Œuvres complètes (Tolstoï)/Tome XXVIII/Appendice

Traduction par J.-Wladimir Bienstock.
Stock (Œuvres complètes, volume 28p. 411-414).

APPENDICE



I


Les trois œuvres théâtrales qui composent ce volume ont été écrites à peu près vers la même époque, bien que dans des circonstances différentes.

Depuis quelque temps déjà, Tolstoï s’intéressait à la littérature théâtrale, en général ; il avait lu beaucoup d’œuvres dramatiques anciennes et modernes et avait formé le projet d’écrire une pièce sur l’époque de Pierre le Grand. C’était vers 1870. En 1886, Tolstoï, s’étant foulé le pied, mit à profit les loisirs que lui laissa cet accident pour créer une nouvelle œuvre littéraire. La lecture des drames et des comédies d’Ostrovski, qui lui fut faite alors par le remarquable lecteur qu’était A.-A. Stakhovitch (père du membre du conseil d’Empire actuel) réveilla en Tolstoï son désir ancien d’écrire quelque chose pour le théâtre. Déjà à cette époque, Tolstoï considérait comme un devoir pour lui d’écrire des œuvres artistiques accessibles aux masses populaires ; l’idée d’un drame destiné au théâtre populaire s’imposa à lui, et il écrivit La Puissance des Ténèbres.

Le sujet du drame La Puissance des Ténèbres fut emprunté par l’auteur à un procès criminel que lui avait raconté son ami N.-V. Davidoff, président du tribunal de Toula.

Avec sa modestie habituelle, Tolstoï considéra toujours cette œuvre comme une pièce pour le théâtre de la foire ; l’accueil que lui fit la critique le jeta dans le plus grand étonnement et il disait en souriant : « Je ne m’attendais pas à ce que le drame plût tant aux critiques. Si j’avais pu penser qu’on lui attribuerait une telle importance, j’aurais tâché de faire mieux. »

Cette pièce, encore en manuscrit, fut présentée à l’Empereur Alexandre III et l’impressionna vivement. Il donna l’ordre de la faire jouer au théâtre impérial. La direction des théâtres impériaux mit tout en œuvre pour monter dignement cette pièce, mais le fameux Pobiedonotzev en décida autrement. Il sut convaincre l’Empereur que ce drame avait une tendance très immorale et que sa représentation ne ferait qu’augmenter dans la société russe et dans le peuple l’influence néfaste des idées de Tolstoï. La pièce était sue, les décors et les costumes étaient prêts quand les théâtres impériaux reçurent l’ordre de rayer de leur programme La Puissance des Ténèbres. Les théâtres privés reçurent la même interdiction. La pièce ne fut donnée en Russie que dix ans plus tard.

La comédie Les fruits de l’Instruction, fut écrite par L.-N. Tolstoï sous l’influence d’une scène de spiritisme à laquelle il assista et dont il se divertit fort. Cette comédie resta longtemps inachevée dans le portefeuille de Tolstoï. Sur la demande de sa fille aînée, Tatiana Lvovna, qui avait eu l’idée d’organiser un spectacle d’amateurs à Iasnaïa Poliana, Tolstoï reprit cette comédie qu’il acheva et qui fut représentée, en 1888, à Iasnaïa Poliana. Aussitôt publiée cette pièce entra dans le répertoire des théâtres impériaux et des scènes privées, et elle s’y donne toujours avec beaucoup de succès.

La petite pièce Le premier bouilleur fut écrite en 1886 pour le théâtre populaire, afin de remplacer La Puissance des Ténèbres, alors interdite. On joue encore cette pièce, avec succès, sur les différentes scènes populaires russes.


II

La Puissance des Ténèbres a paru en français dans trois traductions :

1) Celle de Neyroud, édition Albert Savine, 1887.

2) Celle de Halperine-Kaminsky, édition Perrin, 1900.

3) Celle de Isaac Pavlovsky et Oscar Méténier, édition Tresse et Stock, 1888.

Cette dernière traduction a été rééditée en 1894 par Calmann-Lévy dans le volume intitulé : La Puissance des Ténèbres, par le comte Léon Tolstoï, suivi de L’Orage et de Vassilissa Melentieva, par Alexandre Nicolaievitch Ostrovski.

C’est cette traduction de La Puissance des Ténèbres qui a été représentée avec un succès éclatant, le 10 février 1888, par M. Antoine, sur la scène du Théâtre-Libre, qui était à cette époque au théâtre Montparnasse.

Cette représentation fut précédée d’une ardente polémique entre différents écrivains français, les uns, parmi lesquels Alexandre Dumas, Sardou, Augier, estimant que la pièce de Tolstoï ne pouvait qu’être lue et non jouée ; les autres, tels que Émile Zola, Melchior de Vogüé, soutenant fermement Antoine dans son entreprise.

Nous publions cette traduction avec l’autorisation des traducteurs, auxquels nous exprimons ici toute notre gratitude. Nous donnons cette traduction parce que, outre sa valeur littéraire, elle répond à l’exigence que nous nous sommes imposée en entreprenant la traduction des œuvres complètes de Tolstoï, d’être une traduction littérale.

De plus, les épreuves de cette traduction ont été revues et corrigées par Tolstoï lui-même, qui a approuvé le travail de MM. Pavlovsky et Méténier, comme on le voit par la lettre de la fille de Tolstoï, Tatiana Lvovna, lettre citée dans la préface de l’édition Calmann-Lévy, et que nous reproduisons ci-dessous :

« Gracieux seigneurs,

Mon père vous fait communiquer qu’il a reçu vos épreuves ; il approuve beaucoup votre traduction et vous la rend avec quelques petites corrections qu’il a trouvées nécessaires ; il est très content de voir monter La Puissance des Ténèbres et surtout au Théâtre-Libre.

« Prête à votre service,
« Tatiana Tolstoïa. »

Les fruits de l’Instruction ont été édités chez Lemerre en 1891, sans nom de traducteur et sous le titre : Les fruits de la science.

Le premier bouilleur a été traduit en français par Adrien Souberbielle et édité, sans date, dans les éditions de la « Revue d’art dramatique. »

P. Birukov.