Évelina/Lettre 7
LETTRE VII.
- Lady Howard à M. Villars.
Ne vous alarmez pas, mon digne ami, de me voir déjà revenir à la charge. Je n’admets point de cérémonies dans mes correspondances ; et, sans attendre régulièrement des réponses à mes lettres, sans me piquer moi-même de ponctualité, il suffit que je sois dans le cas de réclamer votre indulgence, pour que je mette la main à la plume. Madame Mirvan vient de recevoir une lettre de son époux : après une très-longue absence, il lui marque l’agréable nouvelle, qu’il compte d’être rendu à Londres dans les premiers jours de la semaine prochaine. Ma fille et le capitaine ont été séparés depuis environ sept ans : ainsi je me dispense de vous dire quelle joie, quelle surprise, quelle confusion, le retour de M. Mirvan répand dans Howard-Grove. Ma fille, comme vous pensez bien, ira incessamment en ville à sa rencontre : ma petite-fille est obligée de la suivre ; je suis fâchée de ne pas pouvoir en faire autant.
Maintenant, mon cher monsieur, je n’ai plus le courage de continuer. De grace ! oserai-je demander — permettrez-vous que votre fille les accompagne ? N’allez pas dire que nous sommes indiscrètes. Considérez tous les motifs qui concourent dans ce moment-ci à lui rendre le séjour de Londres infiniment agréable : l’événement heureux qui donne lieu à ce voyage, l’alégresse de tous ceux qui seront de la partie. Opposez à cela la vie ennuyeuse à laquelle elle sera réduite, si elle reste ici avec une vieille femme solitaire pour toute société, tandis qu’elle saura que toute la famille nage dans la joie : voilà des circonstances qui semblent mériter votre attention.
Madame Mirvan me prie de vous assurer qu’une semaine est tout ce qu’elle demande ; car elle est sûre que le capitaine, qui hait Londres, pressera son retour à Howard-Grove. D’ailleurs, Marie désire avec tant d’ardeur d’avoir son amie avec elle, qu’un refus de votre part la priveroit de la moitié du plaisir qu’elle se promet de cette course.
En attendant, monsieur, je ne veux rien vous cacher ; je ne vous garantis point qu’ils mèneront à Londres une vie retirée, et même cela n’est nullement apparent. Mais ne craignez rien de madame Duval : elle n’a aucune correspondance en Angleterre ; ce qu’elle apprend de nous, n’est que par des bruits publics. Le nom que porte votre fille, ne sauroit lui être connu ; et, supposé même qu’elle vînt à savoir que notre jeune amie ait passé une huitaine de jours en ville dans une occasion aussi extraordinaire, il n’est pas possible qu’elle s’en tienne offensée.
Madame Mirvan vous assure que si vous déférez à sa demande, ses deux enfans partageront également son temps et ses attentions. Elle a donné commission à un ami d’arrêter une maison pour elle ; la réponse ne tardera à venir, et j’attendrai dans cet intervalle votre décision. Votre fille vous écrit elle-même ; sa lettre fera plus que toutes nos sollicitations.
Madame Mirvan vous fait ses complimens, dans le cas seulement, à ce qu’elle dit, où vous accorderez votre consentement ; pas autrement.
Adieu, mon cher monsieur, nous espérons tout de votre bonté.