Ô, que je suis courroucée


Ô QUE JE SUIS COURROUCÉE


Ô que je suis courroucée,
Ô que j’endure d’émoi,
Mon ami m’a délaissée
Ne faisant compte de moi :
          Malheureuse
          L’amoureuse
Qui se fie à ces garçons,
          Qui allèchent
          Et ne cherchent
Qu’à nous payer de chansons.
Car ils sont tous décevants,
Leur amour ne poursuivant.

Il s’écarte en Italie,
Jamais je ne le verrai,
Jamais que mélancolie
De son départ je n’aurai :
          Car la dame
          Trop s’enflamme
À cette première amour,
          Et la perte
          Recouverte
Ne peut onc être du jour
Qu’elle perd son amoureux
Par un dédain rigoureux.

Mais il faut que je confesse
Avoir failli grandement,
De lui user de rudesse
Sans prendre égard au tourment
          Qui consomme
          Le jeune homme

D’impatiente amitié,
          Sur cet âge
          Qu’il enrage
De se joindre à sa moitié,
Ne prévoyant que l’homme est
Trop prompt à ce qui luy plaît.

Ne devais-je pas connaître
A voir ses yeux douloureux
Que je lui devais permettre
Quelque plaisir amoureux ?
          Sans cruelle
          Et rebelle
Le traiter si rudement,
          Quand Cyprine
          La doucine
L’encourageait ardemment ?
Si je l’eusse fait ainsi
Encor serait-il ici.

Mon Dieu, que j’étais heureuse
Quand penchée sur son sein
Je l’embrassais, envieuse
De baiser sa blanche main,
          Sa tetine
          Argentine,
Son frison d’or rousselet,
          Qui se noue
          Sur sa joue
Toute de rose et d’œillet,
Et quand je baisais ses yeux
Si beaux et si gracieux.

Mon Dieu, que j’étais joyeuse
Quand je l’oyais deviser
D’une façon gracieuse
En me venant courtiser :
          La harangue
          De sa langue
Coulait plus douce que le miel ;
          Je m’assure

          Que Mercure
Fût pour lors venu du Ciel,
Qu’il n’eusse su parler mieux
Bien qu’il fût appris des dieux.

Mon Dieu, que j’étais heureuse
Alors que parlementant
De chose facétieuse
Nous nous allions ébattants
          Sur la prée
          Diaprée
De mille belles couleurs,
          Quand de grâce
          Sur la place
Il cueillait de toutes fleurs
Pour un bouquet façonner
Et après me le donner.

Mon Dieu, que j’étais heureuse
Quand il me venait saisir
D’une main dévotieuse
Et sur les autres choisir.
          En la fête
          Tant honnête
Pour exercer les amours
          Des pucelles
          Damoiselles,
Me faisant faire deux tours,
D’une gente gravité
Montrant sa dextérité.

Mais maintenant malheureuse
Je ne vis qu’en déplaisir,
En me voyant douloureuse,
Ayant perdu tout plaisir
          Que doit prendre
          Et apprendre
Des amoureux courtisans
               La pucelle
          Jeune et belle
En la fleur de ses beaux ans,

Rendant ses esprits contents
Car toute chose a son temps.
 
Apprenez donc, pucelettes,
En oyant mes tristes sons,
À être plus que vous êtes
Amoureuses de garçons,
          Quand jeunesse
          Les adresse
Devant vos attrayants yeux,
          Qu’une honte
          Ne vous dompte,
Ne refusez votre mieux,
Car enfin pourriez sentir
Un trop tardif repentir.


Claude de Pontoux.