Œuvres complètes d’Élisa Mercœur/Notice01

Œuvres complètes d’Élisa Mercœur, Texte établi par Adélaïde AumandMadame Veuve Mercœur (p. 249-256).


NOTICE.

Un jour que nous déjeunions chez le baron Alibert, il dit à Élisa du ton le plus sérieux qu’il lui fut possible de prendre :

— Pourriez-vous bien me dire, mademoiselle Mercœur, pourquoi les journaux ne publient plus rien de vous, et à quoi vous employez le temps que vous consacriez à la poésie ? car il est bien avéré que vous ne vous en occupez plus… Qu’un poète de médiocre talent, effrayé des obstacles qu’il lui faudra surmonter pour arriver, retourne sur ses pas, je le conçois ; mais vous, mon enfant, vous qui, sautant à pieds joints par-dessus les difficultés, avez, du premier bond, touché le but que d’autres mettent quelquefois tant d’années à atteindre, et qui, à l’âge où la jeune fille sait à peine elle-même si elle existe, avez été saluée du nom de poète, je ne vois pas ce qui pourrait vous décourager… Craignez-vous que le succès ne réponde pas à tous vos travaux ? Et quand cela serait, ma chère petite, ne connaissez-vous pas le proverbe qui dit : N’est pas marchand qui toujours gagne ?… Le laboureur, pour prix de ses constantes fatigues, récolte-t-il chaque année une abondante moisson ?… L’avocat gagne-t-il toutes les causes qu’il défend ?… Le médecin sauve-t-il tous les malades auxquels il prodigue ses soins ?… Les mères enfin ne donnent-elles leur lait qu’à des enfans reconnaissans ?… Si toutes ces considérations, ma chère Élisa, ne suffisent pas pour vous engager à reprendre vos travaux, n’oubliez pas, du moins, que l’enthousiasme que votre début a excité dans le monde vous impose l’obligation de justifier, par de nouveaux succès, ceux que vous avez déjà obtenus. En agir autrement serait ingratitude ; oui, Élisa, oui, je vous le répète, dussé-je même vous fâcher ; mais non, vous êtes trop convaincue de l’intérêt que vous m’inspirez pour prendre en mauvaise part les avis d’un homme qui a reçu tant d’utiles leçons de l’expérience. Vous seriez donc (comme je vous le disais, mon enfant) non seulement ingrate envers la société qui, en vous tendant la main, vous a dit : Soyez la bienvenue parmi nous, chantez, et nous vous applaudirons ; mais vous le seriez aussi envers la nature qui ne vous a pas donné un si beau génie pour le laisser inculte… Penseriez-vous, par hasard, qu’elle le jette à la tête du premier venu ? vous seriez dans l’erreur, Élisa. N’en a pas qui veut dans les répartitions qu’elle fait çà et là de cette noble faculté de l’âme : tous n’en reçoivent pas une part aussi forte que la vôtre ; la nature a été si prodigue pour vous, qu’on croirait qu’elle a voulu faire un aîné du plus jeune des nourrissons des muses… Sortez donc de cette sombre apathie où vous semblez plongée ; laissez, croyez-moi, ce sérieux à la vieillesse, la lyre sied mieux à votre âge ; elle est, d’ailleurs, si flexible sous vos doigts que je ne sais pas pourquoi vous hésiteriez à la reprendre… Mais mademoiselle ne veut rien faire pour la satisfaction de ceux qui l’aiment et qui seraient si heureux de ses succès… Tenez, vous le dirai-je, mon enfant, je n’entends parler de vous non plus que si voue étiez morte, et lorsque je vous ai écrit pour vous inviter à venir déjeuner, eh bien ! ne sachant si mon invitation pourrait vous parvenir dans ce monde-ci, j’ai été tenté de vous l’adresser dans l’autre… Voyons, coupable défendez-vous maintenant du mieux que vous pourrez.

— Et cela ne me sera pas bien difficile, docteur, répondit Élisa… D’abord, je commencerai par me débarrasser du reproche d’ingratitude qui m’afflige !… Si vous avez été tenté de m’adresser votre invitation dans l’autre monde, moi je serais tentée de croire que vous avez perdu la vue dans celui-ci ; car l’enveloppe qui recouvre mon cœur est si peu compacte qu’il suffit d’un coup d’œil pour voir qu’il n’a pas de place pour ingratitude… Et s’il suffit aussi de faire des vers pour prouver ma reconnaissance à ceux dont j’ai reçu un si touchant accueil, je vous dirai, docteur (mais prêtez-moi toute votre attention), qu’il y a aujourd’hui un an et huit jours que je suis à Paris ; que, sitôt mon arrivée, je me suis occupée de publier une seconde édition de mes poésies que j’ai, comme vous le savez, augmentée de six morceaux, dont deux seulement, à la vérité, ont été faits ici ; les autres datent de Nantes… que j’ai fait une tragédie en cinq actes, dans l’espace de six mois… que j’en ai fait la moitié d’une autre à laquelle j’ai renoncé, parce qu’il m’est absolument impossible de rien faire d’un sujet que je n’ai pas choisi, et celui-là m’avait été conseillé… J’ai fait aussi quelques petits morceaux qui ont été insérés dans des Revues… Quant aux journaux qui ne publient plus rien de moi, vous saurez, monsieur le baron, que chaque fois que vous y avez trouvé de mes vers, c’est que les journalistes avaient eu l’obligeante politesse de venir me les demander ; et, comme je n’ai pas l’habitude de les offrir, lorsque vous n’en trouverez pas, c’est qu’il ne m’a point été adressé de demande ; car je puis vous certifier que je n’ai fait essuyer de refus à personne… Maintenant, examinons si le sérieux dont vous me conseillez de me défaire dépend du caprice ou d’une cause… Voyons… vous connaissez mon amour pour ma mère, bon monsieur Alibert, vous ne doutez pas de tout ce que je serais capable de faire pour embellir sa vie… Eh bien ! sachez donc que depuis que mon digne protecteur, l’excellent M. de Martignac, a quitté le ministère, son successeur m’a retranché le quart de ma pension, et qu’en perdant l’espérance d’assurer le bonheur de la meilleure des mères, le sourire a cessé de se poser sur mes lèvres !!!

