Seuls arbitres
Du sceau des titres,
Chartriers, rendez-moi l’honneur :
Je suis bâtard d’un grand seigneur. (bis.)
De votre savoir qui prospère
J’attends parchemins et blason :
Un bâtard est fils de son père ;
Je veux restaurer ma maison. (bis.)
Oui, plus noble que certains êtres,
Des priviléges fiers suppôts,
Moi je descends de mes ancêtres ;
Que leur âme soit en repos !
Seuls arbitres
Du sceau des titres,
Chartriers, rendez-moi l’honneur :
Je suis bâtard d’un grand seigneur.
Ma mère, en illustre personne,
Dédaigna robins et traitants ;
De l’Opéra sortit baronne,
Et se fit comtesse à trente ans.
Marquise enfin des plus sévères,
Elle nargua les sots propos.
Auprès de mes chastes grands’mères
Que son âme soit en repos !
Seuls arbitres
Du sceau des titres,
Chartriers, rendez-moi l’honneur :
Je suis bâtard d’un grand seigneur.
Mon père, que sans flatterie
Je cite avant tous ses aïeux,
Était chevalier d’industrie,
Sans en être moins glorieux.
Comme il avait pour plaire aux dames
De vieux cordons et l’air dispos,
Il vécut aux dépens des femmes :
Que son âme soit en repos !
Seuls arbitres
Du sceau des titres,
Chartriers, rendez-moi l’honneur :
Je suis bâtard d’un grand seigneur.
Endetté de plus d’une somme,
Et dans un donjon retiré,
Mon aïeul, en bon gentilhomme,
S’enivrait avec son curé.
Sur le dos des gens du village,
Après boire, il cassait les pots.
Il but ainsi son héritage ;
Que son âme soit en repos !
Seuls arbitres
Du sceau des titres,
Chartriers, rendez-moi l’honneur :
Je suis bâtard d’un grand seigneur.
Mon bisaïeul, chassant de race,
Fut un comte fort courageux,
Qui, laissant rouiller sa cuirasse,
Joua noblement tous les jeux.
Après une suite traîtresse
De pics, de repics, de capots,
Un as dépouilla son altesse :
Que son âme soit en repos !
Seuls arbitres
Du sceau des titres,
Chartriers, rendez-moi l’honneur :
Je suis bâtard d’un grand seigneur.
Mon trisaïeul, roi légitime
D’un pays fort mal gouverné,
Tranchait parfois du magnanime,
Surtout quand il avait dîné.
Mais les plaisirs de ce grand prince
Ayant absorbé les impôts,
Il mangea province à province :
Que son âme soit en repos !
Seuls arbitres
Du sceau des titres,
Chartriers, rendez-moi l’honneur :
Je suis bâtard d’un grand seigneur.
De ces faits dressez un sommaire,
Messieurs, et prouvez qu’à moi seul
Je vaux autant que père et mère,
Aïeul, bisaïeul, trisaïeul.
Grâce à votre art que j’utilise,
Qu’on me tire enfin des tripots ;
Qu’on m’enterre au chœur d’une église ;
Que mon âme soit en repos !
Seuls arbitres
Du sceau des titres,
Chartriers, rendez-moi l’honneur :
Je suis bâtard d’un grand seigneur.
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