Œuvres choisies de Charles Perrault, édition 1826/Contes de ma mère l’Oye/Peau-d’Âne (en prose)/Remarques

Texte établi par Collin de PlancyPeytieux (p. 171-174).


REMARQUES.


Le conte de Peau-d’Âne est tiré, comme nous l’avons dit, de la légende de Sainte-Dipne ou Dympne. Nous en allons donner le précis puisé dans Ribadénéira et les autres vieux légendaires.

Il y avait en Irlande un roi païen et puissant, qui avait épousé une très-belle dame, laquelle, en considération de ses belles parties, comme dit Ribadénéira, était singulièrement chérie de son mari. De ce mariage sortit une fille aussi belle que sa mère ; elle fut nommée Dipne, et soigneusement élevée.

Aussitôt qu’elle eut atteint l’âge de discrétion, ayant connaissance de Jésus-Christ, elle se fit chrétienne, résolut de vivre vierge et méprisa les vanités de la cour.

La reine sa mère étant morte, le roi voulant convoler en secondes noces, jeta les yeux sur sa propre fille, ne pensant pas qu’il y eût une autre femme qui approchât de sa beauté. Il lui fit, pour la séduire, toutes sortes de caresses et lui promit tout ce qu’elle pourrait désirer, si elle voulait le prendre pour époux ; mais Dipne répondit qu’elle ne consentirait jamais à un tel inceste. Le roi s’opiniâtra, et déclara à sa fille qu’elle serait sa femme, bon gré mal gré. La jeune fille effrayée demanda quarante jours de délai, et se recommanda à Notre-Seigneur. Cependant son père lui donnait tous les jours des bijoux et de belles robes pour ses noces.

La fin des quarante jours approchant, Dipne consulta un saint prêtre irlandais nommé Gerbern, qui avait été confesseur de la défunte reine, et qui avait baptisé la princesse. Le prêtre lui conseilla de gagner du tems, afin de trouver moyen de s’enfuir, et s’offrit de l’accompagner. Elle dit donc à son père qu’avant de l’épouser elle désirait pour se parer le jour de son mariage plusieurs joyaux précieux, qu’elle croyait impossibles à trouver, et promit de lui donner sa main aussitôt qu’il aurait rassemblé ce qu’elle voulait. Le roi fit partir sur-le-champ des hommes de confiance à la recherche de ce qu’exigeait sa fille ; car il en était de plus en plus éperdument amoureux.

On avait déjà apporté à la princesse la plupart des objets rares qu’elle avait désignés ; elle était au désespoir, quand une occasion de s’enfuir se présenta. Dipne saisit l’instant favorable ; elle s’embarqua secrètement avec le prêtre Gerbern, et après un heureux trajet, ils arrivèrent à Anvers. De là, ils prirent des chemins écartés, se firent bâtir à quelques lieues une cabane dans un petit bois, où ils vécurent seuls et inconnus.

Cependant, le lendemain de leur départ, le roi ayant reçu encore quelques-uns des bijoux demandés par sa fille, les lui portait tout joyeux, lorsqu’il apprit qu’elle s’était évadée. Il entra en fureur, s’embarqua aussitôt, et résolut de ne s’arrêter que quand il aurait retrouvé sa fille.

Après l’avoir cherchée quelque tems en vain, il arriva à Anvers, où il fit un petit séjour, pendant que ses gens furetaient le pays. Quelques-uns de ses serviteurs ayant dîné dans un village, payèrent l’aubergiste en monnaie d’Irlande. L’aubergiste leur dit qu’il avait déjà reçu tout récemment de cette même monnaie. Ils lui demandèrent qui la lui avait donnée ; et cet homme répondit que c’était une belle demoiselle étrangère, qui vivait tout près de là avec un prêtre et qui venait quelquefois leur acheter des provisions. On alla promptement annoncer au roi cette découverte : il se hâta de se rendre à la solitude indiquée ; il y trouva sa fille, dont l’aspect désarma sa colère. Il la pria de tenir enfin la promesse qu’elle lui avait faite de l’épouser. Gerbern voulut faire des représentations ; mais les gens du roi l’emmenèrent dehors et le tuèrent. Le prince cependant pressait inutilement sa fille ; la trouvant rebelle à ses volontés, il fit bientôt succéder les menaces aux prières sans obtenir davantage. Dipne ne s’ébranla point, et son père furieux lui coupa la tête ; après quoi il s’alla pendre.

Voilà qui finit mal ; et le conte de Perrault est bien plus joli. Mais la légende intéresse. Au reste, on fête sainte Dipne le 15 de mai ; on conservait ses reliques à Cambrai, à Saintes et à Ghèle en Brabant, où le P. Ribadénéira dit que les anges enterrèrent son corps dans un beau tombeau de marbre.

Le conte de Peau-d’Âne n’a pas été mis très-souvent sur la scène. Nous citerons seulement la pièce à grand spectacle de Peau-d’Âne ou l’Île-Bleue et la Mer-Jaune, mélodrame-féerie en trois actes par M. Augustin H., représenté à la Gaîté en 1808. C’est une imitation très-ornée du conte. Peau-d’Âne, chargée de la peau d’Aliboron, se cache dans les campagnes ; le neveu du vice-roi lui fait essayer l’anneau ; elle va être heureuse, quand on s’avise de la prendre pour sorcière : sur quoi la sainte inquisition veut la brûler. Mais la fée des Lilas arrive, sauve Céleste-Peau-d’Âne, dont le père est revenu à la raison ; elle épouse le fils du vice-roi et tout va bien.

Avant de passer aux contes en vers, nous remarquerons qu’on les a omis dans presque toutes les éditions. Celui de Peau-d’Âne était même tout-à-fait perdu, si M. de Paulmi, après l’avoir annoncé plusieurs fois dans sa Bibliothèque des Romans, ne s’était décidé enfin à réimprimer tout au long Peau-d’Âne en vers, dont il ne se procura un exemplaire qu’avec les plus grandes peines. De nouvelles recherches nous permettent d’avancer que ce conte paraît ici pour la première fois correct, complet et conforme au manuscrit de l’auteur.