Œuvres complètes (Crémazie)/Castelfidardo

Œuvres complètesBeauchemin & Valois (p. 193-197).

CASTELFIDARDO

 
Prenant pour dieu l’argent et pour guide le doute,
Des antiques vertus abandonnant la route
Et foulant à leurs pieds les droits les plus sacrés,
Quand les peuples, courbés sous le vent de leurs crimes,
S’arrêtent, frémissants, au bord des noirs abîmes
Et jettent vers le ciel leurs regards effarés,

Alors, pour ranimer la vertu qui chancelle,
De grands cœurs, dévorés de la flamme éternelle
Qui donnait aux martyrs les ardeurs de son feu,
Pour l’honneur et le droit sacrifiant leur vie,
Montrent qu’il est encore, à la terre éblouie,
Ici-bas des héros, et dans le ciel un Dieu.

Dans les sombres forêts de la vieille Armorique,
Au milieu des dolmens du monde druidique,
Avez-vous vu briller le vieux glaive breton ?
Avez-vous entendu l’héroïque Vendée,
Terre par les martyrs tant de fois fécondée,
À l’appel de ses fils bondir comme un lion ?

Triste comme Israël exilé de Solyme,
Quand Rome a fait entendre une plainte sublime,

À ces récits navrants dont leur âme s’émeut,
Ces enfants des croisés, comme autrefois leurs pères
Allant des Sarrasins braver les cimeterres,
Prennent leur forte épée en criant : Dieu le veut !

La trompette a sonné l’heure de la bataille.
Au bruit des lourds canons vomissant la mitraille,
Comme ces paladins que célébrait Tasso,
Ils font étinceler leur glaive formidable,
Et, pendant tout un jour, leur ardeur indomptable
A fait trembler le sol de Castelfidardo.

Enveloppant leur mort dans un linceul de gloire,
Ils tombent en léguant leurs grands noms à l’histoire,
Comme tombait Roland aux champs de Roncevaux.
La victoire, en pleurant, délaisse leurs bannières ;
Car la gloire, fidèle à ces âmes guerrières,
Refuse de la suivre et garde leurs tombeaux !

Pimodan ! ô héros digne d’une épopée !
Homme des temps anciens, dont la puissante épée
Pour ceux que l’on opprime a toujours combattu ;
Toi, que Rome païenne eût mis au Capitole,
Les siècles salûront l’immortelle auréole
Qui couronne ton front, ô glorieux vaincu !



Fille des chevaliers, ô vieille et forte race,
Comme aux jours de Bayard, sans reproche et sans peur,
Tu gardes fièrement le drapeau de l’honneur,
Sans craindre les clameurs de la foule qui passe.

Dans cette sombre nuit qui pèse sur nos têtes,
Toi seule as retrouvé l’éclat des anciens jours ;
Dans les cieux assombris ton nom brille toujours,
Aussi grand, aussi pur qu’au temps de tes conquêtes.

Tu n’as pas oublié les leçons immortelles
Que te donnaient les preux aux grands jours des combats,
Ni les saintes vertus qui marchaient sur leurs pas,
Belles comme la gloire et comme elle éternelles.

Non, tu n’as pas appris ces funestes doctrines
Qui faussent les esprits et flétrissent le cœur,
Et qui sèment partout le doute et la douleur
Pour moissonner la mort au milieu des ruines.

Ah ! qu’il nous soit permis de chanter votre gloire,
Ô vous, dont les aïeux, en répandant leur sang
Pour le nom de la France aux bords du Saint-Laurent,
Ont fait les plus grands jours de notre jeune histoire.

Car ce vieux drapeau blanc, aux splendeurs séculaires,
Qui vit tant de combats et brava tant de feux,
A gardé, confondu dans ses plis glorieux,
La sang de vos aïeux et celui de nos pères.

Ces enfants des Normands et ces fils des Bretons
Que la France a laissés aux rives canadiennes,
En chantant les grandeurs de leurs luttes anciennes,
Diront avec orgueil vos exploits et vos noms.



Ô dix-neuvième siècle, époque de merveilles !
Ton génie a créé des forces sans pareilles ;

Tu prends la foudre au ciel et la tiens dans ta main ;
Prompte comme l’éclair, la vapeur condensée
Emporte dans ses bras une foule pressée,
Et détruit pour jamais les longueurs du chemin.

La matière, ton dieu, t’a donné sa puissance,
Les trésors de son sein et toute sa science ;
Les éléments vaincus s’inclinent devant toi ;
Tes marins ont sondé la mer et ses abîmes ;
Sous tes pieds dévorants les monts n’ont plus de cimes
Et, glorieux, tu dis : L’avenir est à moi !

Eh bien, dans l’avenir, ce qui fera ta gloire
Ce n’est pas ce progrès que l’on a peine à croire,
Ni tes chemins de fer, ni leurs réseaux de feu ;
Ce sera la légende, immortelle et bénie,
De ces cœurs pleins de foi qui donnèrent leur vie
Pour le droit et pour Dieu.

Dans vos asiles solitaires,
Vous qui priez, vous qui pleurez,
Offrant l’encens de vos prières,
À l’ombre des parvis sacrés,
Consolez-vous, bientôt le monde
Qui vient d’enfanter ces héros
Reverra, dans sa nuit profonde,
Resplendir les divins flambeaux.

Foyer de force et de science,
Ô vieille et sainte papauté,
Qui brilles comme un phare immense
De gloire et d’immortalité !

Malgré les fureurs de la haine,
Malgré les peuples ameutés,
Toujours ta majesté sereine
Domine les flots irrités.

Bien souvent les rois en délire,
Frappant la main qui les bénit,
Ont voulu briser ton empire,
Plus solide que le granit.
Ils s’écriaient dans leur démence :
— Renversons ce faible vieillard,
Qui n’a, contre notre puissance,
Que sa faiblesse pour rempart !

Mais, rendus au pied de ce trône,
Qui brille d’un éclat divin,
Quand ils eurent sur ta couronne
Porté leur sacrilège main,
Ces fiers souverains de la terre,
Éperdus, s’arrêtèrent là ;
Derrière la chaire de Pierre
Ils venaient de voir Jéhova.

Et, quand le vieux monde en ruines
Sombrait dans les gouffres ouverts,
Debout sur les saintes collines,
Ta voix bénissait l’univers.
Et, dans cette nuit sans aurore
Que feront les soleils mourants,
Seule tu resteras encore
Pour fermer les portes du Temps.


Québec, 27 décembre 1860.