Œuvres complètes de Béranger/Denys, maître d’école
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DENYS, MAÎTRE D’ÉCOLE y
Denys, chassé de Syracuse,
À Corinthe se fait pédant.
Ce roi que tout un peuple accuse,
Pauvre et déchu, se console en grondant. (bis.)
Maître d’école au moins il prime ;
Son bon plaisir fait et défait des lois. (bis.)
Il règne encor, car il opprime.
Jamais l’exil n’a corrigé les rois. (bis.)
Sur le dîner de chaque élève
Le tyran des Syracusains,
Comme impôt, chaque jour prélève
Trois quarts des noix, du miel et des raisins.
Çà, dit-il, qu’on le reconnaisse :
J’ai droit sur tout, je l’ai prouvé cent fois.
Baisez la main : je vous en laisse.
Jamais l’exil n’a corrigé les rois.
Un sournois, dernier de sa classe,
Au bas d’un thème mal tourné
Met ces mots : Grand roi, qu’un dieu fasse
Périr tous ceux qui vous ont détrôné !
Vite un prix au sot qui l’adule !
Mon fils, dit-il, tout sceptre est un grand poids.
Sois mon second, prends la férule.
Jamais l’exil n’a corrigé les rois.
Un autre en secret vient lui dire :
Seigneur, un écolier transcrit,
Là bas, je crois, quelque satire ;
C’est contre vous, car voyez comme il rit !
Ce maître d’humeur répressive,
De l’accusé courant tordre les doigts,
Dit : Je ne veux plus qu’on écrive.
Jamais l’exil n’a corrigé les rois.
Rêvant un jour que l’on conspire ;
Rêvant qu’il court de grands dangers,
Ce fou, tremblant pour son empire,
Voit ses marmots narguer deux étrangers.
Chers étrangers, dans ce repaire
Entrez, dit-il ; sur eux vengez mes droits ;
Frappez ; pour eux je suis un père.
Jamais l’exil n’a corrigé les rois.
Enfin, pères, mères, grand’mères
De maint enfant trop bien fessé,
L’accablant de plaintes amères,
L’ancien tyran de Corinthe est chassé.
Mais pour agir encore en maître,
Maudire encor sa patrie et ses lois,
De pédant, Denys se fait prêtre.
Jamais l’exil n’a corrigé les rois.
y. Denys, fils de Denys l’Ancien, après avoir opprimé Syracuse pendant plusieurs années, chassé enfin, se retira à Corinthe, où, dit-on, il se fit maître d’école. Soupçonné d’avoir tenté de remonter sur le trône de Sicile, il fut obligé de quitter Corinthe, et s’associa à des prêtres de Cybèle, qui l’initièrent à leur culte. Il s’enivrait, dansait et courait les campagnes avec eux. C’est ainsi qu’au dire de quelques historiens, il finit sa triste existence.
Air noté dans Musique des chansons de Béranger :
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