Œuvres complètes (Crémazie)/Guerre d’Italie

Œuvres complètesBeauchemin & Valois (p. 177-183).

GUERRE D’ITALIE

 
Italie, en combats terre toujours féconde,
Toi, dont l’antique gloire illumine le monde ;
Foyer resplendissant de génie et de foi,
Toi, dont le front serein domina les orages,
Et qui toujours as vu, dans l’histoire des âges,
Les siècles qui passaient s’incliner devant toi !

Du divin Raphaël immortelle patrie,
Toi, dont le nom suave est une mélodie,
Et dont le ciel est plein d’harmonieuses voix
Qui remplissent d’accords ta rive enchanteresse ;
Ô toi, des nations constamment la maîtresse,
Autrefois par le glaive, aujourd’hui par la croix !

Italie, entends-tu mugir dans tes campagnes,
Ainsi qu’un fier torrent qui descend des montagnes,
La formidable voix du fer et de l’airain ?
Entends-tu s’élever les grands cris de bataille,
Le canon vomissant la mort dans la mitraille,
Grondant comme l’écho d’un tonnerre lointain ?

Est-ce pour le drapeau de la vieille Allemagne
Que tonnent ces obus ? Un nouveau Charlemagne

Vient-il devant Pavie asservir les Lombards ?
Petit-fils de Sigurd, un guerrier scandinave
Vient-il, chassant tes rois que son audace brave,
Déchirer de sa main la pourpre des Césars ?

Déployant dans les airs sa splendeur tricolore,
C’est l’étendard français, c’est lui qui vient encore
Faire luire à tes yeux ce mot de Liberté !
Sur ce fier étendard attachant la victoire,
La France fait briller, dans un monde de gloire,
Du soleil d’Austerlitz l’immortelle clarté.

Magenta ! Marignan ! où trouver une lyre
Pour oser célébrer le généreux délire
Des glorieux vainqueurs de ces combats géants ?
Jour de Solférino ! seul le divin Homère
Pourrait dire ta gloire, ô lutte meurtrière !
Car lui seul peut chanter les combats des Titans.



Ainsi qu’un chant lointain entendu dans un rêve,
Aux champs de Marengo la voix des morts s’élève ;
Aux cris de la victoire intenses, triomphants,
Quand l’astre de Hapsbourg devant l’aigle succombe,
Les soldats de Desaix s’éveillent dans leur tombe.
Et la brise du soir apporte leurs accents.

« D’où s’élève ce bruit, cette clameur immense,
« Qui vient nous arracher à l’éternel silence ?

« Qui passe ainsi sur nos tombeaux ?
« Sont-ils donc revenus ces jours remplis de gloire,
« Ces jours où chaque lutte était une victoire,
« Et chaque soldat un héros.

« Écoutons ! Mais au loin c’est le canon qui gronde.
« Vengeresse du droit et maîtresse du monde,
« La noble France a-t-elle encor
« Sur son front radieux l’auréole invincible
« Qui la fit autrefois si belle et si terrible,
« Dans les grands jours de messidor ?

« Est-ce l’Autrichien au fort de la mêlée,
« Qui fait vibrer sa voix, là-bas, dans la vallée ?
« Hélas ! est-il donc revenu ?
« Chassant ses bataillons dans notre course ardente,
« Pourtant nous l’avons vu, pâlissant d’épouvante,
« Devant nous s’enfuir éperdu.

« Mais les bruits ont cessé ; seul l’écho de la rive
« Apporte à notre oreille une note plaintive
« De pleurs et de soupirs mêlés.
« Qui donc est le vainqueur ? Ah ! Seigneur, si la France
« En ce jour a perdu sa gloire et sa puissance,
« Pourquoi nous avoir réveillés ?

« On dirait que là-bas tout un peuple s’assemble ;
« S’élevant vers le ciel, cent mille voix ensemble
« Prononcent le nom du vainqueur.
« Napoléon ! la France !… Ah ! la vieille patrie
« N’a donc pas encor vu sa puissance amoindrie,
« Ni s’affaiblir son bras vengeur.


