Œuvres complètes de Béranger/Les Deux Grenadiers
Pour les autres éditions de ce texte, voir Les Deux Grenadiers.
LES DEUX GRENADIERS
PREMIER GRENADIER.
À notre poste on nous oublie.
Richard, minuit sonne au château.
DEUXIÈME GRENADIER.
Nous allons revoir l’Italie.
Demain, adieu Fontainebleau.
PREMIER GRENADIER.
Par le ciel ! que j’en remercie,
L’île d’Elbe est un beau climat.
DEUXIÈME GRENADIER.
Fût-elle au fond de la Russie,
Vieux grenadiers, suivons un vieux soldat.
ENSEMBLE.
Vieux grenadiers, suivons un vieux soldat,
Suivons un vieux soldat. (bis.)
DEUXIÈME GRENADIER.
Qu’elles sont promptes les défaites !
Où sont Moscou, Wilna, Berlin ?
Je crois voir sur nos baïonnettes
Luire encor les feux du Kremlin.
Et, livré par quelques perfides,
Paris coûte à peine un combat !
Nos gibernes n’étaient pas vides.
Vieux grenadiers, suivons un vieux soldat.
PREMIER GRENADIER.
Chacun nous répète : Il abdique.
Quel est ce mot ? Apprends-le-moi.
Rétablit-on la république ?
DEUXIÈME GRENADIER.
Non, puisqu’on nous ramène un roi.
L’empereur aurait cent couronnes,
Je concevrais qu’il les cédât ;
Sa main en faisait des aumônes.
Vieux grenadiers, suivons un vieux soldat.
PREMIER GRENADIER.
Une lumière, à ces fenêtres,
Brille à peine dans le château.
DEUXIÈME GRENADIER.
Les valets à nobles ancêtres
Ont fui, le nez dans leur manteau.
Tous, dégalonnant leurs costumes,
Vont au nouveau chef de l’état
De l’aigle mort vendre les plumes.
Vieux grenadiers, suivons un vieux soldat.
PREMIER GRENADIER.
Des maréchaux, nos camarades,
Désertent aussi gorgés d’or.
DEUXIÈME GRENADIER.
Notre sang paya tous leurs grades ;
Heureux qu’il nous en reste encor !
Quoi ! la Gloire fut en personne
Leur marraine un jour de combat s,
Et le parrain on l’abandonne !
Vieux grenadiers, suivons un vieux soldat.
PREMIER GRENADIER.
Après vingt-cinq ans de services
J’allais demander du repos.
DEUXIÈME GRENADIER.
Moi, tout couvert de cicatrices,
Je voulais quitter les drapeaux ;
Mais, quand la liqueur est tarie,
Briser le vase est d’un ingrat.
Adieu, femme, enfants et patrie !
Vieux grenadiers, suivons un vieux soldat.
ENSEMBLE.
Vieux grenadiers, suivons un vieux soldat,
Suivons un vieux soldat.
s. Leur marraine un jour de combat.
Presque tous les maréchaux de l’empire portaient le nom des batailles où ils s’étaient signalés sous Napoléon.
Air noté dans Musique des chansons de Béranger :
↑ Haut