Œuvres complètes (M. de Fontanes)/La Vieillesse

Œuvres de M. de FontanesL. Hachettetome 1 (p. 130-134).


LA VIEILLESSE.


ODE.


Quand des prés l’herbe est fanée,
Quand les bois n’ont plus d’abris,
La vieillesse de l’année
Plait encor dans ses débris ;
Le sein profond de la terre
Sous le froid qui le resserre
Concentre alors ses chaleurs,
Et l’hiver, chargé de rides,
De ses dépouilles arides
Nourrit le germe des fleurs.

Tel est l’emblême du sage
Qui, dans l’arrière-saison,
Par un long apprentissage
Sut affermir sa raison ;
Des erreurs désabusée,
Son âme n’est point usée
Dans un corps presque détruit ;
Ses mœurs instruisent le monde,
Et leur semence féconde
À jamais se reproduit.


Ses exemples honorables
Par ses fils sont imités ;
Ses paroles vénérables
Sont l’oracle des cités ;
Je ne sais quel Dieu l’inspire ;
Ses conseils ont plus d’empire
sous ses cheveux blancs ;
C’est Hécla, blanchi de neige,
Qui, sous l’hiver qui l’assiége,
Vomit des fleuves brûlants.

Vieillards, qu’on rende à votre age
Des honneurs religieux ;
Malheur à qui vous outrage !
Il outrage aussi les Cieux.
À vos lèvres instructives
Les siècles de leurs archives
Ont confié le trésor ;
Parlez, et qu’on soit docile ;
Jadis le superbe Achille
Se taisait devant Nestor.

Ma jeunesse m’est ravie,
Le soir des ans m’apparait,
Mais le déclin de la vie
N’est point pour moi sans attrait ;
Ô que Tullins m’enchante,
Alors que sa voix touchante

Fait parler ce vieux Romain,
Qui, vers le dernier asile
Descendant d’un pas tranquille,
Cueille des fleurs en chemin !

Ces fleurs sont la paix de l’âme,
La santé, fille des mœurs,
Le travail dont le dictame
Guérit nos sombres humeurs ;
Doux travail ! Muses propices !
On brave sous vos auspices
Le sort, l’âge et les revers ;
Jusqu’à ma dernière aurore,
Venez me bercer encore
Au bruit des chants et des vers.

Le temps, mieux que la science,
Nous instruit par ses leçons ;
Aux champs de l’expérience
J’ai fait de riches moissons ;
Comme une plante tardive,
Le bonheur ne se cultive
Qu’en la saison du bon sens ;
Et, sous une main discrète,
Il croîtra dans la retraite
Que j’ornai pour mes vieux ans.


Sous l’ardente canicule
Le soleil plus irrité
De la sève qui circule
Échauffe l’activité ;
Mais l’eau tarit, l’herbe expire,
L’homme avec peine respire
Une lourde exhalaison ;
Et des plaines sulfureuses
Moment ces foudres nombreuses
Sous qui tremble l’horizon.

L’ombre vient et nous ramène
La Déesse au front changeant,
Dont le Silence promène
Les coursiers aux pieds d’argent ;
La campagne reposée
Du jour pur de l’Élysée
Semble réfléchir les traits,
Et, sous la clarté paisible,
Le firmament plus visible
Développe ses secrets.

Ainsi, sur notre vieillesse
Luit un astre aux doux rayons,
Dont le calme éteint l’ivresse
Des bruyantes passions ;
Je te suis, Phare céleste !
Le court chemin qui me reste

N’est pas éloigné du port ;
Et j’accepte les présages
De ce long jour sans nuages
Qui commence après la mort.