Œdipe et le Sphinx/Acte II
ACTE II
Décor de l’ŒDIPE-ROI. Le cortège, qui revient des funérailles de Laïus, entre lentement, précédé du GRAND-PRÊTRE. En passant devant le palais, chacun éteint sa torche sur le seuil et la jette. JOCASTE vient la dernière, monte les marches et se tourne vers le chœur.
Scène I
Vous qui pleurez un père, quand je pleure un époux,
orphelins, par le même trépas, qui me fait veuve,
votre gémissement, Thébains ! exalte ma douleur.
Il a péri, le fils de Labdakos,
victime du Sphinx, lui aussi !
Il allait implorer Apollon
pour sa chère cité.
La massue des brigands l’a couché sur la route !
Venge, ô Thèbes, venge ton roi.
Le père est mort, ô fils de la Cadmée.
Guerriers de l’Isménos, le chef a succombé !
Les enfants sont devenus des hommes,
depuis que le monstre horrible
barre la route et nous défie, autre Cerbère.
Crie ta détresse, ô Thèbes, jusqu’aux cieux !
Arbre déraciné, foyer éteint,
source tarie, moisson perdue,
seuil désert, glaive brisé.
Ô vaisseau sans pilote ! Ô troupeau sans berger !
Pleure, ô Thèbes, pleure ton roi.
Scène II
Le vrai regret inspire des actions et non des cris.
Vengeons Laïus ! Il faut découvrir les coupables.
Comment ? Le berger, qui fut témoin du crime,
n’a vu qu’un seul brigand.
En plein jour, sans surprise, armé seulement d’un bâton
jamais un homme n’a pu en tuer cinq, ou bien c’était Alcide !
On a retrouvé sur le char les objets précieux à Delphes destinés.
Quel dessein animait donc les meurtriers ?
Les longues veilles m’ont appris à découvrir
la main des dieux cachée dans un événement
et qu’il est dangereux et impie, dès lors, d’approfondir.
Esclave ou riche, prêtre ou guerrier, citoyen ou tyran,
tous inquiets en face de Thémis et fragiles devant le tonnerre,
laissons passer l’implacable fatalité, en nous voilant.
D’où viendra le secours, le conseil ?
D’en haut ! Dès que le crime fut connu,
j’ai envoyé auprès du célèbre devin, honneur de ce pays.
Tirésias nous dira l’avenir : nous connaîtrons la volonté des Dieux.
Scène III
Voici le célèbre prophète : un enfant le conduit
et cependant lui-même guide les peuples et les rois.
Tirésias, ô confident de la Divinité,
la Béotie en son désastre, t’attend comme un sauveur !
L’enfant s’enivre de son désir, il implore
sans réfléchir, s’il sera bon pour lui d’être exaucé.
Ainsi interroge le peuple.
Ce que les Dieux vous cachent, vous voulez le connaître ?
Pensez-vous démentir leur volonté sacrée ?
Lorsque l’homme s’effare sous la main du Destin,
vers le ciel, il se tourne, comme un fils en péril, vers son père.
Par ma voix, la patrie t’implore !
Interroge, ô pontife : je répondrai.
Laïus est mort et le sphinx est vivant !
Qui a tué le roi et qui vaincra le monstre ?
Ce sont là deux questions : je ne ferai qu’une réponse.
Si je dénonce l’assassin de Laïus, je tairai le nom du héros.
Si je révèle comment la route deviendra libre,
l’Impunité est pour longtemps acquise au meurtrier.
Révèle les coupables ! Révèle le sauveur !
Estimez l’un et l’autre secret ; choisissez.
Notre devoir est de venger le roi !
Mais il faut sauver Thèbes !
Forçons Jocaste à prononcer !
C’est à elle, et non aux citoyens, de préférer
la délivrance du pays au sang des Labdacides !
Mes prédictions n’enseignent pas à déjouer le sort. Curiosité stérile que la vôtre Le salut des cités dépend de leur vertu. Voilà le seul oracle important à connaître !
Scène IV
JOCASTE
Ô mère des Thébains, ô Jocaste ; voici l’infaillible devin.
Il connaît les meurtriers du roi !
Parle, Tirésias.
Épouse et reine, je dois venger Laïus.
Autre fois, Laïus m’interrogea et mes réponses lui déplurent.
