C’était de mon temps
Que brillait Madame Grégoire.
J’allais à vingt ans
Dans son cabaret rire et boire ;
Elle attirait les gens
Par des airs engageants.
Plus d’un brun à large poitrine
Avait là crédit sur la mine.
Ah ! comme on entrait
Boire à son cabaret !
D’un certain époux
Bien qu’elle pleurât la mémoire,
Personne de nous
N’avait connu défunt Grégoire ;
Mais à le remplacer
Qui n’eût voulu penser ?
Heureux l’écot où la commère
Apportait sa pinte et son verre !
Ah ! comme on entrait
Boire à son cabaret !
Je crois voir encor
Son gros rire aller jusqu’aux larmes,
Et sous sa croix d’or
L’ampleur de ses pudiques charmes.
Sur tous ses agréments
Consultez ses amants :
Au comptoir la sensible brune
Leur rendait deux pièces pour une.
Ah ! comme on entrait
Boire à son cabaret !
Des buveurs grivois
Les femmes lui cherchaient querelle.
Que j’ai vu de fois
Des galants se battre pour elle !
La garde et les amours
Se chamaillant toujours,
Elle, en femme des plus capables,
Dans son lit cachait les coupables.
Ah ! comme on entrait
Boire à son cabaret !
Quand ce fut mon tour
D’être en tout le maître chez elle,
C’était chaque jour
Pour mes amis fête nouvelle.
Je ne suis point jaloux :
Nous nous arrangions tous.
L’hôtesse, poussant à la vente,
Nous livrait jusqu’à la servante.
Ah ! comme on entrait
Boire à son cabaret !
Tout est bien changé :
N’ayant plus rien à mettre en perce,
Elle a pris congé
Et des plaisirs et du commerce.
Que je regrette, hélas !
Sa cave et ses appas !
Long-temps encor chaque pratique
S’écrîra devant sa boutique :
Ah ! comme on entrait
Boire à son cabaret !