Ici la voix d’Élisa cessa de se faire entendre ! Il y avait eu quelque chose de si solennel dans la manière dont elle avait prononcé cette dernière phrase, que le silence qui succéda semblait ne devoir être interrompu par personne… Qu’il y avait d’éloquence dans cette muette admiration qui se communiquait de cœur à cœur !!!… D’une main s’essuyant les yeux, de l’autre prenant une de celle d’Élisa, le bon docteur la porta à ses lèvres ; l’accusée venait de gagner sa cause…

Déclarée innocente par les larmes de son noble et vertueux accusateur, chacun s’empressa de lui en témoigner sa satisfaction dans des termes qui lui prouvèrent que le cœur des assistans n’était pas resté insensible à sa touchante et candide défense.

Rentrée à la maison, Élisa prit la plume, écrivit les douze vers qui suivent, et les envoya de suite au baron Alibert.

Ve Mercœur,
Née Adélaïde Aumand.

À M. LE BARON ALIBERT.
QUI ME REPROCHAIT MON APATHIE.

 

Un moment du bonheur je respirai l’essence.

Élisa Mercœur.
 

Ah ! ne flétrissez pas du nom d’ingratitude
Cette sombre apathie où plonge la douleur.
          Lorsqu’en sa triste lassitude
On sent l’esprit dormir, fatigué de malheur ;
          Quand on souffre, vainement l’âme
Dans le monde idéal veut encor s’égarer,
Et la pensée alors est comme un feu sans flamme
          Qui brûle, mais sans éclairer !
          Ah ! n’accusez pas mon silence,
Je ne sens pas toujours d’élan inspirateur.
Mon esprit peut dormir, mais jamais dans mon cœur
          Ne s’endort la reconnaissance.


Paris, 4 novembre 1829 [1].
  1. Ce même jour, M. de Jouy vint nous rendre visite. Il avait appris qu’un journal (chose inouïe par le temps qui courait) payait les vers qu’il insérait. M. de Jouy, pensant que cette découverte pourrait être utile à ma fille, s’était empressé de venir l’en prévenir… — Paie-t-on passablement ? demanda Elisa… — 20 sous la ligne, je pense, mademoiselle. — Je ne veux pas laisser échapper l’occasion d’être agréable à M. Alibert, me dit Elisa lorsque nous fûmes seules ; je vais tâcher de faire quelques vers, et nous irons demain les porter à ce journal si exceptionnel… Elle fit donc la jolie petite pièce de la Philosophie qui suit cette note. Le lendemain matin, nous fûmes chez le journaliste. Les vers d’Élisa furent trouvés charmans et reçus sans opposition. On lui dit obligeamment que l’on prendrait tous ceux qu’elle porterait… Et ouvrant aussitôt un tiroir, on lui remit le prix de sa Philosophie… — Qu’est-ce que c’est que ces 28 sous, monsieur ? — C’est le prix de vos vers, mademoiselle… — Vous payez donc la poésie 1 sou la ligne ?… — La vôtre, mademoiselle ; mais celle des autres, nous ne la payons que 2 liards… — Reprenez ce prix qui me blesse, et rendez-moi mes vers ; je n’ai pas de pensées à 2 liards ni à 1 sou… Et déchirant avec humeur sa pièce en mille morceaux, elle la jeta sur le plancher… — Qu’avez-vous fait, mademoiselle ? pourquoi avoir détruit une si jolie chose ?… — C’est que vous l’avez trop abaissée cette jolie chose, monsieur, et que la mort vaut mieux que l’ignominie !… Mais rassurez-vous, elle existe toujours pour moi… elle est là, dit-elle, en montrant son front… J’ai besoin d’argent sans doute, mais pas assez pour ne pouvoir me passer de 28 sous. — Quelque désir que j’aie de faire quelque chose pour la satisfaction des personnes qui m’aiment, me dit Elisa, je sens que je ne le pourrais à pareil prix. Voici la dernière fois que j’offrirai mes pensées. Huit jours après, on vint demander des vers à Élisa pour un journal. Elle donna sa Philosophie, qui reparut, en 1832, dans le Journal des Femmes.