitudes naturelles de ces insulaires qui vivent sous terre la plus grande partie de l’année ; on a donné le nom d’îles au Renards à ces îles, parce qu’on y trouve beaucoup de renard noirs, bruns et roux.