Amère à tous, la vérité est un fiel pour les rois.
Les assassins de mon époux, tu ne les livres pas ?
Glaucos aux Argonautes se montra plus ami…
Ton peuple, en m’appelant, m’a jeté deux questions.
J’ai offert, j’offre encore une réponse unique !
Veux-tu punir le meurtre d’un époux ?
Je le veux, certes.
Le Sphinx, alors, continuera sa faction sinistre !
Au contraire, renonce à la vengeance
demain le monstre se précipitera !
Le châtiment du crime empêche-t-il la délivrance du pays ?
Tu ne peux satisfaire à tous ces vivants et au mort : choisis !
Je me dois d’abord à l’époux !
Tu te dois à ton peuple, ô Reine !
Si l’on découvre les coupables qu’ils périssent dans les supplices.
Si le libérateur paraît : je le comblerai de largesses !
Je ne renoncerai aucun devoir, ni du sang, ni du sceptre.
Devant ta parole ambiguë, Tirésias, je me dérobe.
Impie envers ma couche, ou infidèle à la patrie,
non, je ne choisirai pas !
Et je partagerai mes inutiles larmes
entre la douloureuse Thèbes et son malheureux roi.
Scène V
La reine n’a pas osé choisir.
Imitez sa prudence ! Si vous m’attribuez l’amitié d’Apollon,
laissez-moi partir sans répondre.
Explique-nous du moins la nature bizarre du fléau
qui depuis tant d’années désole le pays.
Cette panthère au visage, aux mamelles de femme
et dont l’intelligence confond celle de l’homme,
qui donc l’a engendrée ?
Cela, je le dirai. Écoutez tous !
Nos corps exhalent de la santé ou de la maladie,
et nos âmes aussi répandent leur vertu ou leur vice.
La corruption des chairs engendre l’horrible peste ;
la corruption des cœurs donne naissance aux monstres.
Le Sphinx est fils de Thèbes !
Toute génération est l’office de deux.
Si Thèbes est le père du Sphinx, quelle est sa mère ?
La malédiction de Chalcis !
Oh ! souvenir plein de honte pour nous !
Lorsque la peste frappa les Chalcidiens et qu’ils vinrent
en suppliants, pleins de pleurs et de faim,
les sept portes de Thèbes, devant eux, se fermèrent.
« Ils sont maudits, » disiez-vous,
les bannissant des bords Isméniens.
Ils moururent au pied de votre enceinte.
Leurs cadavres restèrent sans sépulture.
Mais, tous, en expirant, attestèrent les Dieux.
Oui, c’est leur désespoir uni à votre cruauté,
— effrayant mariage — qui enfanta le monstre.
Thèbes ferma ses portes, le sphinx ferme la route.
Quelle pitié attendre, après avoir été impitoyables ?
Athènes engendra, par ses fautes, l’effrayant Minotaure,
mais Thésée vint qui le tua.
Un Thésée viendra-t-il se dévouer pour nous ?
Il approche !
Assurance bénie !
À cette heure, le meurtrier et le héros,
tous deux, entrent dans Thèbes !
Scène VI
Les Dieux ne veulent pas que Laïus soit vengé !
Tirésias a vu, en son esprit,
notre libérateur franchir l’enceinte !
Comment le reconnaître ?
Si vous voulez qu’il se révèle,
proclamez donc la récompense attribuée à son secours.
Au delà d’un grand risque, montrez un bel espoir,
et donnez à la palme, la hauteur de l’exploit.
Celui qui tue les monstres, le héros
l’emporte, en dignité, sur tous les autres hommes ?
Qui fait d’abord ce que Laïus n’osa jamais
a mérité sa place et la remplira bien.
Mais, Jocaste ?
Elle sera, aussi, le prix de la victoire !
Ta dignité, ô pontife, te permet, à toi seul,
de proférer ces paroles hardies et salutaires.
Quand le salut du peuple demande quelque effort,
il appartient au prêtre de ne rien ménager
car il devient pasteur, en l’absence du roi.
Scène VII
Ô tyrans immortels qui siégez sur des trônes vermeils,
environnés de force et de sérénité ;
abaissez vos regards, ô Pères, sur vos fils ;
Maîtres, sur vos fidèles !
