Œuvres complètes (M. de Fontanes)/Vers à l’abbé Barthélemy


VERS À L’AUTEUR

DES

VOYAGES DU JEUNE ANACHARSIS.


1790.


 D’Athène et de Paris la bonne compagnie
A formé dès longtemps votre goût et vos mœurs ;
Toute l’antiquité par vos soins rajeunie
Reparait à nos yeux sous ses propres couleurs,
  Et vous nous rendez son génie.
Au milieu de la Grèce, Anacharsis errant,
Sait plaire à tous les goûts dans ses doctes voyages,
Étonne l’érudit, et charme l’ignorant ;
Aux soupers d’Aspasie, au banquet des Sept Sages,
  Vous auriez eu le premier rang.
C’est vous qu’on doit nommer l’abeille de l’Attique,
Vous, dont le style pur, ami de la clarté,
Joignit tous les trésors de la sagesse antique
  À la moderne urbanité.
Que de tableaux divers ! dans l’Élide emporté,
  À travers la poudre olympique,
Je vole après le char de l’athlète indompté ;
Sur la barrière assis, Pindare avec fierté
  Entonne l’hymne poétique
  Qui donne l’immortalité.

Tous les arts ont fleuri sous ce ciel enchanté ;
Le goût à chaque pas y rencontre un modèle,
Sophocle, en ce lieu même, avec solennité,
Se couvrit à cent ans d’une palme nouvelle ;
À sa tribune encor Démosthène m’appelle ;
Phryné sort de la mer, et soudain sa beauté
  Montre Vénus à Praxitèle.
Jupiter m’apparaît ; oui, du Maître des Dieux
L’artiste a reproduit l’auguste caractère ;
  Phidias l’a vu dans Homère,
  Comme il existe dans les Cieux.
Mais des plus beaux des arts que sont les vains prodiges
  Auprès de ceux de la vertu ?
D’Aristide exilé je cherche les vestiges ;
Le plus grand des Thébains ici meurt abattu.
Là, des lois de Lycurgue embrassant la défense.
Vous opposez son peuple à celui de Solon,
Et l’œil observateur, aux grâces de l’enfance,
Croit voir de l’âge mûr succéder la raison.
De Socrate plus loin l’éloquent interprète.
Xénophon, vient m’ouvrir sa modeste retraite ;
Écrivain doux et pur, philosophe et soldat,
Il semble à Fénelon réunir Catinat.
Pythagore en secret m’explique son système ;
De Cérês-Éleusis les temples sont ouverts,
La Vérité pour moi s’y montre sans emblème.
  Platon assis aux bords des mers
Dans un style divin m’annonce un Dieu suprême.
Aristote m’invite aux jardins d’Acadème.
Des sciences, des arts qui s’y donnent la main.

  Toutes les voix se font : entendre.
Révélant leurs secrets, le maître d’Alexandre
  Devient celui du genre humain.
  On dit que ces illustres sages,
  Dont vous nous rendez les écrits,
  Des sœurs de l’aimable Cypris,
Au seuil de leur école, élevaient les images :
Comme eux vous mariez la science et les ris.
Eh bien ! retracez-moi les danses du Ménale,
  Et qu’au fond des bois d’alentour,
La Bacchante bondisse en frappant la cymbale.
À Délos, à Tempé guidez-moi tour à tour !
Des fêtes de l’Hymen montrez-moi le retour !
Et, que parant de fleurs la couche nuptiale,
Les filles de Corinthe, au déclin d’un beau jour,
Chantent ces doux combats, cette lutte inégale
  De la pudeur et de l’amour !
Soit que vous rappeliez les jugements coupables,
Où la haine envieuse immola des héros ;
Soit que vous m’attiriez dans ces cercles aimables,
Où les Grecs au bon sens préféraient les bons mots,
Je retrouve Paris, et vos crayons sincères
Dans les Athéniens me peignent les Français ;
Chez nous, les Anitus, comme au temps de nos pères,
Calomnieraient encor avec quelque succès ;
Et la jeune Phryné, chez nos juges austères,
  Gagnerait toujours son procès.
Les Grecs nous ont transmis leurs divers caractères ;
Peignez-vous leur audace et leurs grâces légères ?
Je crois lire Hamilton, je crois voir Richelieu.

De leurs savants écrits percez-vous les mystères ?
  J’entends Buffon ou Montesquieu,
Tandis que le troupeau des écrivains vulgaires
Se fatigue à chercher des succès éphémères,
  Et, dans sa folle ambition,
Prête une oreille avide à tous les vents contraires
  De l’inconstante Opinion,
Le grand homme, puisant aux sources étrangères
Trente ans médite en paix ses travaux solitaires ;
Au pied du monument qu’il fut lent à finir,
Il se repose enfin, sans voir ses adversaires,
  Et l’œil fixé sur l’avenir.