« Il vit toujours celui qu’au pied des Pyramides
« Les Mamelouks, fuyant sur leurs coursiers numides,
« Avaient nommé Sultan de Feu.
« La mort n’a pas osé mettre sa main de glace
« Sur cet homme géant, dont le regard terrasse
« Et que nous pensions être un dieu !

« Car lui seul peut ainsi marcher à la conquête
« De la fière Italie, et couronner sa tête
« Des palmes de Solférino.
« Et qui donc, entre tous les héros de la terre,
« Pouvait, si ce n’est lui, réveiller dans leur bière
« Les vieux soldats de Marengo ?

« Seigneur, soyez béni ! Dans nos demeures sombres
« La France a fait entendre, au milieu de nos ombres,
« L’écho de ses cris triomphants ;
« Douce mère qui sait, au sein de la victoire,
« Faire toujours veiller un rayon de sa gloire
« Sur les tombeaux de ses enfants. »



France, doux pays de nos pères,
Comme ton nom est radieux !
Sur les nations étrangères
Tu verses l’éclat de tes feux.
Tu parles, l’Europe tremblante
Au seul bruit de ta grande voix,
Se tait, muette d’épouvante,
En voyant pâlir tous ses rois.


Pour tes étendards la victoire
Semble garder tous des lauriers,
Et tous les fastes de l’histoire
Sont pleins des noms de tes guerriers.
Tu fais surgir avec ton glaive,
Qui voit fuir l’aigle autrichien,
Un nouveau monde qui se lève
Sur les débris d’un monde ancien.

Dans les plaines de l’Italie
Chassant l’ennemi devant toi,
Aux yeux de la terre éblouie,
Tu viens encor dicter ta loi !
Tu déchires, dans ta puissance,
Tous ces vieux traités vermoulus
Qu’autrefois la Sainte-Alliance
Imposait aux peuples vaincus.

Comme l’astre qui sur le monde
Répand à grands flots ses rayons,
Ta pensée ardente féconde
L’univers, comblé de tes dons.
Comme soupire après l’aurore
Les chantre des bois embaumés,
Dans le malheur, c’est toi qu’implore
La voix des peuples opprimés.

Sur les plages les plus lointaines
Tes marins vont porter ta loi ;
Déjà les tribus africaines
Devant ton nom tremblent d’effroi.

Ton drapeau, sur le fleuve Jaune,
En vengeant tes droits méconnus,
Verra bientôt trembler le trône
Du sectateur de Mencius.

Ainsi, toujours puissante et fière,
Tu t’avances comme un géant,
Et tous les grands cœurs de la terre
Bénissent ton nom bienfaisant.
Tu vas, sans craindre les années,
Rayonnante comme un saphir,
Vers les sublimes destinées
Que Dieu garde à ton avenir.



Dans ce siècle d’argent, où l’impure matière
Domine en souveraine, où l’homme, sur la terre,
À tout ce qui fut grand semble avoir dit adieu ;
Où d’un temps héroïque on méprise l’histoire,
Où, toujours prosternés devant une bouilloire,
Les peuples vont criant : La Machine, c’est Dieu !

Dans ce siècle d’argent, où même le génie
Vend aussi pour de l’or sa puissance et sa vie,
N’est-ce pas qu’il est bon d’entendre dans les airs
Retentir, comme un chant d’une immense épopée,
Les accents du clairon et ces grands coups d’épée
Qui brillent à nos yeux ainsi que des éclairs ?

Guerriers des temps anciens, paladins magnifiques,
Héros éblouissants des poèmes épiques

Dont les récits charmaient nos rêves de quinze ans,
Quand la fièvre de l’or comme un torrent l’inonde,
Vous êtes revenus pour consoler le monde
En montrant à ses yeux vos exploits éclatants.

De ce foyer de foi, d’art et de poésie,
Qui sauvait autrefois l’autel et la patrie
Et brillait comme un glaive au milieu du combat,
Deux rayons sont restés pour le bonheur de l’homme,
Rayons que Dieu bénit et que l’univers nomme :
Le Prêtre et le Soldat !


Québec, 1er janvier 1860.



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