Que la pitié aux douces mains touche vos cœurs !
Toi d’abord, terrible et magnanime, ô maître du tonnerre,
Ô Zeus, les rois sont tes vicaires et tu te vengeras toi-même
en nous livrant les meurtriers de mon époux !
Apollon, ô médecin céleste, guéris-nous de la peur,
qui sans cesse effare nos pensées.
Permets à un héros de deviner l’énigme !
Bacchus, ô Dieu de joie et de fécondité,
Ne laisse plus un monstre horrible
souiller le lieu où tu naquis !
Athèné, ô vivante pensée de Zeus,
intercède auprès de ton père sublime.
Je vous invoque tous, Olympiens !
Ô tyrans immortels, qui siégez sur des trônes vermeils
environnés de force et de sérénité ;
abaissez vos regards, ô Pères, sur vos fils ;
Maîtres, sur vos fidèles
Que la pitié aux douces mains touche vos cœurs.
Nous respectons tes pleurs, digne tribut à l’époux vénéré,
mais, veuve, tu es reine aussi !
J’oublie mes maux devant les vôtres. Hélas que puis-je ?
La vengeance du roi, nul ne sait l’entreprendre.
Il faut purger la route du fléau ; il faut chasser le monstre !
Eh ! nul Thébain ne l’ose !
Le vainqueur du Sphinx est dans nos murs !
Qui l’a dit ?
Tirésias !
Comment le reconnaître et l’implorer ?
Il se révélera lui-même, si on proclame devant tous
à quel prix la Béotie estime son salut.
Aucune récompense ne sera assez belle.
Ainsi, nous pensons tous !
Que le sauveur de Thèbes, en devienne le roi !
Qu’entends-je ? Mon époux a péri au service de Thèbes
et les Thébains me banniraient……!
Pour m’ôter la couronne, quel est votre reproche ?
Digne du trône, Reine, le héros est digne de ton lit !
La lourde dalle à peine retombée,
le sang du sacrifice encor fumant,
la torche funéraire, mal éteinte,
vous osez me parler d’hyménée vous voulez m’y forcer ! Oh ! Thébains !
L’effort est grand mais il faut sauver la Béotie !
Je dédierais ma couche, encore chaude du mort, à un nouvel époux ?
Laïus n’était pas de ton âge tu le vénérais, sans l’aimer
Un étranger succéderait aux Labdacides ?
Le héros prouve par des exploits sa divine origine !
Soumets-toi ! La pourpre a ses rigueurs !
Ma chair même frissonne, rebelle à vos desseins.
Repousses-tu l’arrêt divin ?
Je ne puis tout à coup devenir impudique !
Dix ans tu pleurerais Laïus, sans soulager nos maux !
Violence insupportable ! Vœu insolent !
Nous-mêmes sommes violentés.
Ma gloire ?
Ta gloire est de tout faire pour la cité !
Répondras-tu, pour moi, devant les Dieux ?
Je serai ton garant devant les Immortels !
Et si je refusais ?
Le peuple répondrait au mépris du devoir par le mépris du droit.
Esclavage honteux d’une reine ! Ô abjection !
Renonce ou sauve ta couronne !
Vous l’ordonnez, Thébains ; le pontife l’exige !
Et le bandeau royal étouffe la piété et la pudeur.
Devant la volonté du peuple, je me soumets,
victime obéissante et non pas résignée !
Celui qui, unissant l’audace à la subtilité,
affrontera le colloque du Sphinx,
et, devinant l’énigme, le forcera à se précipiter ;
celui-là — quel qu’il soit — artisan, affanchi, esclave ou étranger,
couvert de haillons ou de crimes,
Vous l’acceptez pour roi ? Pour époux, je l’accepte !
Je borne mon serment au cours de ce soleil.
Le héros est dans Thèbes : il saura ma promesse.
Si les Dieux nous l’envoient ; ce jour suffit à le montrer.
Scène VIII
Regardez, sans angoisse, le soleil qui décime.
Un instant suffit au Destin. Espérez !
Je vais, au pied des autels vénérés,
immoler des victimes sans tache.
Vous, demeurez ici et accueillez tout étranger.
Scène IX
Ô vous qui paraissez les Anciens de la ville,
pourquoi, parmi l’encens, s’élèvent tant de plaintes ?
