Œuvres complètes de Béranger/Les Tombeaux de Juillet

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LES
TOMBEAUX DE JUILLET


1832


Air d’Octavie (Air noté )


Des fleurs, enfants, vous dont les mains sont pures ;
Enfants, des fleurs, des palmes, des flambeaux !
De nos Trois-Jours ornez les sépultures.
Comme les rois le peuple a ses tombeaux.

Charle avait dit : « Que juillet qui s’écoule
« Venge mon trône en butte aux niveleurs.
« Victoire aux lis ! » Soudain Paris en foule
S’arme et répond : Victoire aux trois couleurs !

Pour parler haut, pour nous trouver timides,
Par quels exploits fascinez-vous nos yeux ?
N’imitez pas l’homme des Pyramides :
Dans son linceul tiendraient tous vos aïeux.

Quoi ! d’une Charte on nous a fait l’aumône,
Et sous le joug vous voulez nous courber !
Nous savons tous comment s’écroule un trône.
Dieu juste ! encore un roi qui veut tomber.

Car une voix qui vient d’en haut, sans doute,
Au fond du cœur nous crie : Égalité !

L’égalité ? c’est peut-être une route
Qu’aux malheureux ferme la royauté.

Marchons ! marchons ! À nous l’Hôtel-de-Ville !
À nous les quais ! à nous le Louvre ! à nous !
Entrés vainqueurs dans le royal asile,
Sur le vieux trône ils se sont assis tous.

Qu’un peuple est grand qui, pauvre, gai, modeste,
Seul maître, après tant de sang et d’efforts,
Chasse en riant des princes qu’il déteste,
Et de l’état garde à jeun les trésors !

Des fleurs, enfants, vous dont les mains sont pures ;
Enfant, des fleurs, des palmes, des flambeaux !
De nos Trois-Jours ornez les sépultures.
Comme les rois le peuple a ses tombeaux.

Des artisans, des soldats de la Loire,
Des écoliers s’essayant au canon,
Sont tombés là, vous léguant leur victoire ;
Sans penser même à nous dire leur nom.

À ces héros la France doit un temple.
Leur gloire au loin inspire un saint effroi.
Les rois que trouble un aussi grand exemple,
Tout bas ont dit : Qu’est-ce aujourd’hui qu’un roi ?

Voit-on venir le drapeau tricolore ?
Répètent-ils, de souvenirs remplis.
Et sur leur front ce drapeau semble encore
Jeter d’en haut les ombres de ses plis.


En paix voguant de royaume en royaume,
À Sainte-Hélène en sa course il atteint.
Napoléon, gigantesque fantôme,
Paraît debout sur ce volcan éteint.

À son tombeau la main de Dieu l’enlève.
« Je t’attendais, mon drapeau glorieux.
« Salut ! » Il dit, brise et jette son glaive
Dans l’Océan, et se perd dans les cieux.

Dernier conseil de son génie austère !
Du glaive en lui finit la royauté.
Le conquérant des sceptres de la terre
Pour successeur choisit la Liberté.

Des fleurs, enfants, vous dont les mains sont pures ;
Enfants, des fleurs, des palmes, des flambeaux !
De nos Trois-Jours ornez les sépultures.
Comme les rois le peuple a ses tombeaux.

Des corrupteurs la faction titrée
Déserte en vain cet humble monument ;
En vain compare à l’émeute enivrée,
De nos vengeurs le noble dévouement.

Enfants, en rêve, on dit qu’avec les anges
Vous échangez, la nuit, les plus doux mots.
De l’avenir prédisez les louanges,
Pour consoler ces âmes de héros.

Dites-leur : Dieu veille sur votre ouvrage.
Par nos erreurs ne vous laissez troubler.

Du coup qu’ici frappa votre courage
La terre encore a longtemps à trembler.

Mais dans nos murs fondrait l’Europe entière,
Qu’au prompt départ de vingt peuples rivaux,
La liberté naîtrait de la poussière
Qu’emporteraient les pieds de leurs chevaux.

Partout luira l’égalité féconde.
Les vieilles lois errent sur des débris.
Le monde ancien finit : d’un nouveau monde
La France est reine, et son Louvre est Paris.

À vous, enfants, ces fruits des Trois-Journées.
Ceux qui sont là vous frayaient le chemin.
Le sang français, des grandes destinées
Trace en tout temps la route au genre humain.

Des fleurs, enfants, vous dont les mains sont pures ;
Enfants, des fleurs, des palmes, des flambeaux !
De nos trois jours ornez les sépultures.
Comme les rois le peuple a ses tombeaux.



Air noté dans Musique des chansons de Béranger :


LES TOMBEAUX DE JUILLET.

Air des Comédiens.
No 313.


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