Œuvres complètes de André Chénier, 1819/Poésies diverses/Iambe II

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IAMBE II.


Quand au mouton bêlant la sombre boucherie
Ouvre ses cavernes de mort,
Pauvres chiens et moutons, toute la bergerie
Ne s’informe plus de son sort.
Les enfans qui suivaient ses ébats dans la plaine,
Les vierges aux belles couleurs
Qui le baisaient en foule, et sur sa blanche laine
Entrelaçaient rubans et fleurs,
Sans plus penser à lui le mangent s’il est tendre.
Dans cet abîme enseveli
J’ai le même destin. Je m’y devais attendre.
Accoutumons-nous à l’oubli.
Oubliés comme moi dans cet affreux repaire
Mille autres moutons comme moi
Pendus aux crocs sanglans du charnier populaire
Seront servis au peuple-roi.

Que pouvaient mes amis ? Oui, de leur main chérie,
Un mot à travers ces barreaux,
A versé quelque baume en mon ame flétrie ;
De l’or peut-être à mes bourreaux...
Mais tout est précipice : Ils ont eu droit de vivre.
Vivez, amis ; vivez contens.
En dépit de Bavus soyez lents à me suivre.
Peut-être en de plus heureux temps
J’ai moi-même, à l’aspect des pleurs de l’infortune,
Détourné mes regards distraits ;
À mon tour aujourd’hui mon malheur importune.
Vivez, amis ; vivez en paix.