Un flot de suppliants se presse au seuil des temples ;
l’angoisse emplit de son fantôme les avenues désertes.
Tous, devant ce palais, agités, anxieux,
vous semblez, entre la crainte et l’espérance,
attendre un grand événement ?
Tu arrives, ô étranger, dans une contrée déplorable,
sans roi, sans défenseur, en face d’un horrible fléau.
Quel fléau ?
La ville d’Amphion, célèbre à tant de titres,
n’est plus connue que par le monstre qui l’opprime,
le sphinx a voix humaine qui pose au passant son énigme.
Nul de vous n’a tenté d’en purger le pays !
Oh ! Beaucoup sont partis pour la caverne horrible ;
mais nul n’est revenu, car nul n’a deviné.
La valeur béotienne, dans l’Hellade, est vantée ?
Invulnérable, le sphinx se précipitera lui-même du rocher,
lorsqu’un mortel pénétrera ses questions obscures.
Thèbes donna le jour à un devin illustre, Tirésias.
L’avez-vous consulté ?
II a prédit que le libérateur paraîtrait aujourd’hui.
Aujourd’hui L’a-t-il nommé ?
Il ne l’a point nommé.
À quel signe reconnaîtrez-vous ce héros ?
Il se révélera lui-même.
Notre reconnaissance se manifestera,
et digne d’un exploit ou tant ont succombé.
La récompense est déjà proclamée.
Vraiment ?
C’est le sceptre de Thèbes et la beauté de la reine Jocaste.
Le vainqueur choisira entre la femme et la couronne ?
La reine et le royaume sont promis au vainqueur.
Ô merveille du sort ! Admirable aventure !
Palme d’or de la vraie constance ! Miséricorde d’Apollon !
Elle me quitte et se déchire la fatale tunique.
La voix des Erynnies s’éloigne je suis sauvé !
Apollon avait dit que je tuerais mon père,
et j’ai frappé des inconnus sur un chemin
Apollon avait dit que je féconderais ma mère,
et voici un hymen qui s’offre, digne de moi !
Je pleurais le foyer perdu, un autre va m’accueillir ;
Sceptre, famille, honneur, tout m’est rendu.
Le récit de nos maux t’a rendu pensif, étranger !
Le devin de l’énigme deviendra roi de Thèbes
et la reine Jocaste l’accepte pour époux ?
Oui !
De sa bouche, je veux l’entendre.
Obtenez qu’elle paraisse devant mes yeux.
La pure volonté l’emporte donc sur la fatalité.
Hier, j’errais accablé et maudit ;
la gloire du héros aujourd’hui m’environne.
Hier, je renonçais le sceptre de Corinthe ;
je reçois celui de Thèbes, maintenant.
Je pleurais des parents vénérés ; une épouse, une reine apparaît
Désespérer est une impiété les Dieux sont équitables.
Tu couronnes en moi, ô divin citharède,
l’hymne que chante l’âme, avec toutes ses voix,
l’hymne fait de résolution et d’espérance,
l’hymne qui fonde, qui crée et qui conquiert,
l’hymne suprême, l’hymne de volonté !
Scène X
La honte du serment, qu’on vient de m’arracher,
me rend la lumière importune
et votre vue amère, Thébains !
Voici un étranger que nos maux intéressent.
Et qui veut, ô reine, écouter de tes lèvres
la confirmation solennelle du vœu thébain !
Qui es-tu ? Tu parles avec assurance !
Je suis un fils de la Fortune.
Elle me sourit sous tes traits.
Tu es belle, ô Jocaste,
et de la récompense la part incomparable !
Quel est ton père, étranger ?
Qu’importe d’où je sors, si jusqu’à toi je monte !
Les parents d’un héros ce sont ses actes éclatants
Tu as fait un serment redoutable…
Il répugne à mon âme fière !
Mais le soir qui vient m’en relève !
Quand ce soleil disparaîtra à l’horizon
je redeviendrai libre !
Tu seras engagée à jamais !
Que dis-tu ?
Devant tous, je le proclame,
je suis le héros attendu.
Gloire aux Dieux !
Démence Nul mortel ne suffit à des travaux divins.
Hercule le Thébain n’était pas Dieu encore
à Némée, à Lerne, à Erymanthe ?
