Œuvres complètes de André Chénier, 1819/Élégie, XXVI

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ÉLÉGIE XXVI.


S’ILS n’ont point le bonheur, en est-il sur la terre !
Quel mortel, inhabile à la félicité,
Regrettera jamais sa triste liberté,
Si jamais des amans il a connu les chaînes ?
Leurs plaisirs sont bien doux et douces sont leurs peines.
S’ils n’ont point ces trésors que l’on nomme des biens,
Ils ont les soins touchans, les secrets entretiens ;
Des regards, des soupirs la voix tendre et divine,
Et des mots caressans la mollesse enfantine.
Auprès d’eux tout est beau, tout pour eux s’attendrit.
Le ciel rit à la terre, et la terre fleurit.
Aréthuse serpente et plus pure et plus belle ;
Une douleur plus tendre anime Philomèle.
Flore embaume les airs ; ils n’ont que de beaux cieux.
Aux plus arides bords Tempé rit à leurs yeux.
À leurs yeux tout est pur comme leur ame est pure ;
Leur asile est plus beau que toute la nature.
La grotte, favorable à leurs embrassemens,
D’âge en âge est un temple honoré des amans.
Ô ! rives du Pénée, antres, vallons, prairies,
Lieux qu’amour a peuplés d’antiques rêveries ;

Vous bosquets d’Anio, vous ombrages fleuris,
Dont l’épaisseur fut chère aux nymphes du Lyris ;
Toi surtout, ô Vaucluse, ô retraite charmante !
Ô ! que j’aille y languir aux bras de mon amante ;
De baisers, de rameaux, de guirlandes lié,
Oubliant tout le monde, et du monde oublié.
Ah ! que ceux qui, plaignant l’amoureuse souffrance,
N’ont connu qu’une oisive et morne indifférence,
En bonheur, en plaisir pensent m’avoir vaincu :
Ils n’ont fait qu’exister, l’amant seul a vécu.