Un ministre veut m’enrichir
Sans que l’honneur ait à gauchir,
Sans qu’au Moniteur on m’affiche.
Mes besoins ne sont pas nombreux ;
Mais, quand je pense aux malheureux,
Je me sens né pour être riche.
Avec l’ami pauvre et souffrant
On ne partage honneurs ni rang ;
Mais l’or du moins on le partage.
Vive l’or ! oui, souvent, ma foi,
Pour cinq cents francs, si j’étais roi,
Je mettrais ma couronne en gage.
Qu’un peu d’argent pleuve en mon trou,
Vite il s’en va, Dieu sait par où !
D’en conserver je désespère.
Pour recoudre à fond mes goussets,
J’aurais dû prendre, à son décès,
Les aiguilles de mon grand-père.
Ami, pourtant gardez votre or.
Las ! j’épousai, bien jeune encor,
La Liberté, dame un peu rude.
Moi, qui dans mes vers ai chanté
Plus d’une facile beauté,
Je meurs l’esclave d’une prude.
La Liberté ! c’est, Monseigneur,
Une femme folle d’honneur ;
C’est une bégueule enivrée
Qui, dans la rue ou le salon,
Pour le moindre bout de galon,
Va criant : À bas la livrée !
Vos écus la feraient damner.
Au fait, pourquoi pensionner
Ma muse indépendante et vraie ?
Je suis un sou de bon aloi ;
Mais en secret argentez-moi,
Et me voilà fausse monnaie.
Gardez vos dons : je suis peureux.
Mais si d’un zèle généreux
Pour moi le monde vous soupçonne,
Sachez bien qui vous a vendu :
Mon cœur est un luth suspendu,
Sitôt qu’on le touche, il résonne.