Œuvres complètes (Crémazie)/Lettre à M. l’abbé Casgrain (Bordeaux, 29 avril 1876)


Bordeaux, 29 avril 1876.
« Mon cher abbé,

« Le courrier de ce matin m’a mis en possession de votre amicale du 8 courant.

« Votre lettre du mois d’octobre a fait un long détour avant de me parvenir. Quand vous l’écriviez, vous lisiez mon adresse dans votre souvenir qui vous disait 4 bis, rue Vivienne, et non sur ma correspondance qui portait en tête 10 bis, Passage Laferrière. À cette époque, j’avais déjà quitté la rue Vivienne depuis plus d’un an. Dans l’intervalle, j’avais fait un voyage en province, de sorte que cette malheureuse lettre, après avoir été renvoyée de plusieurs Caïphes à plusieurs Pilates, ne m’a été remise qu’au moment où je quittais la capitale pour aller habiter Bordeaux.

« Ne sachant pas à quel pays vous étiez allé demander ce climat attiédi que réclament vos yeux et que l’hiver canadien ne saurait vous donner, je m’étais réservé de vous envoyer un bavardage quand le soleil du printemps vous aurait ramené au manoir paternel. C’est ce que je ferai bientôt, si Dieu et mes yeux le permettent, car je suis un peu logé à la même enseigne que vous sous le rapport de la vue.

« Dans le mois de février, M. Gustave Bossange, en me remettant la lettre dans laquelle vous lui exprimiez le désir de voir continuer dans les journaux français l’œuvre commencée par M. Farrenc, m’écrivait les lignes suivantes : « J’inclus une lettre de notre ami l’abbé Casgrain. Voyez le passage souligné et dites-moi ce que vous penseriez de faire faire des articles industriels, économiques, etc., par M. Hunter,[1] qui a un goût très prononcé pour cette étude, et de vous les envoyer pour que vous leur donniez un peu de fion. Cela paierait pour vous deux, et j’userais de l’influence que je possède pour faire admettre ces articles à divers journaux. » Je m’empressai de répondre à M. Bossange que j’étais tout à sa disposition et que je m’estimerais très heureux d’être le collaborateur de M. Hunter. Depuis je n’ai plus entendu parler de ce projet.

« M. Cucheval-Clarigny, dont vous m’avez parlé pour ce genre de travail, est un écrivain fort connu et jouissant d’une plus grande notoriété que feu M. Farrenc. Je regrette de ne pas être à Paris, ce qui me prive du plaisir d’aller le voir suivant votre désir. M. Bossange, qui connaît parfaitement notre pays, pourra certainement donner au successeur de M. Farrenc tous les renseignements désirables. Je ne sais pas quand je retournerai à Paris, ni même si j’y retournerai. Je suis, en ce moment, comme l’oiseau sur la branche. Il se pourrait que, dans un mois, les affaires m’appelassent au Havre, peut-être même hors de France. J’avais un instant rêvé que la collaboration avec M. Hunter que m’offrait M. Bossange, m’aurait, avec quelques autres petits travaux, permis d’aller habiter de nouveau la capitale. Je vois que je ne peux plus compter sur cette éventualité. Sur ces bords enchanteurs de la Garonne, comme disent ces blagueurs de poètes méridionaux, j’ai plus souffert du froid que dans notre hiver à jamais mémorable du siège de Paris. Le printemps ne vaut pas mieux que l’hiver ; aujourd’hui, 29 avril, nous avons un vent froid, un ciel gris, comme dans le mois de novembre. »

« Votre toujours dévoué
* * »


De tous ceux qui lui ont gardé souvenir, personne ne lui fut plus sympathique que M. Ouimet, ministre de l’instruction publique de la province de Québec. Apprenant la vie précaire que Crémazie menait en France, il me pria de lui écrire. — Le gouvernement de la province, me dit-il, a l’intention de fonder dans les paroisses des bibliothèques publiques à l’instar des bibliothèques communales établies en France, ce qui exigera une agence à Paris. Cette agence ne pourrait-elle pas être confiée à Crémazie ?

Voici sa réponse.

  1. M. Hunter, commis principal de M. Bossange, offrait de faire des articles sur le Canada dans les journaux de commerce.