Le Sphinx est plus terrible avec sa seule énigme
que le lion et l’hydre !
Et le vainqueur sera d’autant plus glorieux.
Ma promesse fut un défi : ne le relève pas !
Le vainqueur sera-t-il roi de Thèbes ?
Le vainqueur sera-t-il ton époux ?
Prends ce peuple, ces temples et les Dieux à témoins.
Ni moi, ni ces Thébains ne violerons notre serment.
Mais, qui donc es-tu, téméraire ?
Un devineur d’énigmes et un chasseur de monstres.
Ô le mâle courage !
C’est lui qu’annonçait le devin.
Ce n’est pas œuvre humaine, cette entreprise !
Il y faut un mandat du ciel.
Comme tes devanciers tu périras, sans profit et sans gloire.
À Laïus tu ressembles et, je ne sais comment,
ta vue me fait penser à un enfant, mort au berceau.
Voilà pourquoi ton sort m’intéresse et m’émeut !
Tiendras-tu ta parole ?
Hélas ! Autant vaudrait te promettre un tombeau…
Une hideuse mort t’attend…
Je crois à la victoire Mais si je succombais,
j’accepte le tombeau et les honneurs funèbres.
Quand la fatalité l’appelle, l’homme s’élance aveuglément.
Le chemin est-il long, d’ici à la caverne ?
De Thèbes à Harma, un peu moins de deux heures…
Tu vas donc me conduire !
Vous, Thébains, cette nuit, montez aux tours de vos remparts.
Interrogez le ciel, du côté de Chalcis :
si vous voyez briller des flammes, venez !
Ce seront les flammes de la victoire.
Venez, joyeux, avec pompe,
saluer votre roi et chanter votre délivrance !
Et toi, Jocaste, revêtue d’une robe éclatante,
apporte le premier baiser à ton époux.
Mais à l’heure livide ou la nuit lutte contre Phébus,
si nul reflet de feu n’a rougi l’horizon… venez encore.
Car on doit des honneurs au héros qui succombe.
Venez, pieux, avec le linceul et les baumes
ensevelir celui qui n’a pas deviné !
Et toi, reine, conserve ton vêtement de deuil
et pleure l’étranger tombé pour ta conquête.
Oh ne pouvoir le sauver de sa perte certaine.
Toi qui seras demain mon épouse ou ma veuve,
ne te lamente pas ; j’ai foi en Apollon !
Votre salut ayant la même issue que mon destin,
fils de Cadmus, prions ensemble ! Et moi, la lyre en mains !
Je t’invoque, ô Phébus, sans hécatombe !
Quand ta sœur Artémis te succédera dans les cieux,
je te sacrifierai, ô vainqueur du Python, un monstre !
Au bord de la fontaine,
il vomissait des flammes, l’affreux dragon.
Ta flèche inévitable l’atteignit.
Archer divin, envahis-moi de ton esprit !
Au combat que je vais livrer,
que seraient le glaive et la massue !
Il faut, comme Persée,
résister au regard stupéfiant de la Gorgone !
Il faut, comme Ulysse,
opposer la pensée calme à la ruse méchante !
Il faut être inspiré par toi,
ô brillant illuminateur de nos esprits et de nos yeux !
Quand aura lieu le terrible colloque,
ferme mes sens au vertige !
Toi qui vengeas ton cher fils Esculape,
en exterminant les Cyclopes,
délivre cette belle cité !
Je m’expose, en ton nom, aux coups du monstre !
— Ô fils de Sémélé, Bacchus,
étends sur moi ton thyrse protecteur.
Ô fils d’Alcmène, fils de Thèbes, Hercule !
Et toi, Cadmus, favori de Pallas ! Vous, nymphes Isméniques !
Toi-même, terre que je vais délivrer,
Soyez propices ! Assistez-moi ! Bénissez-moi !
Adieu donc, insensé que je pleure déjà !
L’aurore éclairera, j’espère,
Thèbes ! ton roi ! — Jocaste ton époux !
Précédé du Coryphée, ŒDIPE sort d’un pas hardi. Tout le Chœur remonte, et disparaît en l’escortant. JOCASTE, appuyée au seuil, regarde tant qu’elle aperçoit le héros et rentre, après un geste désespéré.