Œuvres complètes de André Chénier, 1819/Idylles/Néere

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NÉERE.


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Mais telle qu’à sa mort, pour la dernière fois ;
Un beau cygne soupire, et de sa douce voix,
De sa voix qui bientôt lui doit être ravie,
Chante, avant de partir, ses adieux à la vie
Ainsi, les yeux remplis de langueur et de mort,
Pâle, elle ouvrit sa bouche en un dernier effort.

« Ô vous, du Sébéthus naïades vagabondes,
» Coupez sur mon tombeau vos chevelures blondes.
» Adieu, mon Clinias ; moi, celle qui te plus,
» Moi, celle qui t’aimai, que tu ne verras plus.
» Ô cieux, ô terre, ô mer, prés, montagnes, rivages,
» Fleurs, bois mélodieux, vallons, grottes sauvages,
» Rappelez-lui souvent, rappelez-lui toujours


» Néere tout son bien, Néere ses amours,
» Cette Néere hélas ! qu’il nommait sa Néere,
» Qui pour lui criminelle abandonna sa mère ;
» Qui pour lui fugitive, errant de lieux en lieux,
» Aux regards des humains n’osa lever les yeux.
» Ô ! soit que l’astre pur des deux frères d’Hélène
» Calme sous ton vaisseau la vague ionienne ;
» Soit qu’aux bords de Pœstum, sous ta soigneuse main
» Les roses deux fois l’an couronnent ton jardin ;
» Au coucher du soleil, si ton ame attendrie
» Tombe en une muette et molle rêverie,
» Alors, mon Clinias, appelle, appelle-moi.
» Je viendrai, Clinias ; je volerai vers toi.
» Mon ame vagabonde, à travers le feuillage
» Frémira ; sur les vents ou sur quelque nuage
» Tu la verras descendre ; ou du sein de la mer
» S’élevant comme un songe, étinceler dans l’air.
» Et ma voix toujours tendre et doucement plaintive
» Caresser en fuyant ton oreille attentive. »