Évocations (Vivien)/Atthis délaissée

ÉvocationsAlphonse Lemerre, éditeur (p. 113-120).

Atthis délaissée

poème dramatique en un acte

Une maison à Mylilène.

Atthis, seule, détaillant un manuscrit.

« Celle qui te fuit te suivra pas à pas,
Tu verras venir la Peithô qui refuse
Tes dons, apportant des présents délicats,
Furtive et confuse.

« Celle dont l’orgueil repousse ton amour
Subira la crainte et l’angoisse brûlante,
Et tu connaîtras, dans l’ardeur du retour,
Ses lèvres d’amante. »

Elle ne sème plus les roses sur mon seuil…
Qu’importe maintenant à Psappha la promesse
De l’Aphrodita douce et terrible ? Mon seuil
A perdu le parfum des roses, et je tresse
De mes mains sans ferveur des guirlandes de deuil.
Car, seuls, les iris noirs, les violettes noires
Se fanent à mon front dépouillé de ses gloires :
Psappha ne sème plus les roses sur mon seuil.


Elle tresse des fleurs.


L’ingénieux Erôs, le tisseur de chimères,
Brode les souvenirs dans une trame d’or.
Tel qu’un amer baiser sur des lèvres amères,
Le passé me possède et me meurtrit encor.


Oppressée, elle ouvre la porte, et le verger apparaît.


Voici l’ancien verger que le pommier ombrage
Comme hier, où le vent console des chaleurs,
Murmurant à travers les branches et les fleurs,
Où le sommeil descend et coule du feuillage.


Elle contemple un instant les arbres en fleurs, puis se détourne avec une mélancolie croissante.


Tu me brûles, Érôs. Mon cœur est lourd du poids
Des sons évanouis et des splendeurs fanées.


On entend la voix de Psappha qui chante :


« Je t’aimais, au long des lointaines années,
Atthis, autrefois… »


Le chant s’éloigne et meurt peu à peu.
Atthis.

« Je t’aimais, au long des lointaines années… »
Je mourrai d’une mort éternelle, et demain
La tombe pèsera sur mes paupières closes.
Comme l’essor des voix et la pourpre des roses,
Je m’éteindrai, — j’irai par les portes d’airain.
La maison de l’Hadès me recevra demain,
Car je n’ai point cueilli les immortelles roses
De Piéria, — je fus la volupté d’un jour.
Mon âme aura le sort des choses passagères.
Obscure, j’errerai sans fleurs et sans amour
Parmi les Morts pareils à des ombres légères.

Mais Toi, qui ne crains pas le silence et la nuit,
Psappha ! tu cueilleras les flammes des étoiles.
Le temps t’apparaîtra comme l’eau qui s’enfuit
Sous l’éclair de la rame et sous l’éclair des voiles.
Tu chantas, dominant les sanglots de l’accord,
La poussière des jours, l’azur de la nuit verte,
L’Hespérôs, le plus beau des astres, et la mort
De la vierge Timas au divin corps inerte,

Le duvet délicat de l’herbe du printemps
Qu’effleurent les pieds nus et souples des Prêtresses :
Et tu chantas le soir aux regrets persistants,
Le rossignol d’été qui pleure par saccades,
Le sommeil enfiévré, lorsque la lune fuit,
Que sombre le rayon nébuleux des Pléiades,
L’Érôs amer et doux qui ravage et détruit,
Perséphoné qui rêve à la vie ancienne,
L’Aphrodita changeante à l’âme d’arc-en-ciel,
Aux terribles baisers de venin et de miel,
Toi qui glorifias la Lyre Lesbienne !


Songeant.


De myrte et de laurier Phoibos te couronna…


Des voix confuses s’élèvent au dehors.


… La voix de Gurînnô, le rire d’Éranna…


Chœur des vierges :


« Va vers le jardin clair où tu te reposes,
Pare tes cheveux de verdure et de fleurs,
Choisis les parfums, Dika, tisse les roses,
Mêle les couleurs.

« Et, si tu veux plaire aux sereines Déesses,
Apporte aux autels les souffles de l’été…
Elles souriront, ainsi que leurs Prêtresses,
À ta piété.

« Porte à l’Artémis les sombres violettes,
À l’Aphrodita la pourpre des iris,
À Perséphoné, vierge aux lèvres muettes,
La langueur des lys. »

Atthis.

Voici l’ode nouvelle à sa nouvelle amante.
C’est Dika, dont les mains sont douces, qu’elle chante,
Dika, dont les cheveux ont la flamme du soir…
Poète aux rythmes d’or, divine Disparue,
Tes vers ont réfléchi, comme un ardent miroir,
Ma jeunesse oubliée et ma beauté décrue.

Certes, mon amour fut étrangement amer
Sur tes lèvres, Psappha, car tu chantas hier :

« Tu hais ma pensée, Atthis, et mon image…
Cet autre baiser, qui te persuada,
Te brûle, et tu fuis, haletante et sauvage,
Vers Androméda. »

Je fus jadis l’ardeur, la lumière et la flamme…
Maintenant, je ne suis qu’un reflet dans ton âme…


La voix de Psappha dans le lointain :


« Je ne trahis point l’invariable amour…
Mon cœur identique et mon âme pareille
Savent retrouver, dans la splendeur du jour,
L’ombre de la veille.

« Car j’étreins Atthis sur les seins de Dika,
Et, dans le parfum que l’air d’automne emporte,
L’âme, que longtemps ma douleur invoqua,
De Timas la Morte.


« Pour l’Aphrodita j’ai dédaigné l’Érôs,
Car je n’ai de joie et d’angoisse qu’en elle.
Je ne change point, ô vierges de Lesbôs,
Je suis éternelle. »